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    Où est Anne Frank ! : 6 photos du film d'animation commentées par le réalisateur Ari Folman
    Maximilien Pierrette
    Les images de synthèse de Pixar, les marionnettes de Laïka, la pâte à modeler d’Aardman, les dessins faits à la main des classiques de Disney, les envolées de la saga Dragons… Depuis son enfance, les rendez-vous avec l’animation sont des moments sacrés qu’il ne rate que rarement.

    Huit ans après "Le Congrès", Ari Folman est de retour avec "Où est Anne Frank !". Un film d'animation passé par Cannes sur lequel il revient avec nous, avant d'en commenter six photos.

    Le Pacte

    Trois longs métrage en treize ans, c'est très peu pour un cinéaste qui a marqué les esprits comme Ari Folman l'a fait grâce à Valse avec Bachir en 2008. Mais c'est le prix à payer pour que ses projets, ambitieux et parfois hors-du-commun, puissent voir le jour.

    Huit ans après Le Congrès, le cinéaste israélien est revenu au Festival de Cannes pour présenter Où est Anne Frank !, film d'animation librement inspiré du célèbre journal. L'occasion pour lui de dresser un parallèle avec le présent, grâce à cette histoire à laquelle sa famille est liée.

    Où est Anne Frank !
    Où est Anne Frank !
    Sortie : 8 décembre 2021 | 1h 44min
    De Ari Folman
    Avec Ruby Stokes, Emily Carey, Michael Maloney
    Presse
    3,2
    Spectateurs
    3,0
    louer ou acheter

    AlloCiné : Lorsque vous avez présenté le film au Festival de Cannes, vous avez dit être lié à l'histoire d'Anne Frank car vos parents ont été déportés le même jour que sa famille. A quel moment avez-vous commencé à songer à en faire un film ?

    Ari Folman : Ce n'était pas mon idée. J'ai été approché par la Fondation Anne Frank à Bâle et les représentantants de la famille m'ont dit qu'ils m'avaient identifié plusieurs années auparavant, après Valse avec Bachir, pour raconter cette histoire dans un film d'animation. Mais je ne voulais pas le faire.

    Je pensais que tout avait déjà été dit et fait à son sujet, et que ça n'était pas pour moi. Mais, petit à petit, je me suis laissé convaincre et j'ai accepté à trois conditions : que le film s'adresse aux jeunes enfants, âgés de 10 ans. Puis Anne Frank est aussi une icône car personne ne sait ce qu'il lui est arrivé entre le jour de sa capture et celui de sa mort. Cette période de sept mois n'a jamais été racontée, y compris dans le film tourné en 1959.

    Le dernier acte devait se dérouler à Bergen-Belsen mais Otto Frank, son père, l'a fait couper après avoir vu les projections test, en disant aux producteurs que si cela restait dans le film, personne ne viendrait le voir car c'était trop rude. Donc je voulais raconter cette histoire. Et la troisième condition était de lier passé et présent. Pas pour faire des comparaisons, mais montrer comment on peut faire naître de la compassion envers les enfants des zones de guerre d'aujourd'hui.

    Combien de temps a-t-il fallu pour le film aboutisse ?

    Huit ans.

    Et à quel moment le film a-t-il pris la forme que nous connaissons aujourd'hui, dans cette optique de mêler passé et présent ?

    La première version du scénario ne parlait pas de la crise des réfugiés - car je l'ai écrite en 2014 - et le dernier acte était totalement différent : il était alors influencé par une histoire que j'avais entendue en Bosnie. Puis, alors que nous avions déjà commencé à travailler sur le film, nous avons fait face à des problèmes de financement, ce qui a causé beaucoup de retard. Et c'est pendant ces délais que la crise des réfugiés a commencé en Europe, donc j'ai de nouveau réécrit le dernier acte avec la partie concernant Ava, et en fonction de la manière dont les choses évoluaient.

    L'animation est un outil formidable pour faire de l'art avec des sujets très difficiles

    C'est donc pour cette raison que votre film ressemble à un avertissement. Une manière de dire à la population mondiale qu'il y a peut-être d'autres Anne Frank dans le monde dont on ignore l'existence car on a presque oublié la vraie.

