Présenté l'an dernier à Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs, "L'Un contre l'autre" a obtenu un excellent accueil de la critique : pour les Inrocks, il "frappe par son audace, sa maturité et sa maîtrise."; Télérama célèbre Jan Bonny, "dont la maîtrise impressionne déjà, (et qui) a le don de la rendre passionnante."Le Monde, quant à lui, glorifie la "mise en scène, caméra à l'épaule, plans souvent sombres, (qui) procède d'un naturalisme cinématographique mis ici au service de la description d'un cas clinique de dérèglement familial. "
Donnerwetter ! Dans la médiocrité ambiante des sorties printanières, impossible de passer à côté d'une oeuvre aussi prometteuse, et puis, ça la foutrait mal de rater un nouveau "La Vie des Autres". Donc, me voilà dans la grisaille d'une ville allemande, de nuit, à suivre caméra à l'épaule une patrouille qui a mal tourné puisqu'un forcené a pris en otage l'un des leurs, finalement libéré grâce au courage tranquille de Georg. Enfin, on croit le deviner, car la scène n'est pas éclairée, les dialogues sont elliptiques et le cadre pas toujours sûr.
Puis on suit le même Georg, bon flic et bon époux, qui récupère femme et (grands) enfants pour aller chez les beaux-parents, où la distribution de chèques se paie au prix des sentences blessantes du patriarche. On ressent un malaise à tous les étages : entre Anne et Georg, entre Anne et son père tyrannique, entre les parents et leurs enfants. La caméra suit donc (ce n'est pas une figure de style, elle trottine en permanence derrière les personnages mal éclairés et mal cadrés, il paraît que c'est ça la modernité) Georg tête de turc trop bon trop con dans son commissariat, et Anne, institutrice d'application apprenant le métier à une normalienne.
Jusqu'à une crise plus virulente qu'une autre, où Anne roue de coups Georg qui se love par terre et encaisse sans réagir : c'est donc cela le sujet, la violence domestique du fait de la femme, dont Jan Bonny dit qu'elle " est bien plus répandue qu'on l'imagine. (...) Ce qui m'a le plus intéressé à ce moment-là, c'était l'étrange disproportion entre l'importance de cette information et la taille du communiqué qui lui était consacré. (...) Cela montre bien que dans notre société, cette forme de violence n'est pas thématisée."
Et à ce moment du film, premier d'une longue série de descriptions crues de la violence hystérique d'Anne, devant le sentiment de malaise mélangé d'ennui qui m'envahissait, je me suis interrogé sur l'intérêt d'aller voir un tel film. Va-t-on au cinéma pour prolonger une soirée Thema d'Arte croisée avec un Ca se discute ? L'intérêt pour le procédé narratif utilisé pour rapporter cette violence suffit-il à faire oublier l'insoutenable de ce qui est montré ?
Progressivement, le sentiment de malaise se diffuse, se métastasant de la situation aux personnages, puis à la réalisation. La répétition des scènes de violence, d'humiliation, culminant avec la scène où Anne s'envoie en l'air avec le collègue de son mari sous les yeux de ce dernier qui mange assis à la table familiale, la rengaine des "entschuldigung" et des "es tut mir leid" deviennent insupportables, et si je n'avais pas eu ma mission de critique clunysien à remplir, je pense que j'aurais quitté la salle.
"L'Un contre l'autre" est au film psychologique ce que "Derrick" est au film d'action, une version terne et angoissante. Comme les enquêtes du limier munichois, il frôle souvent le ridicule (la veste du beau-père en cadeau, la soirée des collègues de bureau qui trinquent en silence pour ne pas réveiller madame), et tout au long du film me revenait la voix de Camillo "Und ich frag mich : Warum ?"
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