Le Festival de Cannes bat son plein et les projections s'enchaînent mais ne se ressemblent pas, tant dans la Compétition officielle que dans les sections parallèles. Dans la Compétition officielle, le réalisateur danois d'origine iranienne Ali Abbasi, qui avait fait sensation avec Border à Un Certain Regard, présente aujourd'hui Les Nuits de Mashhad (Holy Spider), un thriller implacable sur une série de féminicides qui avait bousculé l'opinion publique en Iran.
Autre film de la Compétition, celui de Valerie Bruni Tedeschi intitulé Les Amandiers qui raconte les déboires amoureux et professionnels d'une jeune troupe de théâtre passionnée pleine de fougue et de rêve. Hors Compétition, on a vu le duo Virginie Efira - Tahar Rahim pousser la chansonnette dans Don Juan et en Séance Spéciale, le cri du coeur de milliers de jeunes femmes à dénoncer les violences sexistes dans le documentaire Riposte Féministe.
Notre podcast avec Karim Leklou, à l'affiche de Goutte d'or, durant ce Festival de Cannes :
Du côté de la Quinzaine des Réalisateurs, Alex Garland (Ex Machina, Annihilation) présente en séance spéciale un nouveau film de genre visionnaire et choc Men, tandis que Charlotte Le Bon offre son fabuleux premier long-métrage Falcon Lake et enfin La Dérive des Continents avec Isabelle Carré.
A la Semaine de la Critique, c'est le drame fantastique Nos Cérémonies qui a su nous conquérir alors qu'à Un Certain Regard, c'est Davy Chou qui nous a bouleversé avec son Retour à Séoul. Enfin, les premiers épisodes d'Irma Vep d'Olivier Assayas, qui transpose son film de 1996 en format sériel, ont été projetés. Pour cette série produite par HBO et A24, c'est Alicia Vikander qui succède à Maggie Cheung dans le rôle de l'actrice internationale qui joue dans une adaptation des Vampires de Louis Feuillade dans une production française.
Don Juan de Serge Bozon (Cannes Première)
Quand Cannes nous en-chante. Un an après Annette, place à Don Juan. Qui n'est pas vraiment une comédie musicale selon son réalisateur Serge Bozon, qui préfère parler de "film musical" et revisite un autre mythe après Madame Hyde, en y ajoutant quelques chansons. Qui, au début, traduisent le pouvoir de fascination du personnage principal, acteur engagé sur une nouvelle adaptation de la célèbre pièce de Molière et en proie à une rupture amoureuse. Et permettent ensuite aux protagonistes de dévoiler leurs états d'âme. Mis en chantier suite à appel à projets de comédies musicales par le CNC (avec Tralala des frères Larrieu et le futur La Grande magie de Noémie Lvovsky), Don Juan n'est donc pas une adaptation du classique de Molière, dont il prend d'ailleurs le contrepied. Laurent, le personnage principal, est certes un séducteur, mais surtout un amoureux éconduit, qui voit son ex-femme partout. Ou comment relire le mythe à l'aune de #MeToo, en grande partie grâce à sa co-scénariste Axelle Ropert. Devant la caméra, Tahar Rahim et Virginie Efira se donnent corps et âme, dans les dialogues et les chansons (voire la danse pour lui), le temps d'un opus qui pourra déstabiliser quelques spectateurs, vu la manière dont les parties chantées (filmées en gros plan et sans coupe) interviennent et tranchent avec la fantaisie que l'on associe généralement au genre. Mais il est plaisant de voir que le cinéma français a moins peur de s'y attaquer en ce moment. Maximilien Pierrette
Les nuits de Mashhad d’Ali Abbasi (Compétition)
