Avec Choi Min-sik, Song Kang-Ho ou Doona Bae, il fait incontestablement partie de ces visages qui incarnent le renouveau du cinéma coréen, dont l'impact dans les salles mondiales ne cesse de grandir depuis le début des années 2000, grâce à des réalisaeurs tels que Park Chan-wook, Bong Joon Ho ou Kim Jee-Woon, dont il est l'acteur fétiche.
Révélé par A Bittersweet Life en 2005, Lee Byung-Hun n'a pas mis longtemps à imposer son charisme. Tour à tour gangster tourmenté, cow-boy déjanté ou policier capable des pires horreurs pour venir à bout d'un tueur en série, dans la claque J'ai rencontré le diable, il s'est également aventuré du côté d'Hollywood. Avec plus ou moins de succès mais toujours cette présence à l'écran.
Une présence qu'il possède également en dehors, comme nous avons pu le constater pendant le Festival de Cannes 2021, où il présentait le très efficace Défense d'atterrir hors-compétition. Un film catastrophe également porté par son compatriote Song Kang-Ho (alors membre du jury de Spike Lee) et très à propos, puisqu'il combine les peurs de l'avion et du terrorisme, dans une histoire de virus mortel lâché en plein vol.
Un opus sorti en vidéo le 30 novembre, et qui valait bien l'occasion de parler du présent et des grands moments de la carrière de Lee Byung-Hun, le temps d'un entretien réalisé quelques semaines avant l'arrivée du phénomène Squid Game, dont il tient l'un des rôles clés.
Défense d'atterrir (2022)
AlloCiné : Il y a quelque chose de saisissant à voir "Défense d'atterrir", qui combine plusieurs de peurs que l'on peut avoir : le terrorisme, l'avion... Et son histoire de virus résonne encore plus dans l'actualit. Est-ce que ces choses vont ont parlé autant qu'à nous lorsque vous avez lu le scénario ?
Lee Byung-Hun : Pour tout ce qu'un film peut procurer en matière de peur, tristesse ou joie, c'est vraiment l'intention du réalisateur qui compte. C'est lui qui est le chef d'orchestre. En tant qu'acteur, j'essaye juste d'être fidèle à mon personnage et de ne pas exagérer les émotions qu'il ressent, car cela pourrait froisser le public si je le fais.
Tout ce qui concerne les émotions ou les sentiments que le public ressent, cela tient vraiment au réalisateur, qui décide en post-production de les intensifier ou diminuer. Ce qui m'intéressait aussi ici, c'est que moi-même, depuis mon enfance, je souffre de troubles de panique. Donc je savais, pendant le tournage, que je pouvais mettre cela à profit pour rendre mon interprétation plus réaliste encore.
Qu'aimez-vous dans le genre du film catastrophe, en tant qu'acteur et spectateur ?
Personnellement, je n'en suis pas très fan. Je n'aime pas trop les films sur des catastrophes. Mais j'ai le sentiment que c'est le fait de voir de nombreuses facettes des êtres humains confrontés à des catastrophes qui peuvent les rendre intéressants. Chacun réagit et réfléchit différemment. Voir ces gens lutter pour vaincre la catastrophe qui leur tombe dessus, c'est ce que le public semble attendre de ces films.
A Bittersweet Life (2005)
Parler de la carrière de Lee Byung-Hun sans évoquer sa collaboration avec Kim Jee-Woon est compliqué pour ne pas dire impossible. L'acteur a en effet tourné quatre longs métrages, et pas des moindres, sous la direction de son compatriote : l'élégant A Bittersweet Life. Le détonnant Le Bon, la brute et le cinglé. Le choc J'ai rencontré le diable. Et le récent The Age of Shadows.
Comment Kim Jee-Woon travaille-t-il avec vous ? Comment parvient-il à obtenir le meilleur de vous, parfois dans des registres différents, dans vos films en commun ?
C'est un réalisateur qui aime beaucoup parler avec ses acteurs, afin de réfléchir ensemble sur un personnage. Et je suis convaincu que le plus important, c'est de partager nos idées et réflexions, pour réussir à trouver ce à quoi le personnage pense et réfléchit. En tant qu'acteur, on arrive aussi à trouver les codes, les couleurs et la tonalité des personnages. Et c'est à travers ces discussions que l'on arrive à savoir de quelle manière on va être filmé.
Et, avec Kim Jee-Woon, on arrive à trouver des très bonnes idées au gré de nos discussions. Des idées qui n'étaient pas forcément dans le scénario. Il y a une vraie alchimie entre nous. Et comme il me connaît aujourd'hui très bien, c'est aussi cela qui fait qu'il parvient à tirer le meilleur de moi-même.
Quel souvenir gardez-vous de votre première collaboration avec lui, sur "A Bittersweet Life" ?
