Ce n'est certainement pas la couronne qu'on est le plus fier de porter. De tous les pays du monde, les Etats-Unis sont en effet celui qui compte le plus de fusillades de masse. Derrière les deux massacres les plus meurtriers du pays (Las Vegas en 2017 et Orlando en 2016), on retrouve les fusillades qui ont lieu à Virginia Tech (2007) et Sandy Hook (2012), deux établissements scolaires. Au coeur des tragédies à l'arme à feu, c'est donc un autre fléau, également inhérent aux Etats-Unis et à sa politique d'accès aux armes, que l'on retrouve : celui des fusillades scolaires.
En mai 2018, CNN publiait ainsi quelques statistiques pour illustrer l'ampleur du phénomène, notifiant qu'en seulement 21 semaines, il y avait eu en moyenne cette année plus d'une fusillade par semaine en milieu scolaire (où l'on comptabilisait des blessés ou des morts). Le site de la chaîne américaine poursuivait avec d'autres chiffres amers, établissant que, depuis 2009, il y avait eu 288 fusillades ou accidents impliquant des armes dans des établissements scolaires aux Etats-Unis. C'est-à-dire 57 fois plus que les six autres pays du G7 réunis n'en ont comptabilisé durant la même période. A titre de comparaison, le Canada a connu deux événements de cette sorte, l'Allemagne un et le Japon aucun.
Bien évidemment, ces chiffres sont à mesurer puisque les fusillades comptabilisées ne sont pas toutes des tueries de masse, comme celle qui a eu lieu à Parkland, en février dernier. La plupart ne font pas de victimes et implique "simplement" des incidents avec des armes. En revanche, ces chiffres illustrent bel et bien un fléau typiquement américain, directement lié au rapport entretenu par le pays avec les armes et l'exposition précoce des jeunes américains aux armes et, par conséquent, à la violence. Selon une longue enquête publiée en mars par le Washington Post, plus de 187 000 élèves auraient ainsi été exposés à la violence avec armes depuis la tragédie de Columbine, survenue en 1999.
Si ce phénomène remonte toutefois bien plus loin que Columbine, la télévision américaine s'est, ces dernières décennies, grandement emparée du sujet de la violence par arme à feu, plus spécifiquement en milieu scolaire. Des années 90 à aujourd'hui, elle a tenté de l'aborder avec plus ou moins de recul et plus ou moins de sensibilité, alors même que les fusillades scolaires se poursuivaient dans l'horreur, créant encore plus le débat et notifiant l'absence de solutions politiques. Certaines n'ont fait que surfer sur la vague d'un phénomène qui choque sans rien en dire de plus quand d'autres ont tenté d'aller plus loin, tout en essayant de ne pas sensationnaliser ni glorifier les armes à feu, de crainte de générer des copycats.
Un débat qui ne date pas d'hier
Si l'accès de la jeunesse aux armes à feu est un sujet fréquemment abordé par la télévision d'aujourd'hui, il serait faux de croire que la télévision d'hier n'a pas tenté de le faire. Dans l'une de ses premières intrigues marquantes, Beverly Hills est ainsi montée au créneau dès 1991, au travers du jeune Scott, 16 ans, un ami d'enfance de David Silver que ce dernier avait délaissé en démarrant le lycée et en fréquentant le groupe de Brandon, Kelly et compagnie. Dans cet épisode terriblement choquant de la saison 2, Scott, cherchant à impressionner tout le monde lors de son anniversaire, jouait avec l'arme de son père et se tuait par accident sous les yeux de David. La même année, Claude, l'un des élèves des Années Collège, arrivait à l'école avec une arme et se suicidait dans les toilettes après que son ex-petite amie, Caitlin, ait refusé ses avances.