"Tout homme finit par rencontrer ce qu’il cherche à fuir". C’est par cette citation que commence le nouveau film d’Ali Abbasi, quatre ans après son prix Un Certain Regard pour son fabuleux long-métrage fantastique Border. Le réalisateur danois est aujourd’hui en Compétition avec Les nuits de Mashhad, thriller pour lequel il renoue avec ses origines iraniennes en contant l’histoire de Saeed Hanaei, auteur d’une série de féminicides qui a bousculé l’opinion publique dans la ville sainte de Mashhad. Malgré un changement de registre total par rapport à ses films précédents, Ali Abbasi prend à coeur d’insuffler une nouvelle fois une grande humanité à ses personnages, tous victimes d’une culture misogyne. En suivant les trajectoires de Saeed Hanaei, vétéran de guerre se sentant investi d’une mission divine en "nettoyant la ville du péché" par le meurtre de prostituées, et de la journaliste fictive Rahimi, tiraillée entre ses obligations et ses convictions, Ali Abbasi questionne la société iranienne dans toute sa complexité. Par cette affaire tragique, pour lequel Saeed Hanaei était surnommé l’Araignée par la presse iranienne, Ali Abbasi rend compte d’une part sombre mais pas si cachée que ça du traitement des femmes dans la société iranienne grâce à un travail de documentation de plus d’une dizaine d’années. Sa multiplicité des points de vue et sa mise en scène à hauteur d’homme en font un thriller noir organique et bouleversant. Mégane Choquet
Irma Vep (Cannes Première)
Après Twin Peaks ou encore Top of the Lake, le Festival de Cannes accueille une nouvelle fois une série en avant-première et pas des moindres : une production HBO et A24 signée Olivier Assayas. Le réalisateur français transpose son film Irma Vep (1996) dans une mini-série éponyme qui reprend l’histoire d’une actrice internationale se rendant en France pour le tournage d’un remake du classique muet Les Vampires. Pour remplacer Maggie Cheung et Jean-Pierre Léaud dans les rôles principaux, Olivier Assayas a fait appel à Alicia Vikander et Vincent Macaigne, qui forment un duo explosif dans ce mélange entre thriller policier et comédie dramatique. Plaçant le curseur encore plus loin que dans le film original, Olivier Assayas égratigne le milieu du cinéma et livre un discours méta et personnel sur sa vision de l’industrie avec un humour détonant et une plongée fascinante dans les coulisses qui rappelleront aux bons souvenirs des fans de Dix Pour Cent. Dans le rôle de Mira, l’actrice désabusée par sa carrière et sa rupture, Alicia Vikander surprend et se révèle incandescente, déstabilisante et surtout très drôle dans un rôle qui lui permet de dévoiler d’autres facettes de son jeu. Le reste de la distribution, entre Vincent Macaigne, Vincent Lacoste, Nora Hamzawi et Jeanne Balibar, est tout aussi savoureux et apporte du piquant. Mégane Choquet
Men d’Alex Garland (Quinzaine des Réalisateurs)
Après Ex Machina et Annihilation, Alex Garland revient avec une nouvelle proposition radicale et maîtrisée qui suit le chemin de croix physique et psychologique d’une héroïne en perdition. Dans Men, c’est Jessie Buckley qui incarne une femme partie s’isoler dans la campagne anglaise afin de se reconstruire après un drame personnel. Lorsqu’elle se rend compte qu’une présence étrange la traque dans ce petit village paisible, la jeune femme comprend que ses souvenirs violents et ses pires craintes vont ressurgir et transformer ce qui devait être un temps de paix et de résilience en véritable cauchemar. Alex Garland offre une nouvelle fois une expérience cinématographique choc et visionnaire, entre le body horror et le drame psychologique, en convoquant symboles, métaphores et légendes mêlées à l’horreur et le fantastique pour décortiquer les rapports de violence entre les hommes et les femmes. Outre son imagerie travaillée et très graphique sur la renaissance et la reproduction physique et psychique, le cinéaste permet à Jessie Buckley de montrer, s’il le fallait encore, toute l’étendue de son talent et à Rory Kinnear de livrer une palette dingue de représentations de la masculinité. Ajoutant à cela une mise en scène toujours inspirée et envoutante, sur une bande son électrisante, Men est un nouveau tour de force pour Alex Garland. Mégane Choquet