Quand on tourne un film de gangsters ou un film noir, on n'approfondit pas vraiment la psychologie du personnage principal en général. Jusqu'à A Bittersweet Life, jamais un film ne s'était attardé sur un protagoniste pour connaître ses émotions, son ressenti. C'est un film qui a une très grande sensibilité, et je dirais presque que c'est un film avec une fibre féminine, ce qui est ironique par rapport au personnage central.
Et c'est en faisant A Bittersweet Life que j'ai réalisé que l'on pouvait installer ce genre de choses à travers la direction d'acteurs et la mise en scène. Car il y avait un côté artistique, très détaillé et très sensible, que je n'avais jamais vu auparavant. Je ne saurais pas dire précisément quelle leçon j'en ai tirée, mais j'ai beaucoup appris en faisant ce film.
J'ai rencontré le diable (2011)
De tous les films que vous avez tournés ensemble, y en a-t-il un qui a été plus marquant que les autres pour vous ?
A Bittersweet Life. Car ça a été le plus difficile mais également le plus mémorable. Et c'est celui dont je suis le plus fier et satisfait. Pendant le tournage, je ne parvenais pas à comprendre pourquoi ce personnage se retrouvait dans une aussi grande tragédie pour aussi peu, pour une raison aussi insignifiante. C'est une chose à laquelle j'ai pensé tout au long du film. Mais le résultat est d'une précision et d'une sensibilité extrêmes.
Quel souvenir gardez-vous de "J'ai rencontré le diable", qui avait très bien été accueilli en France ?
C'est pour moi le second film le plus important que nous avons fait ensemble, juste derrière A Bittersweet Life. C'était notre troisième long métrage en commun, et je l'affectionne tout particulièrement, car il est porté par une force énorme, alors que l'histoire est toute simple. Mais il y a les thèmes choisis et le fait que le résultat soit très cruel. Il y a un vrai sentiment de désespoir qui traverse le film et fait que, pendant le tournage, nous étions assez déprimés.
Les 7 mercenaires (2016)
On vous a également vu dans plusieurs films américains, qu'il s'agisse de "G.I. Joe", "Terminator Genysis" ou "Les 7 mercenaires". Qu'est-ce qui vous a marqué dans la façon de travailler aux États-Unis par rapport à la Corée ?
Les différences tiennent parfois plus à la taille du film qu'à sa nationalité. Mais j'ai remarqué que la période de pré-production est très très très longue aux États-Unis, avec un storyboard conçu dans les moindres détails. Et une fois la pré-production terminée, quand on lance enfin la production, c'est vraiment la course.
Tout va très très très très vite. Et c'est vraiment différent de la Corée sur ce point. Là-bas, la période de pré-production est relativement courte alors que la production en elle-même est plus longue. Cela fait que lorsque l'on a une idée pendant le tournage, on peut s'adapter car ce temps nous donne assez de flexibilité. Et une bonne idée qui n'était pas dans le scénario peut ainsi se retrouver dans le film, ce qui est bien.
Aux États-Unis, à l'inverse, lorsque vous voulez soumettre une idée qui n'était pas prévue dès le départ, cela prend énormément de temps : il faut d'abord soumettre l'idée au studio et attendre sa réponse, ce qui peut prendre plusieurs jours. Or, il est impossible de tourner pendant ce temps d'attente, et la grande différence réside là.
L'Homme du président (2020)
Vous étiez récemment dans "L'Homme du président", film d'espionnage qui revient sur un moment sombre de l'Histoire de la Corée (l'assassinant du président Park Chung-hee en 1979). Comment est-ce que l'on vit, personnellement, le fait de revisiter un tel événement de son pays ?
Vous savez, je n'aime pas trop les films politiques. Je ne veux pas faire partie d'un long métrage qui prend position sur l'Histoire de la Corée. Ou ne pas faire partie d'un clan politique. Donc je souhaitais participer à un film qui resterait objectif quant aux événements survenus.
Cet assassinat reste un fait très marquant de notre pays et, avant de faire le film, j'avais posé deux conditions : qu'il soit objectif, et que tout ce qui était irrésolu dans cette affaire le reste à l'écran. Je ne voulais pas que le film commence à imaginer des choses, prenne parti ou résolve des mystères encore non résolus à ce jour.
J'ai eu la chance de pouvoir rencontrer des personnes ayant connu le véritable Kim Jae-gyu [assassin du président, dont son personnage Kim Kyu-pyeong est inspiré, les noms ayant été changés dans le film, ndlr], qui m'ont raconté ce qu'il aimait ou ses habitudes, ce qui m'a beaucoup nourri pour mon interprétation.
Je pense que le film a pu se faire car il s'agit d'une histoire encore relativement proche de notre époque. Mais je trouve qu'il s'agit davantage d'un film noir qui parle de la psychologie d'un homme. Et, dans ce sens, L'Homme du président rejoint beaucoup A Bittersweet Life.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 16 juillet 2021