En début d'année, le comédien Melvil Poupaud publiait son second roman, Voyage à Film City (édité chez Pauvert). Un carnet de bord passionnant d'un acteur, racontant en détails les coulisses d'un tournage et d'un voyage épique en Chine, pour le film Le Portrait interdit. Un témoignage rare, et un livre captivant de bout en bout, qu'on ait vu ou non le film dont le tournage est décrit, contournant en quelque sorte le passage obligé de la promo pendant laquelle les difficultés rencontrées sur un tournage ne sont pas forcément dévoilées. Intrigués, nous avons rencontré Melvil Poupaud et le réalisateur Charles de Meaux pour parler du livre et du film, à l'affiche ce mercredi.
AlloCiné : Comment ce carnet de tournage, Voyage à Film City, a-t-il vu le jour ?
Melvil Poupaud, comédien et auteur de Voyage à Film City : J’avais un blog pendant le tournage. Ce n’était pas la même chose que le bouquin mais il y avait déjà pas mal de choses. Au début, je pensais que ça allait juste être un blog pour mes proches, pour donner des nouvelles, ce n’était pas un blog public. Je pensais que ça resterait juste dans cet état là, sauf que ça m’a passionné, et je me suis de plus en plus investi dans l’écriture. Il se passait des choses sur le tournage qui me donnaient envie de continuer.
C’est un témoignage sur un film en particulier, mais aussi sur le cinéma, sur la vie d’un acteur pendant un film, sur un voyage
Il se trouve que quand je suis rentré de Chine, il y a un éditeur de chez Pauvert qui m’a appelé, qui avait aimé mon premier livre (Quel est Mon noM, édité chez Stock en 2011). Il m’a demandé si je n’avais pas quelque chose d’autre à publier. Je lui ai dit que, pour l’instant, je n’avais pas de roman, mais que j'avais ce blog. Je lui ai dit d’aller jeter un œil : il y avait des photos, et à l’époque il y avait aussi du son. L’éditrice m’a dit que ça pourrait faire un super livre, « ça ressemble un peu à votre premier, mais en même temps, c’est différent. Si vous le sentez, on est prêt à publier votre livre ».
Donc j’ai enchainé directement sur le livre, et pendant ce temps là, Charles (de Meaux) finissait son tournage et avançait sur la post-production. Le film a pris plus de temps finalement que le bouquin qui était quasi prêt pendant le tournage. Que le livre sorte avant ou après le film, ça n’avait pas d’importance car c’est un témoignage sur un film en particulier, mais aussi sur le cinéma, sur la vie d’un acteur pendant un film, sur un voyage. Il y a d’autres thèmes que le film précis. Il y a un côté carnet de voyage, expérience de tournage qui tient même si on ne voit pas le film. Et vice-versa, on peut voir le film sans lire le bouquin.
Les films de Charles de Meaux, c’est toujours un peu plus qu’un film : il y a aussi une expérience, une aventure, un voyage, des péripéties… Le tournage lui même est assez romanesque. Je savais que ça donnerait matière à un tournage qui ne serait pas juste ‘je suis dans ma loge, j’attends’. Il y a souvent des tournages qui ne sont pas très passionnants à raconter. Là je savais qu’il y aurait en plus des dimensions un peu romanesques.
A l'époque où vous écriviez votre carnet de bord, le film dont vous racontez le tournage n'était pas terminé. Qu'avez-vous pensé du film maintenant que vous l'avez découvert ? Y a-t-il eu un décalage par rapport à ce que vous imaginiez ?
M.P. : Il y a un décalage dans le sens où, ayant vécu le tournage et un peu la complexité de la fabrication du film, je suis encore plus admiratif de la simplicité du film. C’est un film très sensuel, très délicat, et malgré les risques que Charles de Meaux a pris dont je parle dans le livre, et les péripéties, il a réussi à faire un film très romanesque. On n’en sent pas la complexité. Parfois les films, au montage, on sent qu'il y a eu des problèmes, ou qu’il manque des nœuds narratifs, etc. A l’arrivée, il en a fait un film très simple, très pur.
Ensuite, le chinois, je n’arrive pas à me rendre compte de mon niveau de mandarin. Les compliments que j’ai eu, c’était que les chinois m’ont dit qu’ils me comprenaient à peu près à 80%, ce qui est un exploit pour moi car je pensais que 50%, ce serait déjà pas mal. Et il y a plein de gens qui ne me parlent même pas du mandarin, ils ne se sont pas rendus compte de la difficulté de la chose. Ils me parlent juste de l’histoire et du rapport qui se créé entre l’impératrice et mon personnage. C’est comme s’ils n’avaient pas vu la difficulté.
Ce film avait quelque chose de presque expérimental pour moi, découvrir une façon de faire des films.
Vous avez une filmographie intéressante qui laisse transparaitre un goût du voyage...
M.P. : C’est vrai que je profite aussi un peu pour vivre une expérience un peu totale, de vie, de rencontres. Là, travailler avec des Chinois, apprendre une autre langue, jouer dans une autre langue. Ce film avait quelque chose de presque expérimental pour moi, découvrir une façon de faire des films.
