Le 9 novembre 2021, c’est devant un garage Aston Martin que nous avons retrouvé un petit groupe de journalistes européens, tous venus découvrir le studio Illumination Entertainment, à qui l’on doit notamment les films Moi, Moche et méchant.
Et justement, la journée a commencé avec une petite surprise : la présence de Pierre Coffin, le papa des Minions, devant le bâtiment. Après quelques échanges, ce dernier, qui n’est pas impliqué sur Tous en scène 2, nous a souhaité une bonne visite !
Après avoir grimpé quelques étages du mystérieux parking (le réalisateur Garth Jennings nous confiera plus tard ne pas en être revenu la première fois qu’il est arrivé dans ces locaux situés dans un tel lieu), nous sommes arrivés devant les bureaux du studio. Une fois la porte passée, plus de voitures mais des affiches des plus grands succès d’Illumination ainsi que des figurines de toutes tailles de personnages culte du studio et notamment des héros de Tous en scène, Buster Moon et Miss Crawly.
Conduits dans une petite salle de projection, celle-là même où Garth Jennings avait pitché l’idée d’un deuxième épisode quatre ans plus tôt, nous nous sommes installés et avons pu rencontrer plusieurs artistes qui nous ont révélé les secrets de fabrication d’un film d’animation et dont les propos sont rapportés dans le diaporama ci-dessus, accompagnés de concept art et autres images de travail.
Mais avant cela, c’est le réalisateur et scénariste lui-même qui est venu parler de son expérience sur Tous en scène 2, qu’il décrit comme un “projet-passion” et dont le processus de création lui a paru “magique”, pour lui qui ne vient pas du monde de l’animation. C’est avec une bonne humeur communicative que celui qui a chapeauté pour l’occasion une équipe d’environ 500 personnes a répondu aux questions des journalistes.
Comment Bono s’est-il retrouvé impliqué sur le projet ?
On savait qu’on voulait une rock star, comme Bono, mais on ne pensait pas qu'on l'aurait. On a essayé, il a vraiment accroché avec le personnage [du lion Clay Calloway] et il aimait le premier film. Bizarrement, des années avant, je l’avais rencontré à plusieurs reprises parce que je faisais des clips de musique et que j’en avais pitché un à U2 mais ça ne s'est pas fait.
(...) Des années plus tard, on l’a contacté pour [Tous en scène 2] et cette fois ça a marché ! Déjà, j'étais excité par le fait que Bono allait jouer un personnage, et puis après je me suis dit que ça serait génial si on pouvait utiliser des chansons de U2 dans le film.
Je ne pouvais pas y croire.
Je sais que c’est difficile d’avoir la permission pour n’importe quelle chanson, surtout quand c’est un groupe et que tout le monde doit donner son accord, mais il l'ont tous fait et, en plus, Bono m'a dit “Je peux imaginer une chanson pour ça, est-ce que ca serait intéressant ?”. Évidemment, j’ai répondu “Oui, ça serait génial que tu écrives une chanson et que ça parle de tels et tels sujets. Ça irait très bien avec la fin du film”.
(...) [Quand je l'ai entendue], j’ai trouvé que c’était la plus belle chanson que [U2] a écrit depuis 15 ans. Je ne pouvais pas y croire. Je deviens très facilement ému donc j’ai eu les larmes aux yeux parce que je ne pouvais pas croire la chance que j’avais et je pouvais voir toute la fin du film avec cette chanson dans ma tête. Ça n'arrive pas souvent dans la vie, et encore moins dans ce métier, la plupart des choses sont très difficiles à obtenir.
Quelle est l’histoire derrière le choix de I Still Haven't Found What I'm Looking For ?
Ça a toujours été notre chanson de rêve pour finir le show. On l’a arrangé à notre sauce en utilisant des vieux enregistrements du groupe la chantant (...). Puis, on a appelé Miss Johansson [qui joue Ash] en lui demandant si elle voulait bien la chanter en duo avec Bono et elle a accepté. Elle est incroyable, elle sait tout faire parfaitement, c’est troublant.
Il y a un moment dans le film où elle chante la chanson de U2 Stuck in a Moment. C’est une séquence de 2min30, et c’est juste cette chanson, il n’y a pas de dialogue. On a fait 3 ou 4 prises avec une piste d’accompagnement, et à la fin j’ai dit “Est-ce qu’on peut essayer une dernière fois et tu la chantes avec notre ingénieur qui joue de la guitare ?”. Il était un peu nerveux et j’ai prévenu que si ça ne marchait pas, on aurait qu’à l’effacer. Ils l’ont fait et en une prise, c’était parfait. C’est la prise qui est dans le film.
Cela me permet de faire découvrir des chansons.
Y a-t-il eu des chansons dont vous n’avez pas eu les droits ?
Non ! C’est incroyable, on a tout eu, littéralement. Vous y croyez ?! On se dit toujours “Ils ne vont pas accepter”, mais si. On commence avec Let’s Go Crazy de Prince (...), on a du Billie Eilish et des titres plus obscurs. C’est ce que j’aime avec le monde de Tous en scène, c’est que cela me permet de faire découvrir des chansons.