Retour à Séoul de Davy Chou (Un Certain Regard)
Six ans après Diamond Island, son très remarqué premier long métrage de fiction, c'est l'heure de la confirmation pour Davy Chou. Toujours à Cannes, mais dans la sélection officielle (à Un Certain Regard) et non à la Semaine de la Critique. Et plus au Cambodge, mais en Corée du Sud. C'est là que l'héroïne de Retour à Séoul, Freddie, se rend sur un coup de tête à la recherche de ses origines. Sans savoir que cette quête la poussera à questionner son identité. Une histoire qui s'étale sur une décennie et débute en 2011, année au cours de laquelle Davy Chou s'est rendu au Festival du Film de Busan pour présenter Le Sommeil d'Or, son premier long métrage documentaire, en compagnie d'une amie, née en Corée du Sud mais adoptée en France à l'âge d'un an. Et c'est après avoir été ému par des retrouvailles avec son père et sa grande-mère biologiques qu'il a songé à en tirer l'un des plus beaux films de cette édition. Passant avec aisance d'une émotion à l'autre et sachant aussi bien nous faire rire que nous émouvoir, sans perdre de vue le parcours de son héroïne, le réalisateir impressionne. Bien aidé par son actrice principale Ji-min Park, vraie révélation dont le talent éclate notamment dans une magnifique scène de danse, face à laquelle il est difficile de retenir ses larmes. En 2021, Davy Chou était producteur d'Onoda, qui avait fait l'ouverture d'Un Certain Regard et dont beaucoup avaient regretté l'absence en Compétition. Doté de l'une des meilleurs bandes-originales entendues depuis le début de cette édition, Retour à Séoul pourrait prétendre au même titre. Maximilien Pierrette
Les Amandiers (Compétition officielle)
Fin des années 80, Stella, Etienne, Adèle et toute la troupe ont vingt ans. Ils passent le concours d’entrée de la célèbre école créée par Patrice Chéreau et Pierre Romans au théâtre des Amandiers de Nanterre. Lancés à pleine vitesse dans la vie, la passion, le jeu, l’amour, ensemble ils vont vivre le tournant de leur vie mais aussi leurs premières grandes tragédies. Avec son nouveau long métrage, trois ans après Les Estivants, Valeria Bruni Tedeschi nous emporte dans un tourbillon créatif, hommage au théâtre. Un spectacle vivant. Les Amandiers regorge de personnages, une troupe haute en couleur, portée par une magnifique galerie de comédiens, Nadia Tereszkiewicz en tête. Ca bouillonne, ça vit, ça rit. Art et amour se mêlent. Et la notion de consentement semble totalement absente des esprits... Le film se veut le témoin d'une autre époque, celle des années 80, qui sont aussi celle des "années SIDA", maladie qui se taille une place dans l'intrigue. Louis Garrel épate dans ce rôle inspiré de Patrice Chéreau, et porte l'une des plus belles scènes du film, un monologue sur la nécessité de jouer quand on est comédien. Sortie : 9 novembre 2022. Brigitte Baronnet
La Dérive des continents (Au Sud) (Quinzaine des réalisateurs)
Nathalie Adler est en mission pour l’Union Européenne en Sicile. Elle est notamment chargée d’organiser la prochaine visite de Macron et Merkel dans un camp de migrants. Présence à haute valeur symbolique, afin de montrer que tout est sous contrôle. Mais qui a encore envie de croire en cette famille européenne au bord de la crise de nerfs ? Sans doute pas Albert, le fils de Nathalie, militant engagé auprès d’une ONG, qui débarque sans prévenir alors qu'il a coupé les ponts avec elle depuis des années. Leurs retrouvailles vont être plus détonantes que ce voyage diplomatique… Avec La Dérive des continents (Au Sud), présenté à la Quinzaine des réalisateurs, Lionel Baier signe une comédie à l'italienne, comme une