Mon compte
    Reacher sur Prime Video : comment on tourne une scène de combat en prison ?
    Emilie Semiramoth
    Emilie Semiramoth
    Cheffe du pôle streaming, elle a été biberonnée aux séries et au cinéma d'auteur. Elle ne cache pas son penchant pour la pop culture dans toutes ses excentricités. De la bromance entre Spock et Kirk dans Star Trek aux désillusions de Mulholland Drive de Lynch, elle ignore les frontières des genres.

    Lancée sur Prime Video, Reacher la nouvelle adaptation des romans de Lee Child a très vite su conquérir son public. Et puisque son pilote a été réalisé par un Français, Thomas Vincent, on en a profité pour décrypter une scène-clé en sa compagnie.

    Keri Anderson / Amazon Studios

    Reacher portée par Alan Ritchson a redonné ses lettres de noblesse au héros de Lee Child après une interprétation controversée de Tom Cruise au cinéma. Et puisque son pilote a été réalisé par Thomas Vincent, le réalisateur français qui s’est illustré sur plusieurs séries dont Versailles et Bodyguard, AlloCiné s’est entretenu avec lui pour un décryptage de scène.

    Notre choix s’est porté sur la première scène en prison. Reacher se retrouve dans la même cellule que Hubble (Marc Bendavid). Ils sont tous deux liés par la même affaire de meurtre. C’est une scène déterminante dans ce premier épisode qui porte un enjeu majeur.

    Reacher
    Reacher
    Sortie : 2022-02-04 | 60 min
    Série : Reacher
    Avec Alan Ritchson, Maria Sten, Serinda Swan
    Presse
    3,2
    Spectateurs
    4,0
    Voir sur Prime Video

    AlloCiné : Vous tournez cette scène dans une cellule qui doit faire à peine 8 m²…

    Thomas Vincent : Cette cellule, c’est un décor évidemment. En fait, on enlève les parois de l’endroit où se trouve la caméra. La caméra est au bout d’une grue qui permet d’avancer et reculer. Et à chaque fois qu’on change d’axe, on enlève un mur, on enlève le plafond, on enlève ce qu’on a besoin d’enlever. C’est assez laborieux comme tournage typiquement.

    C’est un cas d’école les cellules de prison dans les tournages. Il y a deux façons de faire. Soit on va dans une vraie cellule de prison, et on ne peut pas bouger. Ça a un intérêt parce qu’on ressent l’enfermement d’une manière différente. Soit sur ce genre de choses, on est dans un décor et ça permet de travailler, d’avoir des axes assez divers qu’on n’aurait pas autrement. En fait, le jeu c’est quand même de ne jamais sortir des murs. La caméra est à la place du mur mais jamais au-delà.  Sinon ça se voit.

    Comment vous préparez une scène comme ça ?

    Sur des scènes comme ça, j’écris un découpage. Je décris les positions des caméra. De manière relativement précise. Et le matin, on arrive sur le décor, on répète la scène avec les acteurs et après je décris les différents angles sur lesquels on va travailler et la logistique se met en place.

    Oui, c’est drôle cette première image parce qu’Alan est quand même assez imposant, mais plutôt moins dans la vie que dans la série. Il est grand mais c’est pas un géant. Quand on a fait les premiers essais caméra avec lui, on a essayé différents objectifs et puis à un moment, je me suis trouvé avec une focale assez courte et il s’est retourné. Il était en T-shirt, il s’est juste retourné, j’avais son dos face à la caméra et on s’est regardé avec le chef opérateur  et on a fait : "Woaw… !" Le type a un dos, c’est vraiment Batman quoi. Il est très impressionnant.

    Sur cette image, il est en contre plongée. Il apparaît encore plus massif que d’habitude, c’est un choix esthétique que vous faites dès le départ ?

    Oui ! Bien sûr. Alors ce n’est pas tellement pour le rendre grand… Cette série, c’est à mi-chemin entre un western et une série de super-héros. Mine de rien. Alors il n’y a pas de cape, il n’y a pas de revolver… Mais en fait c’est à ça que ça s’apparente. Et ça faisait partie du plaisir d’ailleurs pour moi de faire cette série. Il y a quelque chose d’un vrai classicisme américain  avec lequel je joue beaucoup dans la série. Et ça va avec cette légère contre plongée et cette héroïsation du personnage.

