Derrière la lumière des projecteurs, le strass des paillettes et le glamour des tapis rouges, existe une autre histoire du mythe hollywoodien. Celle des rêves déchus, des faits divers sordides et des carrières éphémères, des talents étincelants oubliés du jour au lendemain ou encore ceux qui n'ont jamais connu la gloire, ne serait-ce qu'un court instant...
Après Frances Farmer et Grace Lee Whitney, notre feuilleton consacré aux victimes du système hollywoodien s'intéresse cette fois-ci au comédien Brendan Fraser. A la tête de blockbusters comme La Momie ou de drames comme Collision, Fraser a connu un déclin en 2003 qui l'a peu à peu fait disparaître des écrans, jusqu'à son retour récent via la série Trust.
UN CORPS A RUDE ÉPREUVE
Comédien adorant les cascades, Brendan Fraser s'est octroyé la possibilité de réaliser lui-même certaines de ses scènes d'action. En 1998, et suite au désistement de Leonardo DiCaprio pour jouer dans La Plage, Fraser est engagé pour tenir le premier rôle du film d'aventures La Momie. Choisi aussi parce qu'il saurait donner un côté "Errol Flynn" au personnage de Rick O'Connell, Fraser va tout donner pour ce rôle qui est pour lui une opportunité de percer à Hollywood.
Mais le tournage est compliqué. Lors d'une scène durant laquelle il doit être pendu par le cou, la séquence tourne mal et Fraser s'étrangle réellement au point de perdre connaissance et d'avoir besoin d'être réanimé. Il va aussi beaucoup s'impliquer dans les chorégraphies de combats, notamment celle avec les momies invisibles. L'acteur va même apprendre minutieusement ses gestes pour que les créatures soient ajoutées en effets spéciaux en collant à ses gestes précis.
Le film est un succès et deux ans plus tard, Fraser reprend le rôle d'O'Connell. Cette fois, il se brise une côte et se déchire un disque intervertébral. Quelques années plus tard, lorsqu'il tourne Voyage au centre de la Terre, Fraser se brûle la main sur des murs enflammés et la production est mise en pause pendant plusieurs jours. Le comédien se souvient de cette période du début des années 2000 pour GQ* : "J'étais entouré de bandages, de glace (...) et de compresses de randonnée car elles sont petites et légères et tiennent sous les vêtements. Je me construisais un exosquelette tous les jours".
Pour tenir le coup, Fraser subit également de la chirurgie, notamment une laminectomie, procédure permettant de supprimer une ou plusieurs lames vertébrales. Puis c'est une lombaire qui ne tenait plus et il fallut le réopérer. L'un de ses genoux dû être partiellement remplacé, ses cordes vocales lâchèrent, l'acteur passa sa vie dans les hôpitaux pendant sept ans, payant ce qu'il décrit comme sa volonté de "beaucoup trop forcer, au point que cela devienne destructeur". L'autre raison de son état selon lui ? Son rythme de travail : "J'avais l'impression de travailler encore et toujours (...) et de réparer des trucs que j'avais déjà réparé mais qui se faisaient détruire encore et encore pour le plaisir de tous".
AGRESSÉ SEXUELLEMENT
Durant l'été 2003, fragilisé par ses ennuis de santé et un dégoût de lui-même (nous y reviendrons), Fraser se rend au Beverly Hills Hotel pour un dîner qu'y donne la Hollywood Foreign Press Association (HFPA). C'est cette organisation qui chaque année s'occupe des célèbres Golden Globes. Sur le chemin du retour, il est hélé par Philip Berk, un ancien président de la HFPA qui, selon la version de Berk dans son auto-biographie, lui pince les fesses. La version de Fraser est toute autre :
"Sa main gauche s'est approchée, a attrapé ma fesse et l'un de ses doigts a touché mon périnée. Et il a commencé à le bouger". A ce moment, Fraser s'est "senti mal. Je me sentais comme un petit enfant. J'avais comme une boule dans la gorge. J'avais l'impression que j'allais pleurer". Depuis, l'acteur et ses représentants ont demandé des excuses à Berk, qui nie la version de Fraser. L'ex-président de la HFPA a cependant écrit une lettre au comédien contenant "Si j'ai fait quelque chose qui a dérangé M. Fraser, ce n'était pas intentionnel et je m'en excuse".