    Exactement ! Et dans le scénario original, il y avait une compétition pour déterminer qui allait être la prochaine Anne Frank dans les zones de guerre. Mais c'était trop dur, trop cynique, et je suis content que ce soit sorti du film.

    Vous êtes-vous fixé des limites par rapport au sujet que vous abordez dans le film ?

    La chose la plus difficile pour moi, en tant que réalisateur, a été les camps de concentration. Comment les montrer pour que cela fonctionne auprès des enfants, pour symboliser la vérité plutôt que d'entrer en compétition avec elle. Car vous ne pouvez pas le faire et montrer comment c'était vraiment, parce que personne ne peut vraiment le comprendre.

    Parvenir à comprendre cela et établir un parallèle avec la mythologie grecque, m'a pris du temps. Et je pense que mes limites ne devaient pas être faibles. Être dans le symbolisme tout en respectant la dignité de l'histoire. Pas seulement dans le scénario, il fallait également le visualiser correctement.

    J'imagine qu'il était évident pour vous, dès le début, que vous en tireriez un film d'animation ?

    Bien sûr.

    Pensez-vous que l'animation soit plus puissante pour parler de sujets aussi durs ? De la même manière que la métaphore peut avoir plus d'impact qu'une approche plus frontale, documentaire.

    Oui et je l'ai appris au cours de ma carrière. Dès Valse avec Bachir, lorsque j'ai pris la décision d'en faire un film d'animation - si je ne l'avais pas fait, nous ne serions pas face à face aujourd'hui, c'est certain. Quand je l'ai fait à l'époque, je n'en connaissais pas toutes les implications. Aujourd'hui, le film est utilisé dans un processus thérapeutique pour des soldats atteints de syndrome de stress post-traumatique.

    On leur projette le film et ils parlent de leurs sentiments, et cela n'aurait pas pu être fait si ça n'était pas de l'animation. Aucun acteur de chair et d'os n'aurait pu déclencher le même processus émotionnel en eux, alors que l'animation créé un filtre grâce auquel vous pouvez vous identifier, grâce auquel vous pouvez vous connecter aux personnages. Ce que les prises de vues réelles ne permettent pas, donc l'animation est un outil formidable pour faire de l'art avec des sujets très difficiles.

    AlloCiné

    Le style est ici très différent de celui de "Valse avec Bachir" ou "Le Congrès". Qu'est-ce qui vous a conduit à ce look visuel ?

    L'obsession de réaliser un grand film d'animation (rires) Le design est plus stylisé et moins réaliste, mais on ne pouvait pas aller trop loin dans ce sens, car Anne Frank est une icône et tout le monde sait à quoi elle ressemblait. Donc vous ne pouvez pas la réinventer. Mais nous avons concentré beaucoup d'efforts dans la conception et l'apparence des personnages, afin que l'animation soit aussi parfaite que possible. C'est aussi pour cela qu'il a fallu autant de temps et d'argent.

    Comment avez-vous sélectionné les chapitres du "Journal d'Anne Frank" que vous vouliez transposer en animation dans le film ?

    La sélection s'est faite quand nous avons conçu le roman graphique [en 2017]. A ce moment-là, je savais que je ne pourrais pas transposer l'intégralité du livre original en bande-dessinée. Cela ne marcherait jamais. Je me suis alors fixé une règle : trente pages du journal devaient en occuper dix dans la bande-dessinée. Donc la sélection était déjà faite lorsque nous avons réalisé le film, et je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit qui n'était pas dans le roman graphique.

    Il n'était pas prévu que j'en fasse un. Cela n'a jamais fait partie du deal. J'ai juste développé le film et, comme nous avions dépensé beaucoup d'argent pour le développement et que nous ne pouvions pas augmenter le budget, nous nous sommes dit que nous avions les dessins, donc pourquoi ne pas en tirer une bande-dessinée. Et si celle-ci marchait, elle pourrait convaincre les distributeurs d'investir dans le film. Car personne ne m'a cru capable de faire un film d'animation pour enfants sur ce sujet.

    Donc nous avons fait le livre. Qui a été traduit en six langues et vendu à 1,5 million d'exemplaires. Et les distributeurs ont réalisé que j'avais raison. Donc ils ont investi dans le film. Mais sans le roman graphique, nous n'aurions pas pu le faire. Personne n'y aurait cru.

    Et maintenant le film sort en salles, avec un vrai accompagnement pédagogique.