    Là, on s’intéresse à la relation entre le personnage de Reacher et celui de Hubble. Encore une fois, vraiment c’est un archétype du gringalet et du grand costaud. Ça pourrait presque être une version de John Wayne – dans un classique d’un western américain avec cette relation entre les personnages – du grand type sympathique mais on ne sait pas trop s’il est si sympathique et du gringalet à côté. C’est une modernisation de ça finalement.

    Et les acteurs face à Alan Ritchson, vous les avez tous castés pour qu’ils fassent 1,70 m ?

    Oui, on faisait attention à ça. Si un acteur arrivait et mesurait 2 m, on ne le prenait pas. Reacher est censé être le plus grand quand même. Fallait pas déconner avec ça (rires). C’était un véritable enjeu pour la production. Et c’est aussi parce qu’il y avait le précédent avec  Tom Cruise. C’était un enjeu pour la franchise que cette fois-ci on ait un grand Reacher.

    Là, on sort du décor et on est dans la vraie prison. En fait, on a repéré une prison désaffectée au Canada et on a reproduit une cellule dans le décor. À l’identique, presque. Là, il jette un œil et il rentre.

    Ça, ça fait un peu peur…

    Oui, c’était l’idée que ça fasse peur. Plutôt que de montrer là où on se trouve à travers le regard de Reacher, j’ai attendu de le montrer à travers son regard à lui (Hubble). Lui, il a peur. Reacher, il n’a pas peur. Pour lui, de toute manière c’est un anecdotique. Il se dit juste : "Ah merde, il va falloir encore que je me bagarre." Mais lui, il a peur. Et du coup, c’est plus drôle évidemment.

    Ce qui était important, c’est qu’on ait ce truc très typique des États-Unis, des prisons à double étage. C’était ça qu’on voulait. L’idée de montrer cette ampleur, de montrer la fosse aux lions.

    Et là, Reacher remonte dans son lit…

    Oui, parce qu’il y a ce truc chez Reacher, c’est toute l’ironie je pense du personnage, c’est quelqu’un qui se retrouve tout le temps à se bagarrer alors qu’en fait c’est plutôt un mec pacifique. C’est une scène un peu sadique en fait. Le binoclard se fait un petit peu sadiser dans la scène pas tant par Reacher que par le scénariste en fait. C’est le mettre en danger pour mettre en valeur l’intervention de Reacher qui va arriver juste après.

    Et à partir de là, il va se passer quasiment une minute sans qu’on voie Reacher dans la scène…

    Dans le montage final, ils ont un peu changé ça. Moi, dans mon montage, on coupait sur lui à intervalles réguliers avec cette attente : "Il va faire quelque chose ? Bah alors !" On jouait sur ses non-réactions. Et lui, il jouait de "Il va encore falloir que j’y aille. Il va falloir que je descende…" Et le studio l’a enlevé finalement.

    En fait, un des vrais challenges du montage de cet épisode, c’est que le scénario faisait à peu près 64 pages pour une cinquantaine de minutes au final. On s’est donc retrouvé avec un épisode au premier montage qui faisait une heure vingt. Donc ça a été énormément compressé.

    C’est une posture étonnante pour quelqu’un qui est en prison.

    Ça fait partie des règles de Reacher. Il dort toujours sur le dos. Il ne dort jamais sur le côté, jamais autrement. Il y a tout un ensemble de règles sur ce personnage. Certaines viennent des romans, d’autres on les a mises en place parce que ça nous semblait correspondre à sa psychologie. Ici, il s’allonge avec les mains derrière la tête, ce que les psys appellent la pose de l’enfant roi.

    C’est l’arrivée des antagonistes dans la cellule. Comment les avez-vous choisis ?