Cela dépend des tournages, des réalisateurs. J’aime bien les voyages, j’aime bien aussi le fait de tourner à l’extérieur de chez moi. Cela fait qu’on est complètement immergé dans un autre monde. On vit à l’hôtel, on mange tout seul ou avec des gens de l’équipe. On quitte un peu son confort et sa famille, pour rentrer dans un autre univers. Cela aide aussi à s’investir un peu plus dans le personnage quand on coupe les ponts avec son quotidien.
Ensuite, de plus en plus, je me rends compte que de rentrer dans un personnage, c’est déjà un voyage en soi. Tu quittes ta propre personne, pour te transformer, devenir quelqu’un d’autre. Il est là le vrai voyage. Après, il y a des éléments qui aident à aller plus loin dans ce processus, mais ce n’est pas forcément en partant au fin fond de la Chine qu’on va être un meilleur acteur.
Charles de Meaux, est-ce que Melvil Poupaud vous parlait de son ressenti du tournage ou cela a vraiment été une découverte au moment de lire "Voyage à Film City" ?
Charles de Meaux, réalisateur du Portrait interdit : Oui et non. Mais plus le temps passe, plus je me rends compte de l’exploit qu’a fait Melvil. Au début, je lui disais : « tu n’as qu’à apprendre le mandarin. Il n’y a pas de problème tu verras ». Quand je vois le résultat, la façon dont il a plongé dans le film, la façon dont il porte le texte. Il a cette finesse d’attitude, de jeu. Il était complètement plongé dans le film, il n’était pas du tout distancé.
Melvil Poupaud était complètement plongé dans le film, il n’était pas du tout distancé
Après quand j’ai lu le livre, j’étais un peu étonné, j’étais un peu inquiet même ! Mais le livre est très réussi. Il a une écriture que je trouve très jolie. Il a cette espèce de finesse. La façon dont il intègre son espèce de flottement par rapport au dépaysement et son travail en parallèle avec les photos, c’est très réussi. C’est très fin. Et pour moi, c’est un peu troublant. C’est un livre qui est séduisant, dans le bon sens du terme.
Ce film semble avoir été un défi aussi bien pour Melvil Poupaud que pour vous, si bien qu’on se dit que vous vous interrogiez peut être sur le fait que vous alliez réussir à le terminer !
C.d.M. : Je me le suis dit tous les jours parce que la beauté de la production de ce film et en même temps l’horreur de la production de ce film, c’est que toute l’économie et le mode de pensée actuel de la Chine est basé vraiment sur un désir de faire des choses, de gagner de l’argent, de réussir…
Comme c’est basé uniquement sur le désir de quelqu’un, quand il n’y a plus de désir, tout s’arrête et puis on passe à autre chose. Quand ils ne comprennent pas, ce qui arrive assez souvent puisque par définition je ne suis pas tellement chinois, ils arrêtent. Quand ils comprennent, ils s’enthousiasment et ils multiplient par dix. Forcément, il y avait toujours une balance où il fallait arriver à réexpliquer, à re-séduire, à remotiver l’enthousiasme tout seul face à 400 personnes.
Les équipes de tournage en Chine sont énormes et l’économie du cinéma en Chine est énorme. Et ensuite c’est énorme car c’est un film historique. Un film historique, c’est très très compliqué. Par exemple, le maquillage commençait à 2 heures du matin pour être prêt à 7 heures. Tout est comme ça. Se retrouver tout seul face à tout ça, on a des moments de grande solitude quand même.
Fan Bingbing est l’actrice la plus payée au monde, avec tout ce que ça comporte
Et vous avez dirigé une énorme star, Fan Bingbing. Est ce que ça a été compliqué déjà de l’avoir dans ce film, et ensuite de la diriger ?
C’est l’actrice la plus payée au monde, avec tout ce que ça comporte. Elle est dans pas mal de blockbusters américains car Hollywood veut sa présence dans le film. C’est la deuxième fois que je tourne avec elle (après Stretch) et c’est un peu une amie d’une certaine façon. J’ai une relation assez forte avec elle ; elle me fait confiance. Quand j’ai commencé à monter le film, évidemment je suis allée la voir. Du jour où je suis allée la voir, je peux presque dire que c’est elle qui a permis que le film se fasse. C’est un appui tellement énorme dans l’industrie du cinéma chinoise.
Tourner avec une star dans le cadre même où elle est super star, c’est difficile par rapport à l’entourage. Ca donne du pouvoir, mais en même c’est difficile parce que tous les mécanismes sociaux du cinéma se mettent en route. Après Bingbing ne parle pas anglais, donc il y a des difficultés de communication, mais j’avais des traducteurs et on a travaillé très lentement. Mais elle est très douée évidemment.
Le point de départ de ce film a été la vision d’un tableau. Avez-vous pensé immédiatement à elle justement lorsque vous l’avez vu ?
