"California Dreamin", c'est la chanson de The mamas and the papas qu'utilise Andrei, l'amoureux transi de Monica, pour lui apprendre l'anglais, sésame indispensable afin de se faire comprendre des soldats US échoués à Capaltina et de sortir de ce trou perdu dans un repli de la carte de la Roumanie. Car, étrangement, en 1999, dans le lycée de la ville, on apprend l'espagnol.
La Californie, c'est aussi le lieu de fabrication marqué sur l'ailette de la bombe tombée en 1944 dans la cage d'escalier et qui arrête sa course folle au terme d'une scène d'ouverture époustoufflante juste devant un petit garçon qui deviendra un des protagonistes principaux de cette fable balkanique. Cette première scène rappelle qu'à la fin de la seconde guerre mondiale, les Américains bombardaient déjà la région au nom de la liberté, et la transition avec le moment de la narration, cette année 1999 où les forces de l'OTAN pilonnaient la Serbie coupable de purification ethnique au Kosovo, se fait grâce à la radio qui rapporte dans les mêmes termes les activités aériennes américaines.
Malheureusement, les qualités contenues dans ce flash back inaugural (alternance nerveuse de plans d'échelles différentes, rythme accéléré du montage) ne se retrouvent pas dans les 2 h 30 restantes, bien au contraire. Comme de nombreux réalisateurs des quatre coins du monde (de Paul Greengrass à Isild Le Besco), Cristian Nemescu pense que la caméra portée tressautante (y compris pour les plans fixes !) suffit à donner une impression de vérité documentaire, oubliant que ce qui compte, c'est ce qu'on met dans le cadre, et l'importance pour rendre le point de vue adopté du choix des cadrages et de leur liaison au montage.
Il est toujours difficile de filmer l'ennui sans tomber dedans, et Cristian Nemescu n'échappe pas à cette contradiction. Il peine à éviter la répétition, et la progression poussive du récit ressemble à celle du train bloqué en rase campagne, d'autant que le scénario multiplie les intrigues secondaires : le conflit social, les trafics de Doiaru, l'antagonisme entre celui-ci et le maire, les tensions entre le capitaine Jones et son sergent qu'il soupçonne de l'espionner, et les diverses amourettes. Comme en plus, de nombreuses scènes sont construites sur l'incompréhensions entre les Américains et leurs hôtes, chaque réplique est traduite soit en anglais, soit en roumain, allongeant encore plus un récit s'étire.
Certaines scènes semblaient annoncer un "Chat noir, Chat blanc" roumain, comme cette prise de contact entre le capitaine Jones et son officier de liaison interrompue par une fanfare jouant "The Star-Spangled Banner". Mais Nemescu ne possède ni le sens du rythme de Kusturica ni sa tendresse pour ses personnages, ici souvent cantonnés au rang de marionnettes caricaturales, comme le syndicaliste décrétant la grève spontanée, le maire (incarné par Ion Sapdaru, qui jouait le professeur dans "12 h 08 à l'est de Bucarest") emmenant les Américains voir un spectacle graveleux baptisé "Le Mystère Dracula", ou la midinette persuadée au bout de deux jours que son flirt avec un GI's se terminera par un mariage aux States.
Surnagent juste quelques scènes, parmi lesquelles l'apparition d'un sosie local d'Elvis, ou la leçon de cuisine du chef de gare qui explique au capitaine Jones dégustant son hachis que la viande est passée par le même traitement que celui que ses compatriotes font subir aux Yougoslaves. La critique est assez enthousiaste pour ce film. Est-ce une prime automatique accordée à toute production roumaine, après les excellents "La Mort de Dante Lazarescu", "12 h 08 à l'est de Bucarest" et "4 mois, 3 semaines, 2 jours" ? Ou est-ce une compassion post-mortem, un effet Gregory Lemarchal ? Preuve de la richesse et de la diversité de ce cinéma, il existe pourtant aussi des films roumains ratés.