    Ce n’est pas évident ces castings-là parce que c’est toujours un équilibre entre l’archétype et le réel, surtout quand on fait ce genre de série. Et le studio a accepté qu’on prenne cet acteur. On a hésité entre lui et un mec plus classique, un grand mec bodybuildé, super costaud mais bon… Il ne faisait pas vraiment peur. Et lui, je trouve qu’il a un truc. Il amène instantanément quelque chose de tellement malsain. C’est vraiment gênant et je trouve que ça rend la scène super intéressante. Parce qu’il n’est pas si baraqué que ça, mais il est vicelard quoi (rires). C’est d’autant plus intéressant parce qu’on le voit à travers les yeux du personnage de Hubble et c’est plus terrifiant comme ça.

    Expliquez-nous vos choix de caméra sur ces deux images.

    Dans des décors comme ça, le décor impose des axes de caméra. D’une certaine manière, cet angle-là et celui qui est sous les lits superposés sont les axes narratifs forts de cette situation-là. Sachant qu’il y en avait un autre mais qu’on voit peu, qui est à travers Reacher parce que ça implique sa réaction à lui ou sa non-réaction, mais les angles intéressants, c’était ces deux-là. D’autant que j’aurais pu par exemple dans cet axe-là faire un plan plus rapproché sur le nouvel arrivant mais ce serait changer de point de vue. Ce serait être dans son point de vue à lui, mais ce n’est pas lui notre personnage. Notre personnage, c’est Hubble et possiblement Reacher, mais lui est un intervenant extérieur dans la scène.

    Là, on peut se rapprocher un peu, mais on garde une amorce pour rester à distance du personnage. C’est important. A l’image, c’est le lit superposé. Si vous voyez la même image sans cette amorce, son impact est très différent. On a besoin de rester à distance de ce personnage. Et ça reste une forme du point de vue de Hubble. Alors que sur Hubble, dans le plan suivant, je suis sans amorce. On voit avec lui ce qu’il se passe.

    Ça, c’était le plan rendez-vous. Alors dans le montage final, le studio a choisi de garder la surprise. Mais ça a été tout un enjeu dans la scène de se dire "Mais pourquoi est-ce qu’il n’y va pas plus tôt ? Pourquoi est-ce qu’il le laisse… ?" En fait, il y a une part de méchanceté de la part de Reacher là-dedans. Il aurait pu intervenir immédiatement.

    Mais cette scène c’est un vrai enjeu parce que c’est la première fois qu’on le voit se battre donc on fait monter la tension de manière à ce que le résultat du combat soit le plus spectaculaire possible. Et qu’on veuille le voir, qu’on soit content de le voir. Donc on fait monter les enjeux.

    Là, évidemment, le personnage du taulard, il faut qu’il soit un peu naïf pour que la scène marche. Et cette scène me fait beaucoup rire parce qu’il le traite de séquoia géant à ce moment-là.

    Là, cette scène c’était un vrai enjeu. Parce qu’il y a une attente du spectateur sur ces scènes-là. Sur les histoires de gars qui se tapent dessus, il y a plusieurs écoles. Il y a l’école chinoise, il y a l’école des Bourne Identity, etc – on ressemble plutôt à ça – et puis il y a le degré de réalisme qu’on s’impose. Je voulais que ça soit le plus réaliste possible avec une violence très explosive. Je suis pas un fan de la violence mais si on le fait, il faut que ça ressemble à quelque chose.

    Et là, je trouvais ça vachement bien le fait qu’il tape avec des coups de coudes et pas avec ses poings parce qu’en fait quand on tape avec ses poings, on se fait mal. Et après on a travaillé avec un coordinateur de cascades anglais très bien, qui avait le sens de la bagarre de rue, de la bagarre qui fait mal. Et Reacher, il plaisante pas sur ces trucs-là. Et dans les bouquins, c’est précis. On comprend les choix de Reacher sur comment se battre, quoi faire, qui taper en premier, qui en deuxième, etc. Je suis content parce que cette scène est vraiment réussie de ce point de vue-là.

    Ça, c’est mon point de vue ! (rires) C’est nous et du coup, ce plan c’est la caisse de résonnance de la scène qu’on vient de voir.

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    Commentaires
    Back to Top