Sorti en salles début juillet, Haramiste, court métrage réalisé par Antoine Desrosières, se maintient sur les écrans, grâce à une forte implication de son équipe, qui accompagne le film depuis de longs mois, au gré des festivals et de projection-débats. A l'occasion du Festival du film francophone d'Angoulême, où le film était sélectionné, nous avons rencontré son réalisateur et les deux actrices principales du film, co-scénaristes du film. Alors qu'Haramiste sera présenté demain à Noisy-le-Sec au Festival du film franco-arabe, et ce soir au cinéma L'Accattone, Paris 5, nous vous proposons de découvrir cet entretien.
L'histoire d'Haramiste : On ne badine pas avec l’amour. Rim, dix-huit ans, rappelle à sa soeur Yasmina, dix-sept ans, qu'elle ne doit pas parler au garçon qui lui plaît. Mais à force de parler de tout ce qui est interdit, cela donne des envies. De rappels en conseils, Haramiste raconte l'histoire de ces deux soeurs au dress code voile - doudoune - basket, qui s'adorent, s’affrontent, se mentent, se marrent, se font peur, découvrent le frisson de la transgression et du désir amoureux.
AlloCiné : Quel a été le point de départ de ce court métrage ?
Antoine Desrosières, réalisateur : C'est parti de la réflexion d'un producteur qui m'a dit qu'il s'occupait d'une collection de films, des courts métrages d’une dizaine de minutes, sur Arte sur l’amour aujourd’hui. Il me fait remarquer qu’il n’a pas de film sur les rencontres Internet, ce qui me semblait pourtant la tarte à la crème sur la question.
En réfléchissant au sujet, je me suis dit que les rencontres Internet servaient le plus à ceux à qui les rencontres sont les plus interdites car elles ont la particularité d’être secrètes. Elles permettent à des gens qui n’ont pas d’univers commun de se rencontrer, pourvu que deux personnes ne le décident, elles n’ont de compte à rendre à personne. Je me suis demandé à qui les rencontres étaient les plus interdites et j’ai pensé par exemple aux jeunes femmes voilées.
Il se trouvait que j’avais rencontré des jeunes femmes qui faisaient des rencontres secrètes alors que c’était interdit. J’ai donc pondu cette petite histoire toute simple, qu’Arte s’est empressé de refuser. Ce qui a donc renvoyé le projet au fond du tiroir pendant plusieurs années jusqu’au jour où une jeune productrice talentueuse et tenace a pris le projet en main et trouvé une aide de la région Poitou-Charentes.
A partir de là, j’ai lancé un très grand casting. On a rencontré 400 jeunes femmes, et à l’issue de ce casting, j’ai proposé à ces deux demoiselles ici présentes de faire ce film. Je dis bien : j’ai proposé plutôt que je les ai choisies car je ne considère pas qu’elles disent oui d’avance.
Ma démarche consistait à leur donner la parole, et donc le travail qu’on a fait ensemble, en répétition, improvisation, prospective a permis de développer le scénario. Ce qui leur vaut aujourd’hui d’être actrices mais aussi co-scénaristes du film.
Inas Chanti et Souad Arsane
Justement, Inas et Souad, quels ont été vos apports ? Avez-vous quelques exemples ?
Souad Arsane, comédienne : Antoine nous a aidé en ayant une technique simple : il nous donnait un thème et nous laissait libre arbitre. En nous disant lâchez-vous, faites comme vous voulez, dites tout ce qui vous passe par la tête…
Inas Chanti, comédienne : A la base, il y avait un scénario de 4 pages, avec la trame du film. On était toutes les deux et Antoine nous disait « on va faire une petite improvisation sur… » une certaine partie du scénario. Souad et moi on parlait, on parlait, et certains de ces moments, les moments drôles, ont été incorporés au scénario.
Antoine Desrosières : Leur apport est considérable.
Donc une idée qui primait dans ces improvisations était d’avoir beaucoup de moments drôles...
Inas Chanti : Le film est drôle de A à Z.
Antoine Desrosières : Le projet depuis le départ était de faire une comédie. Quand j’ai fait le casting, je cherchais des actrices drôles, grandes gueules et avec beaucoup d’imagination. Les essais qu’on avait fait auparavant m’avaient bien montré qu’elles avaient ce potentiel-là. Et en mettant ces deux demoiselles face à face, c’était vraiment des étincelles.
La chose la plus importante de ces moments avant tournage était de ne pas avoir peur du ridicule, et aussi de ne pas chercher à être bonne. En n’ayant pas peur d’être mauvais, en ne cherchant pas à être bon, on peut trouver des choses. C’est leur grande qualité, elles n’étaient pas en train de chercher à me prouver quoi que ce soit. Elles s’amusaient avec les thèmes qu’on remuait. Et ne pas avoir peur de l’absurde car on va parfois jusqu’à l’absurde dans le film.
Souad Arsane : On a tout de suite été à l’aise, eu le feeling, ce qui a facilité l’improvisation et le tournage.
Un point qui vous tient particulièrement à cœur… C'est de dire qu'Haramiste n’est pas un documentaire…
Antoine Desrosières : Oui, ça me heurte beaucoup quand on emploie le terme documentaire.
Inas Chanti et Souad Arsane : C’est une fiction, tout court.
Antoine Desrosières : Tous les films portent un regard sur le monde. A la base des films, le monde existe, même Star Wars parle du monde. Ce n’est pas un documentaire car Inas et Souad ont joué des rôles, d’ailleurs l’histoire existait avant même qu’elles ne rejoignent le film.
C’est important pour moi que des femmes se reconnaissent dans le film, car l’une des choses qui m’aurait mis mal à l’aise, aurait été qu’on me dise que c’est une vision fantasmée de ces jeunes femmes. Grâce aux spectatrices qui s’y reconnaissent, et grâce à Inas et Souad qui ont développé le scénario avec moi, j’ai l’impression qu’on a résolu cet équilibre avec la comédie qui ne se moque pas du tout des personnages, et qui au contraire leur rend leur dignité
Quelle est la suite pour le film ? Va-t-il aller dans d’autres festivals ?
Antoine Desrosières : Il en a fait, il en a encore devant lui. On espère des festivals étrangers. Il est allé un peu à l’étranger, au Cambodge où Rithy Panh l’a sélectionné à Phnom Penh. C’était le début de sa carrière.
Cette carrière est pour nous extraordinaire : le prix du public à Pantin, la diffusion sur Arte, la sortie salle, toute la presse qu’il y a eu, et le fait que plusieurs mois après sa sortie il soit encore en salles.
C’est un rapport au film qui est différent : c’est à dire que ce n’est pas un film qui fait beaucoup d’entrées au début et qui disparaît, c’est un film qui fait peu d’entrées mais qui tient longtemps. C’est un rapport qui ressemble plus, me semble-t-il, au livre : les livres sont en librairie et y restent.
>>> Haramiste d'Antoine Desrosières, projeté à L'Accattone à Paris 5, au Festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec lundi 9 novembre, au Méliès à Montreuil le 22 novembre, et disponible en VOD.
La bande-annonce d'Haramiste d'Antoine Desrosières :