Bones and All de Luca Guadagnino
Avec Timothée Chalamet, Taylor Russell, Mark Rylance...
De quoi ça parle ? Maren part à la recherche de sa mère et rencontre Lee, un adolescent à la dérive qui va l’embarquer dans un road trip enflammé sur les routes de l’Amérique profonde. Leur amour naissant sera-t-il suffisamment fort pour résister à leurs démons, leur passé et le regard d’une société qui les considère comme des monstres ?
Premier film aux États-Unis
Cinéaste italien, Luca Guadagnino avait jusque-là tourné dans son pays natal, mais aussi en Angleterre et en Allemagne (Suspiria). Bones and All marque sa première incursion aux États-Unis : "cela m’a aussi intéressé, sur le plan du style, d’explorer le Middle-west des années 80. L’idée du voyageur, du vagabond, du nomade, dans ce genre de contexte moderne m’a semblé très américain : c’était, à mes yeux, un bon point de départ pour réaliser mon premier film aux États-Unis."
Il était enthousiaste à l’idée de tourner dans des régions des États-Unis qu’il n’avait jamais vues au cinéma en y portant un regard extérieur, et de reconstituer l’Amérique des années 80 : "C’était une période de grandes contradictions. Certains secteurs de l’économie étaient florissants tandis que d’autres déclinaient. L’optimisme régnait mais certains se sentaient abandonnés. J’ai eu le sentiment que cette époque faisait écho aux contradictions de ces personnages, à leur quête de stabilité et à l’impossibilité de voir celle-ci se concrétiser".
Adaptation
Bones and All est adapté du roman éponyme de Camille DeAngelis paru en 2015. Luca Guadagnino a découvert cet ouvrage par le biais de l'adaptation du scénariste David Kajganich, avec lequel il avait collaboré pour A Bigger Splash et Suspiria.
Le réalisateur se souvient : "L’écriture de David bouscule les codes habituels et scrute le comportement humain de manière organique. C’est une écriture extraordinaire. Il ne cherche jamais à être en avance sur le spectateur. Très vite, j’ai été aimanté, quasi inconsciemment, par cet univers".
Kajganich, qui a grandi dans les années 80 dans la région du Middle-west décrite par le roman, s'est immédiatement reconnu à sa lecture : "Beaucoup de gens se sont sentis ‘différents’ dans le regard des autres, et l’adolescence est une période de la vie où l’on éprouve souvent un tel sentiment, si bien que j’ai trouvé que le livre tentait courageusement d’en parler, mais sous un angle résolument nouveau".
Le cannibalisme
Si le film traite du cannibalisme, il ne s'agissait pas pour Luca Guadagnino de choquer à tout prix. Il voulait plutôt instaurer une certaine atmosphère et aborder ce sujet comme un besoin primaire qui s'impose à ses personnages, une pathologie qui les rend honteux et les détruit. "Ces personnages sont victimes de leur condition sur laquelle ils n’ont aucune prise, et c’est la métaphore d’autres conditions. Mais, d’entrée de jeu, j’ai voulu croire à l’existence de ces personnages. Et je voulais que le spectateur croie aussi à leur existence sans convoquer d’éléments fantastiques".
Suivant les recommandations du réalisateur, Taylor Russell n’a pas interprété le besoin de Maren de se nourrir de chair humaine comme un phénomène fantastique, mais comme une réalité qui s’impose à elle : "Elle est submergée par cet instinct, par cet appétit, même si ce n’est pas son choix. Mais à mes yeux, le thème du cannibalisme n’est qu’une métaphore qui suggère les thèmes profonds du film. Il y a bien d’autres sujets plus intéressants que sa condition".
La chair et le sang
Le réalisateur tenait à représenter le cannibalisme à l’écran de la façon la plus réaliste possible, sans tomber dans le gore outrancier ou fantaisiste. Pour cela, la responsable du maquillage Fernanda Perez s’est entretenue avec un pathologiste, comme elle l’explique à GQ : “nous voulions savoir à quoi cela ressemble de manger une personne - et nous avons découvert que ce n'est pas si facile.”
Sur le plateau, les comédiens se “nourrissaient” soit d’une réplique complète d’un corps, soit de parties en silicones placées sur de véritables acteurs. Jason Hamer, responsable des prothèses, révèle que la difficulté résidait dans la reconstitution des différentes couches de la peau, y compris la couche graisseuse, les muscles et les tendons : “Il ne s'agit pas seulement d'un gros morceau de silicone plat. Il faut déchirer et obtenir le grain entre les dents, toutes ces choses que Luca voulait.”
La chair était faite en silicone platinum, utilisé ordinairement dans l’industrie dentaire. Pour le sang, il s’agissait de sirop, de cerises et de brownies mixés. La chef maquilleuse imbibait des éponges de ce faux sang et demandait aux acteurs de les mordre afin de savoir où appliquer le maquillage entre les prises. Un biberon était également utilisé : les acteurs buvaient puis recrachaient le mélange sirupeux afin de recouvrir de faux sang leurs dents et leur bouche.
Un réalisateur qui fait l'acteur
Le réalisateur David Gordon Green, à qui l'on doit la nouvelle trilogie Halloween, est très ami avec Luca Guadagnino. Il tient un petit rôle dans Bones and All. C'est d'ailleurs lui qui devait à l'origine réaliser le remake de Suspiria, avant que le projet n'arrive entre les mains du cinéaste italien. "Je me suis dit qu’il serait formidable pour cette scène : je lui ai demandé ce qu’il en pensait, et par chance, il a accepté et a même voulu qu’on lui fasse une crête iroquoise plus radicale que ce qui était prévu au départ. C’était génial".