En 1994, alors que la sécurité dans les écoles était discutée et que l'installation de détecteurs de métaux dans les établissements commençait à peine, c'est une comédie familiale, qui allait rarement vers le drame, qui s'était plongée avec courage dans le sujet. Dans La vie de famille (S6, E15), Laura décidait de se procurer une arme à feu pour se défendre après s'être fait rackettée au lycée. Alors qu'Urkel faisait tout pour l'en dissuader, une autre jeune fille, rackettée par la même bande, se faisait tirer dessus, choquant profondément Laura. Un épisode frappant, en forme d'alerte, qui se concluait avec un message délivré par Kellie Shanygne Williams (Laura) et Jaleel White (Urkel) :
"Tous les jours aux Etats-Unis, des enfants sont tués par des armes à feu. Et tous les jours, des enfants de ce pays emmènent des armes en classe. Combien d'entre vous connaissent quelqu'un qui porte une arme ? Si vous êtes au courant d'un crime qui a lieu au sein de votre école, ne l'ignorez pas. Agissez. Si vous connaissez quelqu'un qui porte une arme ou qui en vend, dites-le à quelqu'un. Dites-le à vos parents, à votre professeur ou à un conseiller scolaire. Nous devons agir au sujet de la violence scolaire. Commençons à sauver des vies. Et avant que les armes arrivent dans le paysage, écrasez-les."
Un an plus tard, le sujet était également embrassé par la sensible Angela, 15 ans (S1E3). Alors que les élèves se trouvaient en classe, un coup de feu se faisait entendre dans les couloirs du lycée. Personne n'était blessé - sauf une bouteille de soda dans un casier - mais les parents s'en trouvaient très inquiétés. Au final, comme Laura dans La vie de famille, c'était cette fois Rickie, l'ami d'Angela, trop souvent harcelé au lycée, qui avait eu besoin de se sentir en sécurité dans l'enceinte même de son lycée et avait récupéré une arme via son cousin.
Procedurals, teen dramas...
A partir des années 2000, de plus en plus de séries ont créé des intrigues liées à la violence par armes à feu en milieu scolaire. Etant donné leur durée de vie, les séries procédurales ont évidemment presque toutes imaginé leur propre épisode autour du sujet. Ainsi dans NCIS (2006, S3E18), Esprits Criminels (2011, S7E04), New York Unité Spéciale (2003, S5E02) ou encore Numb3rs (2006, S2E19), on a eu droit à ce genre d'intrigues, créatrices d'impact vu leur forte charge émotionnelle mais bien sont souvent limitées à des ressorts dramatiques courus d'avance.
Etant donné leur ancrage en milieu scolaire, les séries adolescentes ont, elles aussi, eu tendance à aborder le sujet. Tentant de s'impliquer comme son ancêtre, Les années collèges, dans des sujets graves, la canadienne Degrassi : Nouvelle génération (2004, S4E7&8) a dédié un double épisode à une intrigue autour de Rick (Ephraim Ellis), un étudiant systématiquement malmené et humilié par certains élèves qui en venait à ramener une arme et à tirer dans le dos de Jimmy (Drake), un autre élève qu'il pensait être responsable de son humiliation la plus récente. Ce dernier finissait paralysé. Pour mener à bien cette intrigue, que les producteurs voulaient développer depuis des années, ces derniers avaient travaillé avec une experte en matière de harcèlement scolaire.
Douze ans plus tard, la dernière-née de la franchise, Degrassi, Next Class, s'emparait, elle aussi, de cette thématique dans le final de sa dernière saison mais, cette fois, l'adolescent ayant ramené une arme abandonnait finalement son projet. Au total, ce sont tout de même six personnages de la franchise Degrassi qui ont emmené un pistolet à l'école.
En 2006, c'est le teen drama populaire Les Frères Scott qui s'attaquait au débat sur les armes à feu au cours d'un épisode qui a marqué la mémoire des fans. Jimmy Edwards, un élève qu'on ne voyait plus dans le show depuis un moment, prenait alors quelques élèves en otage. En colère contre les plus populaires, celui qui était auparavant proche de Lucas et Micro blessait Peyton puis se retrouvait seul avec Keith, l'oncle de Nathan et Lucas, qui tentait de le raisonner. Jimmy finissait par se suicider. Mais, si les fans se souviennent de cet épisode sous tension, c'est surtout parce que les scénaristes ont, à cette occasion, trouvé le parfait prétexte pour tuer l'un de leurs héros, histoire de créer encore plus le choc. Dan Scott, profitait en effet du geste désespéré de Jimmy pour prendre son arme, tirer sur Keith, son frère, et faire accuser Jimmy du meurtre au passage.
Quand la fiction rejoint un peu trop la réalité
Mais, parce que la fiction rejoint toujours la réalité à un moment donné, certaines séries ayant tenté de s'attaquer à la violence en milieu scolaire se sont parfois retrouvées au coeur d'un troublant timing.