Donc oui, il y a des gros hits mais aussi des choses que vous n'avez jamais entendues ou auxquelles vos enfants n’ont pas encore été exposés. Cela peut être une vieille chanson par un groupe indépendant ou une musique de danse latine, on a de tout.
Comment avez-vous choisi les animaux pour les nouveaux personnages ?
On n’avait pas de lion dans le premier Tous en scène, donc c’était intéressant d’en ajouter un cette fois. Et pour Nooshi (Letitia Wright), on voulait un animal qui reflétait l’énergie du personnage. C’est comme une petite soeur qui ne tient pas en place, donc un chat sauvage correspondait parfaitement, c’est adorable mais aussi fort et rapide. Et pour le personnage de Pharell Williams, on savait que ça allait être un éléphant car Meena (Tori Kelly) devait être attirée par lui. Donc parfois c’est à cause de la logique et parfois à cause de la personnalité.
Pour Darius le yack qui est joué par Eric André, par exemple, il fallait que ce soit un yack parce c’est une vache à grosses cornes et cela va bien avec le personnge, une sorte de macho idiot. On a même fait un court-métrage de lui qui fait des pubs pour son propre parfum appelé "Attraction animale".
I'm Just a Sexy Yack !
Vous savez quoi, en fait, il y a eu une chanson dont on n’a pas eu les droits, je m’en souviens maintenant. On l’a enregistrée et ça nous a été refusé. Cela va probablement me mettre dans le pétrin de le raconter mais à l’origine quand on voyait Darius pour la première fois, il chantait Sexy Back de Justin Timberlake mais on l’avait changé en “I’m Just a Sexy Yack” et ça n’est pas passé. On a dû faire autre chose avec une chanson de Justin Bieber.
Vous jouez un personnage dans le premier film, est-ce qu’on va la voir plus dans cette suite ?
Oui, Miss Crawly ! Effectivement, son rôle est plus important, j’espère que vous n’allez pas penser que c’est à cause de mon ego. Elle a toujours été une sorte de sidekick et les sidekicks sont très utiles parce que tu te retrouves toujours à un point où tu as besoin qu’il se passe quelque chose mais personne ne peut le faire parce qu’ils sont trop intelligents (...), alors tu l’envoies. Tu peux tout faire avec elle.
Elle est adorable mais j’aime surtout ce qu’elle fait ressortir de Buster parce qu’il est vraiment gentil avec elle alors même qu’elle n’est pas très bonne à ce qu’elle fait. Il est loyal envers elle car elle l’a toujours été avec lui, c’est attachant.
Y a-t-il eu des moments où la technique a bridé votre créativité ?
Non, c’est ça qui est extraordinaire. Tout est possible. Le problème n’est jamais de faire quelque chose, c’est d’avoir parfois trop de contrôle. Tu peux toujours fignoler. Il faut savoir quand s’arrêter et parfois tu dois tricher et dire "On n’a pas le temps de faire ça comme on le voulait à la base, mais ça ne casse pas le charme de le faire ainsi". Tout ne peut pas être absolument au même niveau, comme la foule dans le fond des plans. (...) Il faut choisir ses batailles, comme les gros plans, là, tu ne fais pas de compromis.
On a tous besoin de moments merveilleux en ce moment.
Que pensez-vous du fait de redoubler le film pour chaque pays ?
Je pense que quand tu fais un film comme ça, c’est destiné à un gros public et particulièrement des enfants donc je pense que les sous-titres pourraient poser problème, cela limiterait qui peut avoir cette expérience. Donc tu le doubles pour les autres territoires mais tu dois aussi respecter la culture où tu vas. Le plus important pour moi c’est que cela fonctionne pour les personnages, que la dynamique et l’histoire soient préservées (...).
En France, Mr. Crystal [le vilain du film] est joué par un acteur qui s’appelle Damien Bonnard. Je l’adore, j’ai fait un court-métrage avec lui il y a quelques années et je le trouve fantastique. Sa voix ne sonne pas comme celle de Bobby Canavale [qui fait la voix originale], parce que personne n’a une voix qui lui ressemble, mais il a la même capacité à accéder à ce ton qui provoque la peur que le public français trouvera authentique. C’est la chose la plus importante.
Quelles leçons aimeriez-vous que le public tire de cette suite ?
Déjà, j’espère que les spectateurs vont passer un merveilleux moment et ça sonne comme une réponse barbante mais c’est très important, et je l’espère vraiment. On a tous besoin de moments merveilleux en ce moment, et je pense qu’il y a des leçons à retenir bien sûr. Tu ne peux pas te lancer dans un voyage comme ça, sans apprendre de sérieuses leçons.
