AlloCiné : Comment tout a commencé pour toi en tant qu'acteur ?
Anthony Bajon, acteur : Mes parents m’ont dit : passe ton bac, et on verra après. C’est ce que j’ai fait. J’ai voulu faire une école, le Studio Muller, mais très rapidement, j’ai arrêté. Parce que j’étais très impatient. Le côté scolaire me gênait. J’ai commencé à regarder les castings sur Internet. Très vite, j’ai vu un casting pour un court métrage qui s’appelle Petit homme de Jean-Guillaume Sonnier, avec Thomas Doret et Hamzia Meziani. Je l’ai décroché. Premier casting, premier tournage. Après, ça m’a permis d’avoir un agent. Ca s’est fait comme ça, très vite.
Quel est ton premier souvenir marquant de spectateur ?
C’est ma mère qui nous a emmené au Grand Rex, mon frère et moi, pour voir Le Roi Lion. C’est ça mon premier souvenir. Je me rappelle qu’à la fin, ma mère nous avait demandé ce qu’on en avait pensé et j’étais incapable de mettre des mots sur ce que j’avais ressenti. Exactement comme quand j’ai reçu le prix à Berlin : j’étais totalement incapable de dire ce que je ressentais. Quand je vois un beau film, c’est ce qui se passe. Je sais juste que ça m’a touché, mais incapable d’exprimer pourquoi.
Berlin 2018 : Ours d'Or pour le film roumain Touch Me Not, Wes Anderson et un acteur français au palmarèsEst-ce que tu regardais beaucoup de films quand tu étais petit, que ce soit à la télé ou au cinéma ?
Je n’avais pas le droit de toucher à la télé quand j’étais petit, mais ma mère nous emmenait beaucoup au cinéma. On regardait des films d’animation ; j’ai beaucoup regardé de Disney, comme beaucoup de jeunes. Ca a beaucoup nourri mon imaginaire quand j’étais petit, qu’on me raconte des histoires.
Je veux avoir 1000 vies !
Et quand tu allais au cinéma, tu te disais que tu aimerais un jour être toi aussi sur l’écran ?
Oui, très tôt. Quand on a commencé à regarder des films avec de vrais acteurs. C’est là où je me suis dit que moi aussi j’avais envie d’incarner des personnages. Je veux avoir 1000 vies. Je veux être plombier un jour, puis le lendemain charcutier, avocat, architecte… C’est ça qui m’intéresse et je veux vraiment faire passer des émotions aux gens, comme moi j’en ai eu en regardant des films. J’ai nourri ce rêve, à partir de 7-8 ans, et puis ça a grandi, grandi, grandi.
Y a-t-il des comédiens d’autres générations qui t'inspirent ?
Quand j’étais petit, je m’intéressais surtout aux histoires et pas forcément aux acteurs ou aux metteurs en scène. Mais par la suite, il y a des gars comme Romain Duris, Jean Dujardin, Vincent Cassel, Vincent Lindon qui m’ont vraiment inspiré et qui continuent de le faire encore aujourd’hui. Il y a aussi Leonardo DiCaprio, Johnny Depp... D'ailleurs, c'est incroyable : j'ai eu mon prix d'interprétation à Berlin à 23 ans, comme Leonardo DiCaprio !
Ça fait quoi de se voir à l’écran la première fois ?
La première fois que je me suis vu à l’écran, c’était dans Les Ogres de Léa Fehner. C’est une scène de sexe. Le premier plan qu’on va voir de moi, c’est à quatre pattes, en plein rapport avec Adèle Haenel. J’étais très gêné, mais je me suis décontracté car j’ai vu que les gens riaient.
Ça devait être une expérience de tournage particulière car il y avait un côté troupe dans Les Ogres…
Ce tournage était très particulier. C’était la première fois que je mettais les pieds sur un plateau de tournage. Adèle Haenel a eu une classe énorme avec moi. Elle a un peu joué à la sœur avec moi inconsciemment ; elle m’a protégé, elle m’a pris sous son aile. D’ailleurs dans une interview d’AlloCiné, elle avait parlé de moi. Du coup, je boucle la boucle en parlant d’elle dans AlloCiné (rires).
As-tu des amis comédiens de ta génération ?
On a le même attaché de presse avec Rod Paradot (La Tête haute). On se voit pas mal. J’ai des amis comédiens mais qui débutent. Ma meilleure amie, c’est Zoé Héran qui a fait Tomboy. On s'est rencontrés sur un casting. Mais sinon j’ai plus mes amis d’enfance.
Est-ce qu’une musique peut t'inspirer dans votre travail ?
Enormément. Pour les castings, les préparations de rôle. Sur les tournages aussi. J’écoute énormément de Michael Jackson. J’écoute un peu de tout, sauf du hard rock. Ca peut être du Mylène Farmer, du Céline Dion, La Fouine, Orelsan, Nekfeu… J’écoute de tout. Ca m'aide, ça m'inspire énormément.
Vincent Lindon m'a dit : tu es jeune, ne te précipite pas !
Le meilleur conseil qu’on t'ait donné ?