    Oui, chaque distributeur du film - dont Le Pacte en France - a reçu, gratuitement grâce à la famille d'Anne Frank, la première version du roman graphique. Et il y en a une seconde en magasin, qui raconte l'histoire du film. Il y aura deux autres livres à destination des enseignants sur le sujet : un pour eux, un pour les élèves. Il suffit de prendre contact avec le Ministère de l'Education, mais tout est fait pour les enfants du monde entier. Et je sais que cela se fera en France, qui est un pays culturel.

    Anne Frank n'était pas une icône, on a fait d'elle une icône

    Pourquoi avoir choisi ce titre, et notamment son point d'exclamation à la fin ?

    Ce n'est pas moi. J'avais choisi "Où est Anne Frank", sans point d'interrogation. Et c'est ainsi qu'il sortira dans mon pays. Je craignais qu'avec un point d'interrogation, en tentant d'imaginer ce que serait le film, il pourrait y avoir cette idée d'enfants qui cherchent Anne Frank avec des lampes torches, sous un tapis dans un grenier d'Amsterdam.

    Avec un point d'exclamation, c'est une affirmation : où est Anne Frank aujourd'hui, alors que les sociétés s'effondrent et que des réfugiés sont refusés par des pays qui les renvoient chez eux ? C'est comme un cri du cœur. Et c'est une idée du distributeur français que de mettre ce point d'exclamation.

    Pour moi ce titre s'accorde aussi avec la manière dont vous questionnez les icônes et leur signification.

    Absolument. Ce choix qui a été fait en France est très fort je trouve.

    Et cela prolonge ce que vous disiez, avec les acteurs, dans "Le Congrès". Qui est toujours d'actualité à l'heure où l'on parle de ressusciter James Dean dans un film.

    Ces derniers jours, j'ai revu des journalistes qui m'avaient interviewé pour Le Congrès il y a huit ans, sans jamais y avoir pensé, car j'étais trop occupé par l'Holocauste. Mais je pense que les machines ont perdu. En 2013, beaucoup de journalistes me disaient que j'avais raison et que les acteurs allaient disparaître, remplacés par des images de synthèse dans les dix années à venir.

    "Le Congrès", signé Ari Folman en 2013 :

    Et finalement non. Vous ne pouvez pas financer un film sans acteur de chair et d'os. La technologie est là depuis longtemps, mais vous ne pouvez pas faire un film sans Léa Seydoux ou Camille Cottin. Vous ne pouvez pas les créer avec des machines. Heureusement d'ailleurs. Mais que pensez-vous qu'il va arriver avec la manière dont le cinéma se transforme, le streaming et les mauvais résultats des film d'Art&Essai en France ?

    C'est un peu inquiétant car, au box-office, il y a un succès chaque semaine mais les autres films sont en difficulté. Et je crains que les producteurs ne renonçent à ce que l'on appelle les films du milieu, pour privilégier les grosses machines ou les tout petits budgets. Et vous ?

    J'y pense tout le temps, car c'est la première fois que je faisais un film familial, et la première fois que je pensais au public dans chaque scène. Je n'y avais jamais pensé avant. Il se trouve que j'ai vu tous les films en Compétition à Cannes cette année, après le festival, j'y ai vu la réponse du cinéma d'Art&Essai au streaming.

    L'année était difficile, et pourtant vous avez Titane, Memoria, Drive My Car, Le Genou d'Ahed… Rien ne pourrait être destiné au streaming. À des musées à la rigueur, car c'était vraiment de l'art pur. Sans oublier Annette, mon préféré et de loin. Mais je me dis que si personne ne peut produire ce genre de film avec des petits budgets, ce cinéma va mourir. Personne n'ira investir dix millions d'euros dans des film d'Art&Essai qui seraient à Cannes mais que personne n'irait voir. Donc on peut être contre le streaming, très bien. Mais il faut apprendre à faire ce cinéma avec des budgets bas, sans quoi il ne survivra pas. C'est la leçon que j'ai apprise.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 23 novembre 2021