C'est ce qui arrivé à Joss Whedon en 1999 avec la saison 3 de Buffy. L'un des derniers épisodes de la saison, "Voix Intérieure", proposait en effet une intrigue originale dans laquelle Buffy se mettait à entendre les pensées de tout le monde. Dans ce brouhaha continu, une voix finissait par se détacher, une voix qui disait qu'elle tuerait tout le monde le lendemain. Buffy finissait par retrouver Jonathan (Danny Strong), un camarade qui se faisait systématiquement embêter par les autres, en train d'assembler une arme. Pour autant, Jonathan n'était pas le tueur et comptait en réalité se suicider. Après l'en avoir empêché, Buffy mettait la main sur la vraie coupable : la cuisinière du lycée.
Marquant pour les fans, cet épisode devait à l'origine être diffusé le 27 avril 1999 mais étant donné que la fusillade de Columbine, qui avait fait 15 morts, avait eu lieu une semaine plus tôt, sa diffusion a été annulée. L'épisode a finalement été programmé en septembre 1999, peu avant le lancement de la saison 4 aux Etats-Unis.
En 2013, la série adolescente musicale Glee a, elle aussi, imaginé un épisode de la sorte, le premier de la série à se voir estampiller d'un avertissement. Mais s'il n'allait pas jusqu'au sang et restait assez basique, l'épisode a toutefois créé la polémique. Dans cet épisode (S4, E18), des coups de feu étaient entendus lors d'une répétition du Glee Club et le lycée était alors verrouillé. Finalement, aucun drame n'était à déplorer. Si cet épisode a fait parler, c'est surtout parce qu'il a été diffusé seulement quatre mois après la fusillade survenue à l'école primaire Sandy Hook de Newtown. Pour les parents de l'établissement, la production aurait dû prévenir les habitants qu'un tel épisode allait être diffusé afin qu'ils ne soient pas choqués en le découvrant.
A noter qu'en Angleterre, la même année, Channel 4 a également reçu des plaintes concernant le troisième épisode de la saison 1 d'Utopia, figurant une scène de fusillade dans une école, diffusé moins d'un mois après la tuerie de Sandy Hook.
Les séries contemporaines scrutées de près
Glee et Utopia ne sont pas les seules séries à avoir généré des critiques et des controverses juste après leur diffusion. En 2011, une autre série de Ryan Murphy, American Horror Story, prenait tout le monde de court en dévoilant un épisode totalement choc. Dans la première saison, Tate Landgon (Evan Peters), l'un des fantômes qui hante la Murder House, s'éprenait ainsi de Violet (Taissa Farmiga) dans une jolie histoire d'amour impossible. Sauf que l'on découvrait dans le courant de la saison que Tate se trouvait surtout être un sociopathe meurtrier et un véritable monstre. On apprenait les horreurs dont il était coupable et, également, qu'avant sa mort, Tate avait tué 15 de ses camarades de classe du lycée de Westfield en 1994. Faisant référence au massacre de Columbine, cette scène ultra réaliste, que l'on découvre avec horreur dans la série, a surpris certains critiques. Si la plupart ont salué le brio de l'épisode, d'autres ont trouvé dérangeant que la série aille du côté d'une telle réalité au sein d'une saison qui versait d'ordinaire dans l'horreur plus théâtrale.
En 2013, Sons of Anarchy a, elle aussi, fait grincer quelques dents, neuf mois après Sandy Hook. La série de Kurt Sutter, qui n'a jamais lésiné sur la violence et le "too much", a, dès le premier épisode de sa saison 6, offert une scène particulièrement éprouvante pour les téléspectateurs. Dans cet épisode, on découvrait un enfant blond, le fils de la petite amie d'un membre du gang de Nero. Dans les dernières minutes, on le revoyait en uniforme, se préparant à entrer en classe et laissant derrière lui son carnet de notes, bourré de dessins représentant des massacres. Il entrait dans le bâtiment et tirait.