Ca doit être un conseil de Vincent Lindon, sur Rodin. Il m’a dit : tu es jeune, ne te précipite pas. Après tu regretteras certains choix que tu auras fait. Je fais toujours très attention quand je lis un scénario : est-ce que vraiment j’y vais ? Est-ce que ça peut m’apporter quelque chose ? Est ce que c’est intéressant ? Le personnage ? Le metteur en scène ? Je pèse le pour et le contre, et avec mon agent, on a refusé pas mal de choses.
Passer derrière la caméra pour un long métrage, une tentation ?
Ca commence déjà à me démanger, vraiment. Ca fait un moment. J’écris depuis tout petit. J'ai écrit des poésies, des bêtises, et très vite, j’ai commencé à écrire des scénarios de courts métrages. Ca ne vaut certainement pas grand chose. Récemment, j’ai écrit deux scénarios de longs métrages. Je ne sais pas ce que ça vaut, mais en tout cas, il y a un gros désir chez moi d’écrire et de passer à la réalisation. J’aimerais que ça se fasse à moyen terme. Il faut que je continue à aller sur les plateaux de tournage, que j’observe comment les metteurs en scène se comportent, dirigent les comédiens... Quand je le sentirai, je les proposerai à des boites de production.
Comment t’es tu préparé pour ce rôle dans La Prière ?
De deux manières : psychologiquement et physiquement. Je suis allé à la salle de sport tous les jours, en courant 2h, 2h30 par jour. Car je savais très bien que ce serait un marathon sur le tournage, pendant 2 mois et demi. Je me suis préparé en me disant que ce serait un vrai combat. Et le côté psychologique, je me suis juste dit qu’il faudrait se rendre disponible pour le personnage et pour le metteur en scène, et qu’après il faudrait se servir de son instinct. Je me suis beaucoup servi de mon instinct.
Puiser des émotions en soi aussi…
Exactement. Ce sont des choses qu’on a en soi. Il y a plein d’émotions dans le film, comme la colère, la bagarre, les pleurs. Ce ne sont pas des choses qu’on fait au quotidien, mais ce sont des choses qu’on a en soi. Cédric Kahn m’a permis de sortir tout ça, qui était enfoui en moi.
Cédric Kahn m’a permis de sortir tout ça, qui était enfoui en moi
Tu t'es fait un travail intérieur pour t'inventer le passé de ce personnage ?
J'ai dû le faire parce que ce personnage arrive un peu comme un cow-boy. On ne sait pas grand chose de lui, on ne connait pas son passé. J'ai dû me créer le pourquoi du comment de la drogue, comment il en est arrivé là. J'avais besoin de me créer ce passé pour rentrer dans ce personnage, d'une porte d'entrée.
Comment Cédric Kahn t’a-t-il dirigé ?
Il me poussait dans mes retranchements. Il est très exigeant. Toute la profession sait que c’est quelqu’un de très exigeant. Mais c’est super de bosser avec lui car il est en quête de vérité, que ce soit pour le thème, les personnages, l’histoire… Donc c’est super de bosser avec lui. Parce que quand on est un jeune comédien, on a tendance à ne pas forcément tout donner. Il sent tout de suite si ça marche ou si ça ne marche pas.
Ca veut dire que vous pouviez tourner jusqu’à combien de fois la même scène ?
Le maximum, ça devait être une vingtaine de fois, pour un axe. Je sais qu’il y a des scènes qui ont été très compliquées à tourner. On a répété beaucoup. La scène sur le rocher par exemple.
Tu disais tout à l'heure que tu n'avais pas trouvé les mots pour dire ce que tu avais ressenti ce prix d'interprétation au Festival de Berlin. A présent, avec un peu plus de recul, que peux-tu nous dire sur le fait d'avoir reçu ce prix ?
Déjà j’arrive à y voir un peu plus clair. Je suis très content pour le film, très honnêtement. Avant que ça ne soit pour moi, c’est une récompense pour le film, pour toute l’équipe. Je considère que le dernier des méritants sur ce film, c’est moi. C’est tous ceux qui m’ont accompagné qui ont fait que le film a été remarqué; finalement, je suis un détail du film.
Et moi, ça me servira plus tard, dans les moments difficiles de ma carrière, quand j’aurais moins de projets, je pense que j’arriverai à regarder le prix en me disant : il faut relever la tête, on a récompensé mon travail ; ça veut dire que je ne suis peut être pas si mauvais que je le prétends. Je suis très content pour ça.
Je crois en ma bonne étoile
C’est un encouragement…
Ca soigne mon angoisse et mon stress. Je suis très angoissé. J’ai peur de me rater. Je ne veux faire que ça de ma vie. D’abord, je ne sais faire que ça, et je ne vis que pour ça. J’en rêve la nuit. Je ne parle que de ça le jour. Je ne vis que pour ça. Il faut croire en ce qu’on fait. Et je n’ai peut être pas beaucoup de qualités, mais je crois vraiment en ce que je fais. Je crois en ma bonne étoile. Et surtout, je suis prêt à bosser énormément pour que mes rêves se réalisent. Je veux juste ne pas avoir de regrets si ça ne marche pas pour moi.
La bande-annonce de La Prière :