A ce jour, Berk est toujours membre de la HFPA et aurait, selon Fraser, l'interdiction de se retrouver dans la même pièce que lui. Berk nie ces déclarations et l'organisation n'a pas désiré les commenter.
Ces révélations de l'acteur au journal GQ en février dernier s'inscrivent dans une volonté des victimes de harcèlement à Hollywood de faire entendre leur voix et de parler. Brendan Fraser explique ce qui lui a fait prendre la parole en citant le mouvement #MeToo et celles qui ont été à son origine : "Je connais Rose [McGowan], Ashley [Judd] et Mira [Sorvino], j'ai travaillé avec elles. (...) Je ne leur ai pas parlé depuis des années mais ce sont mes amies. J'ai suivi leur merveilleux mouvement et ces gens capables de dire ce que je n'avais pas eu le courage de dire".
Même depuis qu'il s'est exprimé à ce sujet et qu'il a raconté son histoire, Fraser se dit toujours "effrayé". Son état d'esprit a mis du temps à changer. Il commente : "Est-ce que je sens que j'avais besoin d'en parler ? Absolument. Est-ce que j'ai voulu le faire beaucoup de fois ? Absolument. Est-ce que j'y ai renoncé ? Absolument".
CULPABILITÉ ET DÉPRESSION
Brendan Fraser est tombé en dépression. En 2003, alors qu'il tourne Les Looney Tunes passent à l'action, une comédie qui le voit donner la réplique à des personnages de dessins animés et jouer un cascadeur, doublure de Brendan Fraser. Il en viendra même à croiser le vrai Brendan Fraser à la fin du film. Dans cette scène, Fraser est donc dédoublé à l'écran et se frappe lui-même. Avec le recul, le comédien commente "je crois qu'à cette époque je voulais me tabasser moi-même avant que quelqu'un d'autre ne le fasse (...)".
Si sa carrière se poursuit malgré tout, le moral de Fraser est au plus bas. Ses films sont de moins en moins intéressants et après ce qu'il a vécu à l'été 2003, il se sent mis à l'écart : "le téléphone professionnel a cessé de sonner et j'ai commencé à me demander pourquoi. Cela tient à de nombreuses raisons, mais [ce qui s'est passé avec Berk] est-elle l'une d'entre elles ? Je crois que oui". Fraser ira même jusqu'à dire que les actes de Berk lui ont fait oublier ce qu'il a tourné immédiatement après les faits tant il s'en trouvait bouleversé.
Sa dépression fut aussi liée à la pression du métier d'acteur à Hollywood, qui a poussé Fraser à tout abandonner et à "rester chez soi (...). Je ne suis pas réservé ou quoi, mais j'ai senti que je ne pouvais plus faire partie [de ce monde du cinéma]. Je ne m'y sentais plus à ma place". La honte de n'avoir pas été à la hauteur des attentes qu'il a pu créer rongera le comédien de longues années, durant lesquelles il subit les nombreuses opérations chirurgicales susmentionnées.
Cependant, depuis quelques temps, Fraser semble sur la voie de la guérison : "vous pouvez parfois penser que vous n'êtes pas à la hauteur, que vous avez échoué. C'est faux". Désormais installé à Bedford (New York), l'ex-George de la Jungle se détend en faisant du tir à l'arc et en s'occupant d'un cheval qu'il a recueilli suite au tournage de la série historique Texas Rising en 2015.
Le comédien, qui fêtera ses 50 ans le 3 décembre prochain, voit sa carrière relancée, avec une participation à la série adaptée du film Les Trois jours du Condor et plusieurs longs métrages. On avait récemment pu le revoir dans la série Trust, produite par Danny Boyle. Laissons-lui le mot de la fin** : "C'est une nouvelle époque, une nouvelle ère, et des changements positifs vont découler [des témoignages sur les agressions sexuelles]. Je suis optimiste et je garde espoir".
* L'interview de GQ est celle dont proviennent toutes les déclarations de Fraser, qui autrement s'est fait plutôt rare sur les plateaux, sauf le mot de la fin, qui provient de EOnline.