Voilà un film comme on n'en voit peu, d'une élégance rare, qui a son rythme propre, sa mécanique intime, singulière, secrète, tout à l'air très calme et simple en apparence, limpide et pure comme le ciel du Chili, dans le désert d'Atacama, inoffensif, comme cette passion nationale pour l'astronomie, tropisme atypique et exotique, les regards tournés vers les profondeurs insondables et infinies de l'univers, mais peu à peu, au gré du commentaire, dérive des souvenirs d'enfance à la révolution, puis le trou noir de la dictature, du télescopage des images, ce lieu presque stérile, sans vie, va se révéler d'une fécondité visuelle, historique, politique, poétique admirable. Billes spiralées d'enfant, enroulement de galaxies fabuleuses, sol craquelé du désert proprement martien, cratères lunaires, calcium des spectrographe des astronomes, cycle de naissance et de mort des étoiles, calcium des os des détenus dont on a fait disparaître les corps, que les Veuves recueillent minutieusement, patiemment, fragment après fragment ("Les restes des restes"). Travail de deuil colossal, désespéré, qui dérange la conscience chilienne. Ces ossements et cadavres mithridatisés se mêlent à ceux des civilisations précolombiennes, aux "esclaves" indiens des mines du XIXème siècle, aux poussières stellaires, sans se mélanger, en une rencontre improbable qui découvre et fait jaillir larmes bouleversantes, visions décalées, perspectives inattendues, humour très fin, pensée sauvage, poésie, beautés vertigineuses. A la sortie de la projection on lève les yeux, et l'on se trouve face au ciel de Paris, éteint, occulté, absolument noir, où ne clignotent par intermittence que les feux de signalisation des avions, et on se fait bousculer par les badauds qui sortent des boutiques, pressés de s'engouffrer dans le métro, pestant contre vous, d'avoir osé interrompre quelques secondes le cours néantifiant de la circulation mécanique des choses en demeurant le nez en l'air au milieu du trottoir...