forme d'hommage à ces comédies souvent politique des années 60-70. On y rit du langage bureaucratique et le cinéaste suisse pose un regard sur la question des migrants pour mieux y pointer les contradictions de chacun sur ce sujet. Il réunit à son casting Isabelle Carré et Théodore Pellerin, en mère et fils, qui se retrouvent après des années de séparation. Ursina Lardi et Tom Villa entre autres complètent la distribution. Ce film est le troisième épisode d'une "tétralogie caustique et sentimentale" de Lionel Baier qui vient notamment après Les Grandes Ondes (A l'Ouest). Sortie : prochainement. Brigitte Baronnet
Riposte Féministe (Séance spéciale)
Élise à Brest, Alexia à Saint-Etienne, Cécile à Compiègne ou encore Jill à Marseille : elles sont des milliers de jeunes femmes à dénoncer les violences sexistes, le harcèlement de rue et les remarques machistes qu’elles subissent au quotidien. La nuit, armées de feuilles blanches et de peinture noire, elles collent des messages de soutien aux victimes et des slogans contre les féminicides. Certaines sont féministes de longue date, d’autres n’ont jamais milité, mais toutes se révoltent contre ces violences qui ont trop souvent bouleversé leurs vies. Le sexisme est partout, elles aussi ! Séance spéciale engagée à Cannes ! En présence des protaganistes du documentaire, qui ont su animer la projection en applaudissant ou lançant par moments des slogans, le Festival a proposé ce film éclairant, laissant la part belle aux témoignages. En multipliant les mini portraits de groupes, captant des moments de vie, de militantisme, d'échange, de débats, Riposte féministe veut inviter le spectateur à être au plus près de ces groupes. Le film est coréalisé par Simon Depardon et Marie Perennès. Sortie : 9 novembre 2022. Brigitte Baronnet
Falcon Lake de Charlotte Le Bon (La Quinzaine des réalisateurs)
Après son court métrage, intitulé Judith Hotel, Charlotte Le Bon poursuit son chemin derrière la caméra. Elle présente Falcon Lake, adaptation libre d’Une sœur, roman graphique de Bastien Vivès. L’histoire, c’est celle de Bastien, un adolescent français qui part en vacances avec ses parents dans une région reculée du Canada. Il fait la rencontre de Chloé, une jeune fille obsédée par la mort et un fantôme qui rôde. La réalisatrice propose un récit d’apprentissage solaire et délicat avec une vraie singularité. Ici, la mort est partout. Dans les conversations, les blagues, les défis que se donnent les personnages. Elle plane au-dessus de ces héros qui quittent le monde de l'innocence. La morbidité, Charlotte Le Bon la transforme en quelque chose de tendre, comme pour nous réconcilier avec l'idée de la perte, ce sujet encore tabou. Au cœur de ce film, il y a deux révélations : Joseph Engel - déjà apparu dans L’Homme fidèle de Louis Garrel - et Sarah Montpetit, jeune actrice québécoise. Charlotte Le Bon confirme, quant à elle, son talent. Thomas Desroches
Nos Cérémonies de Simon Rieth (Semaine de la critique)
Nos Cérémonies commence comme un conte. Un événement brutal rapproche deux frères déjà inséparables. Des années plus tard, les enfants sont devenus de jeunes adultes. Ils reviennent dans leur ville natale, à Royan, pour enterrer leur père. Mais l’été réserve son lot de changements. L’amour fraternel que se portent les deux personnages sera-t-il plus fort que tout ? Âgé de 27 ans, Simon Rieth réalise son premier film. Nos Cérémonies navigue entre le drame et le fantastique pour mettre en lumière un lien indéfectible plus que jamais menacé. Le jeune cinéaste ne manque pas d’idées de mise en scène et sait proposer des images à couper le souffle. A l’écran, les frères Simon et Raymond Baur imposent leur magnétisme et insufflent une grande sensibilité à leurs personnages. Thomas Desroches