C’est bien beau de dire “rêve de grands rêves” mais si tu vas les suivre, tu as intérêt à être prêt à un voyage difficile et tu dois savoir ce qu’il faut donner pour y arriver et en qui avoir confiance ou non. (...) C’est important pour nous que le film résonne comme quelque chose de plus fort que simplement du divertissement. Que ce soit un enfant de 5 ans ou ma grand-mère, je veux que les spectateurs l’emportent avec eux.
Du storyboard à l'éclairage : les étapes de la fabrication
Boris Jacq, l’un des trois superviseurs des graphismes numériques de Tous en scène 2, a été le premier intervenant à nous parler. Il a commencé par nous expliquer son rôle - s’assurer que tout, des personnages aux décors, est bien au point en 3D - puis nous a rapidement indiqué les étapes de création pour chaque plan du film. Tout débute avec un storyboard, puis le layout (qui est la première étape en 3D), ensuite vient l’animation et enfin l’éclairage. Toutes les étapes sont validées par le réalisateur Garth Jennings. Boris Jacq nous a également montré comment sont créés les personnages, du dessin initial d’Eric Guillon au résultat final (contenant de nombreux détails), en prenant l’exemple de Clay Calloway. Pour ce film en particulier, le challenge était d’avoir des héros avec de la fourrure (voire une crinière dans le cas de Clay !) et des vêtements. Et avant de passer à l'animation, chaque personnage a droit à son "cycle de marche", une étape qui permet de vérifier que tout son corps, du visage aux mains, bouge de façon naturelle.
Créer une ville à la Las Vegas : un challenge pour le directeur artistique
Le directeur artistique Olivier Adam a évoqué avec nous l’un des plus gros challenges de son département, qui inclut environ 50 artistes, sur ce film : travailler sur la création d’une grosse ville nommée Redshore City, basée sur Las Vegas. Le département artistique est, en outre, celui dont les créations servent ensuite à tous les autres départements, il s'agit donc d'un travail intense.
Tout commence avec un concept art
Pour chaque moment clé du film, le département artistique crée des concept art pour définir l’apparence de la scène. Une fois qu'ils sont validés, l’équipe commence à les transformer en images 3D tout en vérifiant que l’émotion visible dans les dessins peut bien être traduite en 3D. Les artistes donnent des indications à ceux qui réaliseront l’étape suivante, en marge des dessins. De véritables photos sont souvent ajoutées pour avoir des références. Les concept art commencent toujours par des sketchs, pour explorer différentes idées, différentes atmosphères. Et c’est le réalisateur qui choisit ceux qui correspondent le plus à sa vision. Le département artistique s’occupe donc des décors mais également du design, des costumes et de tous les personnages imaginés par Eric Guillon.
Plus de concept art qu'il n'en faut
Différentes versions du Crystal Hotel nous ont été montrées, en plus de l’option ci-dessus qui a été retenue pour le long-métrage. Parfois, le scénario change en cours de production, et des concept art développés pour certains lieux ne sont finalement pas utilisés. Au moment où le département artistique commence son travail, les storyboards peuvent être déjà créés mais ce n'est pas toujours le cas. Et dans ce cas là, le concept art peut inspirer la personne qui réalise le storyboard. C’est le co-réalisateur, Christophe "Zebe" Lourdelet, qui était à la tête d’une toute petite équipe chargée du storyboard. Pour son travail, qui consiste notamment en des milliers de dessins, il se base sur le scénario et collabore directement avec le réalisateur et scénariste Garth Jennings afin de trouver le meilleur moyen d’exprimer ce qu’il veut à l’écran.
Un bureau à l'image de son propriétaire
Pour le bureau de Mr. Crystal, le réalisateur voulait quelque chose de très baroque, audacieux et décoré à outrance, nous a expliqué Olivier Adam.
Un sentiment de magie
Pour la scène où Buster présente le show qu’il veut créer, le réalisateur souhaitait qu’il ouvre un livre pop up dont il tourne les pages. Le but des artistes à ce moment-là n’était pas d’être fidèle à ce qu’allait réellement être le spectacle, mais de transmettre un sentiment de magie.
Des vrais danseurs comme exemple
Patrick Delage, le directeur d’animation, nous a parlé de son rôle dans la production qui est notamment de travailler avec ceux qui créent les personnages afin d’être sûr qu’il y aura assez de possibilité pour exprimer des émotions lors de l’animation. Chaque personnage est animé par 30 artistes que Patrick Delage supervise afin que les héros soient bien respectés. Il nous a également appris que pour les nombreuses scènes de danse du film, de véritables danseurs ont interprété les chorégraphies afin que les animateurs aient une référence sur laquelle se baser pour leur travail.
Des éclairages les plus réalistes possibles
Enfin, Nicolas Brack, le directeur de l’éclairage et du compositing, nous a fait une démonstration de son travail sur la lumière en prenant l’exemple d’une des séquences de la fin du film : la performance de Johnny lors du spectacle monté par la troupe dans un immense théâtre. Le but de l’équipe de Nicolas Brack était de rendre la séquence la plus réaliste possible, simulant ainsi 800 lumières qui éclairent tout l’auditorium, de la salle à la scène.