AlloCiné : A quel moment vous-est venue l’idée de transposer la pièce de théâtre en film ?
- Noom Diawara : Haha ! Tout le monde pense que c’est nous qui avons eu l’idée, mais c’est faux : c’est un producteur de cinéma, Cyril Colbeau-Justin, qui est venu nous voir pour nous le proposer. On n’y avait pas pensé une seconde.
- Amelle Chahbi : Non, pas une seconde. C’était déjà énorme, pour nous, que cette pièce dure 4 ans. On comptait faire 20 dates, elle a duré 4 ans, donc on n’a pas du tout eu la prétention de l’adapter au cinéma.
Est-ce que le fait que, juste avant, "Le Prénom" ait été bien adapté et bien reçu, a joué dans votre envie d’accepter ?
- Amelle Chahbi : On n’avait même pas calculé ça.
- Noom Diawara : Non. On nous propose de faire un film de notre pièce, donc on ne pense pas à tout ce qui s’est fait avant. On se dit juste "Tentons l’aventure."
- Amelle Chahbi : "On va essayer."
- Noom Diawara : Dans ce cas il y a aussi Le Dîner de cons, qui a également très bien marché. En fait on y a pensé après. Pendant la promo en fait (rires)
- Amelle Chahbi : C’est ça. C’est pas un exercice simple que d’adapter au cinéma ce qui existe déjà.
Il faut être très très naturel au cinéma
Quel a justement été le plus gros piège à éviter ?
- Amelle Chahbi : On avait déjà des choix à faire concernant les scènes qui marchent au théâtre mais pas au cinéma. Sur notre manière de jouer aussi : sur scène, tu cabotines beaucoup et tu parles très fort, alors qu’il faut être très très naturel au cinéma. Il y a eu plein d’ajustements comme ça à faire.
- Noom Diawara : Et il y avait surtout l’envie de ne pas décevoir ceux qui avaient déjà vu la pièce. C’est comme quand on lit un livre et qu’on voit son adaptation : souvent on se dit qu’on préférait le livre. Là il fallait qu’on reste dans le même esprit pour ne pas décevoir les spectateurs, tout en faisant découvrir notre humour et notre univers au reste du public.
Quels ont été les principaux ajouts par rapport à la pièce ?
- Amelle Chahbi : Il y en a eu plein. Rien que les personnages qui n’existaient pas dans la pièce : on les suggérait et là ils sont incarnés et défendus par de vrais comédiens. Tout est nouveau, tout prend forme : nos parents, nos meilleurs amis. Les décors aussi.
- Noom Diawara : Oui parce qu’au théâtre, on était 2 sur scène, avec 2 chaises et 2 paravents. Là il fallait imaginer tous les décors qu’il y avait autour ainsi que les personnages : la meilleur amie d’Amelle, Barbara [Aude Pépin] ; mon meilleur ami Julien [Pablo Pauly] ; nos parents ; le travail… La pièce ne représentait que 20%. Ensuite il a fallu inventer tout le reste.
On va griller que ça vient du théâtre
C’est vrai que quand on voit le film, ça ne fait pas théâtre filmé. Donc si on ne connaît pas la pièce…
- Amelle Chahbi : C’est vrai ? Parce qu’on a pourtant repris les mêmes phrases. Le texte est pareil.
Oui, c’est aussi une façon de ne pas décevoir les fans : en laissant des choses qu’ils connaissent. Mais pour les autres, il n’est pas évident que le film est tiré d’une pièce.
- Amelle Chahbi : C’est top parce que, parfois, quand je le revois, je me dis "Oh là on va griller que ça vient du théâtre."
Non, ça saute moins aux yeux qu’avec un film comme "Le Dîner de cons"...
- Noom Diawara : Oui, là c’est un huis-clos. Mais on a essayé d’être le plus naturel possible dans les dialogues et les situations, pour que tout ça soit crédible. C’est déjà ce qui avait fait le succès de la pièce : les gens trouvaient l’écriture assez crédible. Malgré le fait qu’il n’y ait aucun décor, les gens arrivaient quand même à s’imaginer tout l’univers.
On retrouve aussi un thème qui est dans l’air du temps, et déjà dans "Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?" : les relations interraciales, qui sont encore plus raccord avec l’actualité très très récente.
- Amelle Chahbi : Les 26%...
- Noom Diawara : Là on est…
Mais peut-être que le film tombe à pic, même si ça n’était pas prévu.
- Noom Diawara : Les deux films ont le même message : un message d’amour et de tolérance. Cette idée qu’on est tous différents mais qu’on peut vivre ensemble, qu’on peut rire de tout avec tout le monde tant que c’est drôle et bienveillant. Car c’est aussi ce dont on parle. Et on montre, en allant à fond dans les clichés, à quel point c’est stupide et bête et qu’il faut s’ouvrir à l’autre, pour se rendre compte qu’on est tous les mêmes.
C’est d'ailleurs ce qui explique en partie le succès de "Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?"
- Noom Diawara : Voilà c’est ça. Les gens avaient envie de rire, d’être décomplexés et de pouvoir appeler un Noir un Noir, un Juif un Juif, un Chinois un Chinois, un Arabe un Arabe…, sans qu’on ait l’impression de passer pour un raciste ou quoi que ce soit.
Je mets trop mon nez partout
A quel moment avez-vous décidé que ce serait Amelle qui réaliserait ? Est-ce que vous avez songé à le faire en tandem, comme pour l’écriture ?
