Deux mois après son triomphe à Cannes et avant la sortie de son tout dernier opus primé, Xavier Dolan débarque sur les écrans français, non pas derrière mais devant la caméra, à l’affiche d'un drame canadien signé Charles Binamé et intitulé La Chanson de l’Eléphant. Son rôle ? Celui d’un jeune malade enfermé dans un institut psychiatrique, sommé de rendre des comptes suite à la disparition de son médecin. Un interrogatoire se met en place, véritable jeu de faux semblants entre le patient agité et manipulateur et un psychiatre troublé (Bruce Greenwood). Intime, féroce, la confrontation est aussi pesante, perturbante. Au jeu de la tête à claque impertinente, de l’adolescent brisé, de l’esprit tortueux, Xavier Dolan excelle. Il séduit, ironise, s’énerve, se renferme, dévoilant la palette colorée de son jeu entier. Il nous rappelle dès lors qu’avant d’être le réalisateur parfois décrié et souvent adulé que l’on connaît, il est acteur. Un excellent acteur à qui l’on oublie de proposer de travailler.
Xavier avant Dolan
Pourtant dès sa petite enfance, il s’est baladé sur les plateaux de téléfilms et de pubs, obtenant à 7 ans ses premiers rôles au cinéma (les longs métrages canadiens J’en suis en 1997 et La Forteresse suspendue en 2001). A 7 ans également, il a écrit une jolie lettre de fan enfant à Leonardo DiCaprio, lui confiant son admiration sans borne mais surtout sa passion pour le métier qu’ils ont en commun. Un métier qu’il a pratiqué un peu (à 19 ans, il se fait assassiner dans la première scène de Martyrs) avant de se retrouver en pension puis au chômage. C’est entre autres pour cela, parce que le téléphone ne sonne pas (à part pour quelques doublages dont ceux de Rupert Grint (Harry Potter) et de Taylor Lautner (Twilight) que Xavier devient Dolan, l’homme-orchestre de son premier cri artistique J’ai tué ma mère.
Xavier chez Dolan
A 20 ans, il s’offre donc à lui-même un rôle en or : celui d’un jeune gay en conflit avec sa mère, hurlant son amour et son ras le bol avec un excès de sincérité remarquable. Suit l’année d’après Les Amours Imaginaires où il glisse son esprit romantique et ses tourments intérieurs au cœur d’un trio amoureux fantasmé. Après avoir délaissé un temps le jeu pour se concentrer sur la mise en scène de sa fresque ambitieuse Laurence Anyways, il s’investit à nouveau dans Tom à la ferme, thriller dans lequel son jeu, virtuose, impressionne par sa nouvelle maturité.
"Les rôles que je tenais avant étaient complémentaires des rôles féminins que je mettais en scène. Je ne me suis jamais donné le beau rôle. J’ai aussi passé avant ce film beaucoup de temps à diriger les acteurs, là j’arrive sur Tom à la ferme et il y a un bagage, des choses que j’ai envie d’essayer, des choses que j’ai déjà faites et regrettées. Il y a eu une école de jeu pour moi en regardant Suzanne Clément ou Anne Dorval jouer. Je l’ai appliqué dans ce film."
Ça s’est vu. Pourtant à l’époque de ces confidences pour Allociné, il n’avait pas caché sa déception face aux critiques acharnées : "Elles évoquent mon narcissisme, mon envie de me filmer. Que suis-je censé faire ? M’enlaidir, trouver l’objectif le plus déformant pour mon visage ?" Depuis il n’apparaît plus dans ses films, non par bouderie mais par raison : "Je voulais jouer le rôle principal de Mommy mais j’étais trop vieux". Il choisit et dirige donc à la perfection des acteurs fulgurants, révélés (Antoine Olivier Pilon) ou déjà installés (Gaspard Ulliel dans Juste la fin du monde), fonctionnant toujours en alter ego parfaits.
Et après ?
"Les gens pensent que je suis un acteur limité, narcissique, un réalisateur qui se donne des rôles. Mais le jeu me manque. C’est ma vie et je vis sans cesse dans l’attente. J’ai de grands espoirs et je suis capable de beaucoup de choses, il faut qu’on me laisse ma chance, qu’on vienne me voir, je sais faire autre chose que des jeunes gays qui hurlent!"
Ce qu’il nous livrait hier est encore aujourd’hui d’actualité. Si le monde voit en lui un metteur en scène et un directeur d’acteurs hors pair, il a tendance à oublier sa carte d’acteur. Au Canada, il s’affiche dans des drames confidentiels (Good Neighbours aux côtés de Jay Baruchel), cherchant toujours à relever des défis : dans Miraculum non loin d’Anne Dorval, il joue un malade atteint de leucémie refusant une transfusion par conviction religieuse. Un personnage extrême à sa manière comme celui de La Chanson de l’éléphant. Tout en excès, en fulgurance géniale. Ce sont des constantes qui lui vont bien.
La Forteresse suspendue (2002)
Très jeune et déjà fougueux : à 12 ans, Xavier Dolan se fait remarquer dans ce long métrage canadien signé Roger Cantin.
Martyrs (2008)
Brève mais intense : la prestation de Xavier Dolan dans le film d'épouvante de Pascal Laugier est... sanglante.
J'ai tué ma mère (2009)
Rageur, féroce, ironique, fragile : dans son premier long métrage, Xavier Dolan se met en scène sans retenue ni filtre.
Les Amours imaginaires (2010)
Plus discret en amoureux transi, soumis aux premières souffrances de l'amour : dans son deuxième opus, Xavier Dolan expose et impose ses nuances.
Tom à la ferme (2014)
Etrange, mutique, perturbant : dans Tom à la ferme, Dolan livre un jeu plus mature, flirtant avec le malsain.
Good Neighbors (2010)
Nouvelle incursion dans le thriller pour Xavier Dolan, à la faveur d'un second rôle aux côtés de Jay Baruchel.
Miraculum (2014)
Un malade qui se condamne à mort par conviction religieuse : dans le Miraculum de Podz, Dolan nous offre un contre emploi remarquable.
La Chanson de l'éléphant (2016)
Dolan à la fois insupportable et touchant, pervers et brillant, bouillonnant et très émouvant : découvrez sa prestation saisissante dans La Chanson de l'éléphant.