    "OÙ EST ANNE FRANK !" : 6 PHOTOS COMMENTÉES PAR ARI FOLMAN

    Combiner le réel et l'animation

    C'est ma scène préférée du film ! La scène 50, où la caméra monte et révèle la maison avant de sortir. Mon idée initiale était de créer des arrière-plans en stop-motion et des personnages en 2D, pour la première fois. Et nous l'avons fait avec l'équipe qui a conçu Fantastic Mr. Fox et L'Île aux chiens avec Wes Anderson. Nous avons fait des essais à Londres et je suis tombé amoureux du stop-motion, donc je me suis dit : "Pourquoi ne pas tout faire en stop-motion ?" Nous avons passé une autre année à faire des scènes avec des marionnettes, mais c'était trop cher donc je suis revenu à mon idée initiale. Et j'ai donc perdu une autre année. Mais j'aime vraiment cette combinaison, et je pense que l'utilisation du stop-motion est parfaite dans un endroit tel que le grenier où ils se cachaient, car c'est comme se cacher dans une boîte d'allumettes : vous devez remplir la cachette de la matière dont elle est faite. C'est pourquoi j'aime l'idée du stop-motion.

    Le pouvoir de l'imagination

    Cela illustre cette idée de passage à l'âge adulte pour ces deux filles. Quand je regarde cette image, je vois ma plus jeune fille, qui a 14 ans, qui bavarde sans fin avec l'une de ses amies dans sa chambre pendant le coronavirus. Elles parlaient de leurs mères, des garçons, des filles, de l'école… C'était charmant, et cette idée de grandir en captivité fait écho à la relation entre les deux personnages du film.

    Représenter les nazis

    Il a été très difficile de trouver comment montrer les nazis dans le film. Dans les premières scènes, pendant la période de développement, c'était des microbes rampant sur le sol. Mais c'était trop symbolique et pas très intelligent. Je cherchais quelque chose de plus humain, mais s'ils l'étaient trop, cela devenait aussi une affirmation sur leur moralité et qui ils étaient dans la vraie vie. J'ai donc appelé ma mère et je lui ai demandé : "Comment voyais-tu les nazis dans les camps, quand tu étais adolescente ?" Elle m'a répondu qu'elle pensait qu'ils ressemblaient à des dieux. Très grands, avec des proportions parfaites. Sans expression faciale parce que ce sont des dieux. Et que quand la guerre était terminée, elle avait suivi le jugement des commandants des camps dans lesquels elle était, pendant les Procès de Nuremberg, et a vu qu'ils étaient juste des gens normaux. Certains d'entre eux étaient laids. Certains d'entre eux étaient vraiment petits. Ce n'était rien de ce qu'elle avait imaginé auparavant. Je me suis basé sur sa réponse pour concevoir leur apparence.

    Faire passer le message du titre

    C'est la connexion entre les générations du passé et du présent. Anne Frank dédie son journal à son amie imaginaire Kitty, qui le transfère à son amie Ava, réfugiée du Mali, en Afrique centrale, et qui elle-même le transmet aux générations suivantes. Le transfert s'incarne dans ce plan. Et le gars, Peter, si l'on se base sur les termes actuels, c'est un activiste. Si un ado, n'importe où dans le monde, vient voir mon film et se dit que ce type est cool, qu'il veut être comme lui et aider à sauver des réfugiés, j'aurais fait mon travail de cinéaste.

    Un défi animé

    C'est la parade des garçons, pendant la partie amusante du film. C'est la scène la plus difficile que nous ayons faite. Il a fallu dix-huit mois pour l'animer, et vous avez ici plus de soixante-dix couches de compositing [procédé consistant à mélanger plusieurs sources d'images sur un plan unique, ndlr] juste pour la faire bouger. Mais je pense qu'elle apporte quelque chose au personnage d'Anne Frank. Elle n'était pas une icône, on a fait d'elle une icône. En tant que jeune fille, elle était intelligente et très drôle. Mais elle était aussi méchante. Elle savait identifier les faiblesses des personnes âgées, pour les frapper ici ou là. C'était juste une personne normale, pas une icône. Elle était complexée comme une enfant qui passe à l'âge adulte. Et cette scène montre son rêve que tout le monde l'aime et la suive toute la journée. Que tout change.

    Dessiner la noirceur

    Cela montre la dégradation de la situation des juifs en Europe au début de la guerre. Vous pouvez immédiatement voir la séparation, avec la voie réservée aux juifs qui marchent sous la pluie, tandis que les autres peuvent utiliser le tramway à Amsterdam.

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