Sixième jour de ce 74e Festival de Cannes. Le soleil tape toujours aussi fort, les films, eux, continuent de fleurir sur les écrans de la Croisette. Pas de scandale notable aujourd'hui, mais un événement majeur : la présentation du nouveau film d'Emmanuelle Bercot, De son vivant, avec Benoît Magimel et Catherine Deneuve. Un projet peu commun pour la grande actrice française puisque la production fut interrompue en plein tournage suite à son accident vasculaire cérébral (AVC). Dans ce mélodrame assumé, elle incarne une mère qui se tient au chevet de son fils en phase terminale.
Dans les autres découvertes de la journée, il y a le retour de l'Italien Nanni Moretti, lauréat de la Palme d'Or en 2001 pour La Chambre du fils. Habitué du Festival, il foule le tapis rouge pour Tre Piani, qui s'intéresse aux vies bouleversées des habitants d'un immeuble à Rome. Après l'accueil compliqué de ses Filles du soleil, présenté ici-même en 2018, la Française Eva Husson présente Mothering Sunday, son premier long métrage anglo-saxon avec Colin Firth, Olivia Colman et Josh "Prince Charles" O'Connor.
Également au programme, deux films de la Quinzaine des Réalisateurs : la romance Ali & Ava de Clio Barnard inspirée du cinéma de Rainer Werner Fassbinder; le documentaire politique Retour à Reims (Fragments) narré par Adèle Haenel ou encore le choc horrifique norvégien The Innocents réalisé par Eskil Vogt.
De son vivant d'Emmanuelle Bercot (Hors compétition)
Deuxième collaboration de la réalisatrice Emmanuelle Bercot avec son actrice Catherine Deneuve, De son vivant retrace le parcours sur un an d'un homme (magistral Benoît Magimel) condamné à un cancer et obligé malgré lui de l'apprivoiser et d'appréhender sa mort. A ses côtés sa mère qui doit accepter l'inacceptable et donc la souffrance est intolérable, son médecin cancérologue qui a tout compris à ce que devient la vie quand elle s'approche de la mort, et une infirmière (Cécile de France) plus aimante qu'attendu. Derniers gestes, mise en ordre de sa vie, acceptation de la séparation, de son corps qui se dégrade, doutes extrêmes, désespoir, sidération : la réalisatrice titille nos angoisses les plus profondes, assumant sans gêne son goût pour le mélodrame. Mélodrame contrebalancé par des scènes légères, de respirations, de musiques ou de danses qui font du bien là où le reste a fait mal. Difficile de retenir ses larmes tout de même... Laetitia Ratane
Mothering Sunday (Cannes Première)
Après Bang Gang et Les Filles du soleil, Eva Husson revient avec une proposition radicalement différente : Mothering Sunday, un film d’époque assez épuré et délicat qui suit le parcours de Jane une jeune bonne orpheline dans une petite ville d’Angleterre encore meurtrie par la Première Guerre. A travers un moment clé de sa vie, impliquant son amant Paul, fils d’aristocrates, le film raconte comment elle a réussi à s’extirper de sa condition sociale pour s’accomplir en tant qu’écrivaine. Appuyé par une réalisation léchée et une esthétique très travaillée, ce drame romantique bénéficie d’une musique troublante et d’un montage extrêmement soigné. Les acteurs Odessa Young et Josh O’Connor, soutenus entre autres par Olivia Colman et Colin Firth, sont sublimés dans ce récit grâce à de très belles séquences qu’Eva Husson met en forme pour traiter de sujets plus sombres comme la perte, le deuil, la mort et les regrets. Mégane Choquet
Ali & Ava de Clio Barnard (Quinzaine des réalisateurs)
8 ans après Le géant égoïste, présenté à la Quinzaine des réalisateurs, Clio Barnard revient avec Ali & Ava, romance très librement inspirée de Tous les autres s'appellent Ali de Rainer Werner Fassbinder. Ce film est ancré dans le Nord de l'Angleterre, précisément dans le Yorkshire, à Bradford, ville marquée par des émeutes raciales au début des années 2000. La cinéaste filme avec beaucoup de grâce cet endroit, où ces deux âmes en peine vont apprendre à se connaitre. Ali & Ava est un film très lumineux, qui laisse une belle place à la musique, moyen qui va permettre à cet homme et cette femme d'apprendre à se découvrir, et s'aimer. Brigitte Baronnet
The Innocents d'Eskil Vogt (Un Certain Regard)
Attention choc ! Venu de Norvège, comme Julie (en 12 chapitres), dont Eskil Vogt est le co-scénariste. Il signe ici son deuxième long métrage en tant que réalisateur, et n'a pas manqué de couper le souffle des spectateurs avec ce drame surnaturel dans lequel des jeux d'enfants tournent à l'horreur. Comme si Chronicle rencontrait Thelma de Joachim Trier (déjà co-écrit par Vogt), avec moins de found footage et des gamins plus jeunes et flippants. Dès les premières secondes de The Innocents, le metteur en scène installe une angoisse sourde dans le HLM où se déroule toute l'action, et il ne desserre pas son étreinte avant les dernières secondes. Focalisé sur la notion de regard, entre celui des personnages principaux et ce qu'il choisit de faire voir aux spectateurs, Eskil Vogt intrigue, hypnotise et choque en ne faisant aucune concession. On ressort de la séance secoués, mais contents d'avoir assisté à un film aussi réussi. Maximilien Pierrette
Retour à Reims de Jean-Gabriel Périot (Quinzaine des Réalisateurs)
Pour son quatrième long métrage, Jean-Gabriel Périot adapte le roman de Didier Éribon, Retour à Reims. Il ne s'agit pas ici d'une adaptation cinématographique classique, mais une reconstruction des jeunes années de l'auteur, issu de la classe ouvrière, grâce à des images d'archives de tous horizons, extraites de films comme d'anciens reportages. Le film, véritable mine d'or pour ces extraits rares d'une France du passé, est un cri de colère pour honorer les "invisibles" de ce pays. Il parvient, surtout, à créer un lien puissant et alarmant avec notre présent. À la narration, on retrouve la voix d'une génération déjà engagée : Adèle Haenel. Thomas Desroches
Tre Piani de Nanni Moretti (Compétition)
Vingt ans après la Palme reçue par La Chambre du fils, Nanni Moretti est en lice pour le doublé. Il a d'ailleurs sagement laissé passer une année pour faire partie de la sélection 2021, au lieu de se contenter d'un label ou d'un passage par Venise. Le revoici donc avec Tre Piani, adaptation du roman israélien "Trois étages" dont il transpose l'action de Tel Aviv à Rome. Mais il est toujours question de trois familles vivant dans le même immeuble et bouleversées par une série d'événements, dans un récit étalé sur dix ans. Des histoires parallèles qui ne s'entrecoupent presque jamais et permettent au cinéaste d'évoquer plusieurs thèmes, dont la parentalité et l'amour. Mais les segments se révèlent d'un intérêt inégal. Si celui emmené par Nanni Moretti et Margherita Buy emporte l'adhésion et nous offre les scènes les plus émouvantes, ce n'est pas le cas des autres. Si bien que l'alternance nuit au rythme, alors que la simplicité du récit en devient l'un de ses défauts. Petite déception que ce mélodrame choral pur donc, dans lequel le savoir-faire du réalisateur ne s'exprime que par intermittences. Maximilien Pierrette