A l'instar des studios BONES dont il est l'un des sergents, Masahiro Ando était jusque-là un second couteaux essentiel. En effet si ce dernier s'initie à la réalisation, il s'est distingué en tant qu'animateur de plusieurs monuments de la japanim, RahXpephon et FullMetal Alchimist que les aficionados tiennent en estime, mais surtout, plus largement réputés, Jin-roh et Ghost in the Shell. Sword of the Stranger a cependant relativement peu à voir avec l'anime tel qu'il est le plus souvent défini, soit par un style souvent spéculatif, désincarné voir élégiaque, il en est même antagonique.
Son contexte est le Japon de la fin du XVIe siècle et de l'ère Sengoku, une époque particulièrement sombre de l'histoire nippone puisqu'en l'absence d'un pouvoir central, l'archipel est alors un gigantesque champ de bataille ou se confronte une multitude de clans locaux. Mais ce n'est pas une leçon d'histoire, c'est un programme sauvage et humain ainsi qu'un grand film épique aux ingrédients hérités de l'âge d'or du chambara [le film de sabre]. La structure est donc classique par définition ; le film se veut parcours initiatique, il réserve l'anonymat à l'un de ses héros, une manie du cinéma de Kurosawa. Masahiro Ando a de toute évidence l'ambition de restaurer des traditions cinégéniques égarées au mieux, galvaudées au pire depuis longtemps à une heure ou le cinéma asiatique se standardise pour s'ouvrir à l'international.
Sa mise en scène est une merveille de précision et de réalisme. D'un point de vue purement formel, on ne peut que saluer la qualité du graphisme, le soin apporté à chaque séquence [avec un investissement global : entre les scènes de combat et celles plus ''intimes'', il ne tranche pas : toutes sont privilégiées] qui soustrait le film à toute comparaison. Mais c'est ce que raconte Sword of the Stranger qui achève d'en faire un chef-d'oeuvre. Très proche de ses personnages, le film se concentre tout particulièrement autour de trois héros échappant à l'asservissement de la société féodale ou ils évoluent, insoumis aux impératifs de clans et à leurs aspirations absurdes.
Il est, au premier plan, le portrait d'une amitié hors-norme liant un garçon livré à lui-même à un rônin, soit un samourai aventurier, mais qui n'en est pas vraiment un puisqu'il ne loue ''plus'', dira-t-il, ses services à un seigneur. Le destin de cet enfant est le noeud de l'intrigue, puisqu'une prophétie séculaire a désigné son sang comme élixir d'immortalité, lançant à ses trousses des émissaires de l'empereur Chinois et quelque veules seigneurs japonais. Parmi les Mings, un guerrier blond, aussi redouté que peu apprécié, dont la participation est motivée par des enjeux plus personnels. Ce personnage a en commun avec les deux atypiques camarades d'être livré à lui-même. Cet aspect est très important, même si l'oeuvre ne l'envisage qu'en toile de fond, elle évoque, au-delà de l'obscurantisme et la lâcheté qui s'introduisent jusque dans les sanctuaires bouddhistes, la peur de l'étranger ancrée dans l'histoire nippone. La conversion du titre renvoie directement à cet avatar de l'épopée dont Rarô, comme le samourai ''sans-nom'', sont les premiers concernés [l'un fuit cette réalité pendant que l'autre en fait son jeu]. Il va sans dire que, pour une fois, même les puristes devront reconnaître l'intégrité de cette traduction, des plus judicieuses.
Ce n'est sans doute qu'un détail, mais Sword est l'un des meilleurs exemples récents du traitement de l'enfant par la japanim, probablement la seule institution dans son domaine à en présenter d'aussi attachants, c'est-à-dire courageux, affirmés surtout, éventuellement grande-gueule comme c'est le cas ici, ou le cas échéant, sans complaisance avec leurs faiblesses [celles de leur condition ou plus simplement de leur caractère]. Kotaro, enfant ''autarcique'' et orphelin sur la défensive en est une illustration absolument parfaite.
Plus surprenant, l'influence du western spaghetti est ici latente ; les duels sont rapportés subjectivement, engagent définitivement leurs participants. La narration privilégie l'ellipse, évacue les bavardages et lui préfère l'épidermique, tirant alors la même vitalité des pauses bucoliques que des massacres. Il aura donc fallu quelques mutations audacieuses pour accorder au film de sabre sa renaissance. Le résultat est un tel éblouissement que Masahiro Ando, pour son coup d'essai, se retrouve déjà parmi les grands. Dans pareil cas de figure, il est regrettable que l'insuccès commercial de Sword of the Stranger ne lui ait pas permis de rééditer.