- Amelle Chahbi : Au début, on cherchait surtout un réalisateur aguerri. Mais je mets trop mon nez partout, donc le producteur m’a proposé de le réaliser parce que j’organise bien, mais c’est un travail d’équipe : Tristan Aurouet, qui es déjà réalisateur [de Narco et Mineurs 27, ndlr], est consultant technique, et Noom Diawara directeur artistique. C’est une team et moi je suis juste la fille qui organise, c’est tout.
Et ça consultait en quoi ce poste de directeur artistique ?
- Noom Diawara : En fait on valide toutes les décisions ensemble. Sauf qu’après c’est Amelle qui gère derrière la caméra. Mais tout ce qui concerne les lieux, les tenues, les décors et les personnages…
- Amelle Chahbi : Tout devait être validé par nous deux.
- Noom Diawara : Parfois on tournait une scène et on se disait "Peut-être qu’on ferait mieux de la faire comme ça." C’est une grosse discussion, qui nous pousse à travailler ensemble pour faire un bon film.
C’est finalement assez proche d’une co-réalisation ?
- Amelle Chahbi : Ah oui, c’est assez proche.
- Noom Diawara : Sauf que moi je pouvais venir plus tard (rires)
- Amelle Chahbi : Et partir plus tôt.
Est-ce que ça vous a donné envie de vraiment passer derrière la caméra, Noom ? En adaptant les horaires bien sûr…
- Noom Diawara : Non, je n’y pense pas. Je vais d’abord écrire un spectacle solo et tourner dans d’autres films, mais ça n’est pas dans mes objectifs pour l’instant. Je ne suis pas pressé. Un jour peut-être.
On retrouve dans le film quelques membres du Jamel Comedy Club comme Fabrice Eboué ou Claudia Tagbo : avez-vous le sentiment de former une troupe, un peu comme à l’époque du Splendid, lorsque chacun faisait des films de son côté et invitait les autres à passer ?
- Noom Diawara : J’aime bien qu’on nous compare au Splendid, parce que c’est quand même une référence en France. De notre côté ce sont surtout des amis, et on pense parfois à l’un d’eux pour un rôle.
- Amelle Chahbi : On se connaît donc ça va vite, on rigole. Fabrice était le metteur en scène de la pièce, donc on s’est dit que ce serait un petit clin-d’œil que de le faire jouer. Surtout un rôle qui soit complètement à l’opposé de lui : un professeur de danse. C’était ran-ma (rires) Dès qu’il y a moyen de se retrouver, on se retrouve.
- Noom Diawara : On se connaît donc on s’appelle direct.
- Amelle Chahbi : On bosse ensemble.
- Noom Diawara : Ça nous fait plaisir. C’est une team et on a joué longtemps ensemble, donc c’est automatique et on y pense tout de suite.
Avez- vous avez un projet de film tous ensemble ?
- Amelle Chahbi : On en discute de temps-en-temps. Il y avait une série appelée Inside Jamel Comedy Club, et on en a parlé, mais tout le monde est occupé à faire ses trucs en solo. Après pourquoi pas. Tout est ouvert.
C'est bizarre quand on embrasse son pote
Et pour en revenir au film, il paraît que vous étiez gênés pour tourner les scènes d’amour entre vos personnages. Pourquoi ?
- Noom Diawara : (rires) Bah regardez comme elle est moche (rires)
- Amelle Chahbi : Et voilà. Et vous riez…
- Noom Diawara : Non mais c’est parce qu’on se connaît depuis 8 ans. On est potes et là c’est pas une fille que je vois, c’est… C’est un bout de bois (rires) Donc c’est compliqué. C’est bizarre quand on embrasse son pote. Et comme c’est une comédie romantique, il faut jouer l’amour, les sentiments, mais on a plus envie de se marrer…
- Amelle Chahbi : Un bout de bois, hein ? Moi je vais venir à ton spectacle solo [prévu pour la rentrée, ndlr]. Je peux te dire que le bout de bois il va être devant.
- Noom Diawara : Tu seras au premier rang comme ça : (il prend une voix aigüe) "Ah tu crois que c’est marrant ça ? T’étais mieux quand j’étais là hein ?" (rires)
Est-ce que vous sentez déjà l’effet du succès de "Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?" sur votre carrière, Noom ?
- Noom Diawara : J’ai déjà eu quelques propositions, mais ça fait à peine un mois que le film est sorti.
- Amelle Chahbi : C’est vrai qu’on dirait que ça fait 6 ans.
- Noom Diawara : On dirait que ça fait longtemps mais il est sorti et a fait un gros score super rapidement. Donc je pense que les gens entendent le bruit mais n’ont pas encore vu le truc. Avec Amour sur place ou à emporter qui va arriver, peut-être que je ressentirais vraiment les retombées dans 1 mois. Mais déjà là, je sens qu’on me respecte un peu plus (rires) J’arrive et on me connaît déjà.
Et malgré le buzz qui la précédait, avez-vous été surpris par le démarrage canon du film ?
- Noom Diawara : On savait, en lisant le scénario, que c’était déjà drôle et c’est pour ça qu’on a accepté. Après, en le voyant pour la première fois, on s’était rendus compte qu’on avait un beau film, sans penser que ça marcherait aussi vite et fort, et qu’il y aurait autant de polémiques. Pour nous c’était un bon film, mais après, une fois qu’il est en salles, il n’est plus entre nos mains. Comme Amour sur place ou à emporter : on l’a vu et on est contents de nous, et maintenant il est aux mains du public. C’est lui qui vient, qui en parle et le bouche-à-oreille qui fonctionne. Nous après on dit merci, et on est contents.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 26 mai 2014 - Photos : Maxime Robini
La bande-annonce de "Amour sur place ou à emporter" :