Après un Season Premiere, qui allait déjà très loin en termes de scènes horribles, ces dernières secondes ont donné lieu à des réactions de la part du Parents Television Council (PTC) et de certains téléspectateurs. De son côté, Kurt Sutter a eu le soutien de sa chaîne, les deux parties ayant tenu à ce que la scène en question, que le créateur attendait d'écrire depuis un moment, ne soit pas montrée explicitement. La fusillade, ayant en effet lieu hors champ, fait par ailleurs avancer l'histoire puisque l'enfant utilise un KG-9, liant directement le massacre aux Sons of Anarchy et donnant aux héros matière à réfléchir sur le véritable impact de leur trafic d'armes sur le monde extérieur. "J'ai attendu parce que je savais (...) que ce serait dur d'écrire cette histoire puis de poursuivre plusieurs saisons durant avec ces mecs qui continuent de vendre des armes et de vivre leur vie comme si de rien n'était. Je savais que si on le faisait, il fallait vraiment que ce soit à la fin de la série et, au final, j'ai réalisé que c'était une bonne manière de nous amener vers la fin", avait alors justifié Sutter à EW.
Récemment, c'est 13 Reasons Why qui, à plusieurs niveaux, s'est retrouvée au coeur des discussions. Le 18 mai 2018, Netflix déposait l'intégralité de la saison 2 sur sa plateforme. Quelques heures plus tard, un nouveau drame avait lieu dans un lycée de Sante Fe, au Texas, tuant 10 personnes. Etant donné que le final de la saison figurait justement une intrigue autour d'une fusillade organisée par un élève du lycée, la production a de suite annulé l'avant-première de la série qui avait lieu à Los Angeles. Mais, le timing restait encore bien problématique.
Depuis deux ans, la série construisait autour de Tyler une figure d'adolescent torturé et socialement exclu. Après s'être repenti lors du procès pour Hannah, il nouait des amitiés et finissait par devenir plus attachant. Mais, sa tendance à la violence prenait un tour tragique lorsque, dans le final de la saison, il se faisait agresser sexuellement. Ce viol brutal et choquant le poussait alors à prendre les armes pour se venger de toutes les horreurs et les humiliations qu'il avait pu subir. Armé d'un arsenal d'armes, il débarquait devant le bal du lycée, prêt à tuer ses camarades. Finalement, le drame n'avait pas lieu suite à l'intervention de Clay qui faisait entendre raison à Tyler au risque de perdre la vie.
Si certains ont estimé qu'avec Tyler, le créateur Brian Yorkey montrait très bien comment un adolescent pouvait prendre la voie de la violence, d'autres ont trouvé que Clay prenait une décision bien trop irrationnelle, ce que l'équipe s'est d'ailleurs toujours accordée à dire. Dans cette scène finale, aucune goutte de sang n'était versée et c'est en effet la trajectoire de Tyler qui importait au créateur : "Nous sommes plus intéressés par l'idée de comprendre le chemin de ce personnage que de voir tout cela se terminer de la pire des manières", expliquait-il au Hollywood Reporter, avant la tuerie de Sante Fe.
Pour parler de la violence avec armes à feu sans rendre ces dernières ni trop visibles ni attractives, Brian Yorkey a tenu un délicat jeu d'équilibriste : "Chaque téléspectateur se fera sa propre opinion pour déterminer si nous sommes arrivés à tenir cet équilibre. De notre côté, nous avons fait autant de recherches que nous avons pu".
En 25 ans, les accidents liés aux armes à feu et les fusillades n'ont pas cessé aux Etats-Unis. Maintenant que la télé américaine cherche vraiment à illustrer ce fléau américain avec beaucoup plus de régularité - et plus ou moins de talent - l'attention portée à ces épisodes est autant accru en interne qu'en externe. Délais trop courts entre la diffusion de la fiction et les fusillades de la réalité, épisodes opportunistes et sans sens, répétition d'une même problématique sans solution... Les épisodes qui touchent à ce délicat sujet font en effet systématiquement parler d'eux et, sans surprises, sont regardés à la loupe (la série Heathers en ayant d'ailleurs récemment fait les frais).
Peut-être qu'aujourd'hui, téléspectateurs comme critiques ont besoin de "plus", d'une contextualisation plus poussée pour ne pas rester à la surface du problème des armes à feu aux Etats-Unis, comme ce que fait désormais Murphy avec des saisons entières consacrées à un événement ou au portrait d'un meurtrier (American Horror Story : Cult / American Crime Story : Versace). Peut-être en ont-ils aussi besoin pour conjurer ou méditer l'immense frustration qu'ils doivent éprouver face à un sujet abordé depuis plusieurs décennies et à une épidémie qui ne s'est pas tarit et qui ne semble pas pouvoir trouver de solution en termes de législation.
Dans son final, "The OA" embusquait un tireur en toute poésie :