AlloCiné : comment est né ce projet ? D’où est venue la toute première étincelle ?
Alan Barillaro : Je suis animateur, et je suis toujours très attentif à la façon dont les personnages perçoivent le monde. Je faisais du jogging sur la plage, pas très loin des studios Pixar, et j’ai vu ces Scolopacidés (Sandpipers), des petits oiseaux migrateurs, qui faisaient des allers-retours incessants pour échapper aux vagues. Je me suis immédiatement dit que ce serait génial à animer. Au départ, l’idée était de faire un test technique, en aucun cas un court métrage. Nous faisons constamment des tests d’animation pour élaborer de nouveaux effets. Et John Lasseter et les dirigeants du studio m’ont immédiatement encouragé à creuser l’idée et d’en faire un film. Mais au départ, tout part d’un test.
Le fait d’être encouragé par ses parents, la perception du monde d’un point de vue animal : on peut voir des liens thématiques entre votre film et Le Monde de Dory… C’était intentionnel ?
Non, ce n’était pas conscient. Mais il y a un merveilleux parallèle, c’est vrai. Dans la mesure où Dory était développé parallèlement, il y a sans doute des influences et des sensibilités qui ont imprégné mon travail. Mais ce n’était pas intentionnel… J’aurais aimé être assez intelligent pour que ça le soit ! (Rires)
"Less is More" ("Moins pour Plus") est l’une des règles d’or chez Pixar. Et elle s’illustre parfaitement dans votre film. C’était une ligne de conduite que vous avez voulu suivre ?
Totalement. Je vous remercie de le remarquer car ça signifie beaucoup pour moi… C’est un défi pour un artiste de tenter quelque chose qui n’a jamais été fait auparavant. J’ai demandé aux animateurs de travailler sur une gestuelle sans mains et de ne pas tomber dans l’anthropomorphisme qu’ils proposent habituellement, aux responsables des effets de proposer une approche très macro sur les grains de sable ou l’écume… Nous avons testé énormément de techniques sur ce court. Les courts métrages doivent servir à ça, c’est l’une des règles chez Pixar. Les équipes impliquées sur un court essayent toujours de repousser les limites, et c’est parfois frustrant. Nous essayons de faire des choses mais nous ne savons pas comment les faire ! Donc nous essayons. (Rires)
Quels risques justement avez-vous pris sur "Piper" ?
J’aime utiliser des techniques très visuelles, et qui offrent aux animateurs le plus de contrôle possible. Parfois, cela peut rendre dingue. Les plumes sont animées à la main, les grains de sable aussi, les coquillages également… Il a vraiment fallu mettre les mains dedans. Pour moi, l’ordinateur est l’équivalent d’un crayon ou d’un pinceau. Il ne fera rien de plaisant ou de joli de lui-même. Il faut donc de l’humain… Tout ceci est complexe mais c’est important de le faire.
"Le Parapluie bleu", "Le Voyage d'Arlo", "Piper" : on a le sentiment que l'animation se rapproche de plus en plus du réalisme...
L’animation en images de synthèse est un nouveau médium dont on doit repousser les limites. Il faut que l’art aide à repousser ces limites. Plus que de réalisme, j’ai beaucoup parlé à l’équipe d’art classique, comme les oeuvres de Norman Rockwell, par exemple. Il y a une vraie crédibilité dans les personnages à travers cette approche. Cela découle simplement de choix. Le risque du réalisme, c’est qu’il soit un aboutissement, sans être porté par un choix. Il faut donc garder en tête cette notion de choix et proposer un point de vue pour surprendre le public. Plus que le réalisme, il faut chercher la crédibilité.
Le film est muet, comme WALL-E ou d’autres courts Pixar. Raconter des histoires uniquement à travers l’image, est-ce que finalement, ce n’est pas ce que l’animation devrait toujours être ?
Il y a évidemment plein de manières de raconter des histoires, mais cette approche est effectivement celle que je préfère. C’est pour cette raison que l’animation m’a toujours attirée : un animateur peut proposer quelque chose d’unique, qu’on ne peut pas créer ailleurs. Mettre en scène une conversation entre deux oiseaux est un énorme défi. On n’en est que plus fier quand on parvient à le relever…. J’espère que c'est le cas, d'ailleurs ! (Rires)
Parlez-nous de la musique d’Adrian Belew…
Quand j’ai commencé à storyboarder le film, je travaillais en écoutant sa musique, en espérant pouvoir collaborer avec lui. Sa musique est tellement visuelle et incarnée pour un animateur. En fermant les yeux, le film se déroule immédiatement dans votre tête. Le personnage est au centre de tout dans un film comme Piper. Pouvoir compter sur un musicien qui comprend les personnages est vraiment idéal. Nous lui avons proposé, et en grand fan de Pixar, il a accepté. Nous avons donc travaillé sur le film avec lui très en amont.
Est-ce que vous vous rappelez de votre premier jour chez Pixar ?
Je me suis tout de suite senti à l’aise, entouré de tous ces artistes. Cela remonte à 1997, et je pensais débarquer dans un endroit focalisé sur la technique et les ordinateurs, peuplé d’ingénieurs brillants. Il y en a beaucoup, évidemment, mais il y a aussi des artistes issus de disciplines très variées : la 2D, la 3D, la stop-motion… Je me suis senti tout de suite à la maison.
C’est un esprit incarné par John Lasseter…
C’est un vrai soutien, même sur les courts. Ce serait trop facile de dire que j’ai pris ces risques et que ça a payé. John Lasseter connaît tout ça, il est passé par là, et sans son soutien tout serait plus stressant. C’est un mentor merveilleux et un "protecteur créatif" si je puis dire. Il maintient sa confiance en vous, il vous soutient constamment… Lui et Andrew Stanton sont de grands mentors.
Piper, Kevin, les drôles d'oiseaux : les héros à plumes de Pixar