Quand j’ai vu le tableau, je ne l’ai associé à rien du tout. J’ai vu ce tableau par hasard. Il se trouve qu’il m’est resté en tête. On a tous des images qui nous restent en tête. Et il y a des hasards qu’il faut être prêt à accepter, qui font naitre des projets. (Cela a commencé lorsque) j'ai eu une discussion avec des amis et des producteurs chinois. La discussion s’échauffait et ça a finit par cette question : 'mais pourquoi a-t-on besoin des artistes étrangers ? pourquoi on a besoin de cinéma étranger ?'
Car actuellement en Chine pour le cinéma, il y a des quotas. Il y a un quota de films étrangers, et ce quota est redivisé par pays après. La défense ou la fermeture de ça est un des grands sujets qui agite l’industrie cinématographique chinoise qui commence à investir Hollywood pour préparer le moment où ça s’ouvrira. Je leur ai parlé de la peinture classique chinoise par exemple, il y a énormément d’influences étrangères. Et je connais même un tableau dans une petite ville de France qui a été peint par un Français. C’est comme ça que tout est parti. Mais Bingbing était totalement en adéquation, donc il y avait une évidence.
Mon ambition cinématographique est plus de faire expérimenter, de faire vivre des situations aux gens, des moments, des sentiments.
Il y a un travail plastique, sur la forme, dans Le Portait interdit. Qu'est-ce qui vous a guidé ?
Mon ambition cinématographique est plus de faire expérimenter, de faire vivre des situations aux gens, des moments, des sentiments. Comment on le reçoit ? Comment réactiver des souvenirs, des sensations ? Je crois plus à ça qu’au cinéma que j’appellerais cinéma d’affirmation, avec un scénario qui de façon habile et efficace emmène les gens sans qu’ils se posent la moindre question. Là, ce sont plutôt des chemins de traverse. Et puis j’adore le cinéma d’abord dans sa simple matière. J’aime bien jouer avec, jouer avec les formes. Je ne me mets pas de cadre ou d’obligation.
Le film est-il déjà sorti en Chine ?
Non, c’est en train de se mettre en place. Mais il faut savoir que le film est vraiment très choquant pour le monde du cinéma chinois. Choquant parce que c’est un regard totalement différent de ce qu’ils proposent. Le film historique, c’est 70 à 80% de la production chinoise, donc ils en sont abreuvés. Ils ont une espèce de savoir faire et des points de vue là-dessus totalement opposés à ceux que je propose. Donc forcément pour l’imaginaire commun chinois, quand ils voient arriver ça, ils se demandent ce que c’est !
Le plateau s’est fait envahir par des fans. Il ne restait plus rien.
Et il y a sans doute un attrait immédiat aussi pour Fan Bingbing…
C’est plus qu’un attrait ! Un jour, on tournait à l’extérieur. Le plateau s’est fait envahir par des fans. Il ne restait plus rien. Le décor pillé, les projecteurs découpés en petits morceaux. 12 000 personnes ont envahi le plateau dans une ville de province. C’était assez spectaculaire !
Comment explique-ton cette fascination qu’a le public chinois pour elle ?
Il y a un aspect que la culture asiatique porte plus vers les phénomènes de fans. Ils sont plus favorables à ça. C’est un peu Les Beatles en 60 !
La bande-annonce du Portrait interdit :
De "Voyage à Film City" au "Portrait interdit"
Avant la sortie du "Portrait interdit" de Charles de Meaux, le comédien Melvil Poupaud en a raconté les coulisses dans le carnet de bord "Voyge à Film City", paru en début d'année.
Charles de Meaux, Melvil Poupaud et Fan Bingbing sur le tapis rouge de Cannes
Melvil Poupaud y joue aux côtés de la superstar chinoise Fan Bingbing
Fan Bingbing face à Melvil Poupaud dans "Le Portrait interdit"
L'histoire du Portrait interdit : Au milieu du XVIIIème siècle, le jésuite Jean-Denis Attiret (Melvil Poupaud) est un des peintres officiels de la Cour impériale de Chine. Il se voit confier la tâche honorifique de peindre le portrait de l’impératrice Ulanara (Fan Bingbing). Cette concubine devenue impératrice à la suite de la mort de la première femme de l’empereur Qian Long aura un destin très particulier. Sorte de figure romantique avant l’heure, il ne restera d’elle que ce portrait à la sensualité énigmatique de Joconde asiatique.
Melvil Poupaud avec Thibault de Montalembert dans "Le Portrait interdit"
Melvil Poupaud a appris le mandarin pour "Le Portrait interdit", à l'affiche ce mercredi.
Fan Bingbing et Melvil Poupaud à Cannes en mai dernier
Fan Bingbing avec le jury du Festival de Cannes 2017
Fan Bingbing avait déjà joué pour Charles de Meaux en 2011
Stretch de Charles de Meaux (sorti en 2011)
Fan Bingbing au Festival de Cannes 2017
La comédienne chinoise était membre du jury du Festival de Cannes cette année.