Juché en haut de la butte Montmartre, le Studio 28 tient toujours ses portes grandes ouvertes aux passants, simples badauds passés là par hasard ou habitants du quartier familiers du lieu. Ils y trouvent à coup sûr Alain Roulleau, directeur énergique et infatigable de ce cinéma. Il a d'ailleurs fini par installer son appartement dans les lieux pour dormir sur place, retranché dans "la dernière vraie salle de quartier de Paris", comme il aime à le rappeler.
Alain Roulleau peut s'enorgueillir du passé prestigieux de cette salle créée en 1928 par Jean-Placide Mauclaire, reprise en 1938 par Edouard Gross et décorée par Jean Cocteau. Dès ses débuts le Studio 28 se distingue par une programmation exigeante, faisant découvrir en France Luis Buñuel ou les Marx Brothers.
La saga des Roulleau
Si Alain Roulleau vit dans son cinéma, il y est aussi presque né. Et il raconte avec bonheur la saga familiale des Roulleau évoquant fréquemment Cinéma Paradiso mais se défendant de toute nostalgie. Ses parents avaient repris le Studio 28 en 1948. Sa grand-mère tenait la caisse, sa mère faisait office d'ouvreuse, son père et son oncle s'occupaient de la programmation.
Alain Roulleau serait ainsi né dans une clinique à deux pas du cinéma, sa mère ayant perdu les eaux avec le dernier client entré pour une séance. A l'adolescence, il devient projectionniste pour se faire de l'argent de poche puis il décide de fuir le clan.
Du champagne à l'Art & Essai
Après des études de sciences-économies, il devient assistant d'attaché de presse puis attaché de presse, travaille pour les Artistes Associés, la Twentieth Century Fox et finit directeur des relations publiques internationales de la maison de Champagne Piper qui l'engage pour pénétrer le monde du cinéma.
Grâce à ce poste, il écume les Festivals du monde entier pendant 10 ans. Pendant ce temps là son père disparu, c'est son oncle qui reprend le flambeau du Studio 28 jusqu'à sa mort en 1994. A partir de ce moment, la salle périclite, Alain Roulleau hésite à la revendre en 1997 mais s'attelle finalement à sa restauration.
Entre tradition et modernisme
Il refait les peintures, aménage un jardin attenant à la salle, change les éclairages et surtout refait une programmation. La fréquentation passe de 400 à près de 1 000 entrées lors des meilleures semaines. La réussite est là mais il ne se paye pas, continuant de travailler dans la communication pour Rémy Cointreau.
Le personnel n'est composé que de deux projectionnistes, deux ouvreuses et une caissière. Chaque centime gagné est réinvesti dans le cinéma, équipé d'un écran de 10 mètres de base avec un son dolby numérique. De quoi battre en brèche le stéréotype du cinéma de quartier désuet.
Et pour mettre en valeur sa salle, Alain Rouleau tire habilement profit de son expérience en marketing et relations publiques. Ainsi il attache une importance primordiale à l'accueil, la convivialité, la ponctualité et la propreté du Studio 28, recommandant à sa caissière de sourire, concoctant des sangrias lors de la sortie de l'Auberge espagnole et préparant des gâteaux maisons pour ses clients qui prennent désormais l'habitude de boire leur café sur place.
Sans compter les multiples expositions de tableaux qui ornent les murs suivant le thème des rétrospectives et les nombreuses animations musicales allant de l'orchestre de jazz au pianiste soliste.
Les salles du troisième millénaire
Pour lui cette approche fait la différence avec les multiplexes dont on aperçoit d'abord les vigiles. Mais pas question d'être manichéiste : une salle de cinéma se doit de proposer de bonnes conditions de projection et il s'insurge contre certaines salles d'Art & Essai qui sont aussi grandes et bien agencées qu'un couloir, résultat d'un saucissonnage entrepris à la fin des années soixante avec la naissance des complexes.
Ce qu'il rejette dans les multiplexes, c'est leur côté déshumanisé et leur principe de consommation de films réduits à l'état de produits. Il appelle ça du cinéma-bouffe contrairement à la "gastronomie" des indépendants. Et il a des idées très précises sur la définition de l'indépendance :
"Je ne suis assujetti à personne, je suis propriétaire de mes murs et je fais moi-même ma programmation. Pour moi, c'est ça la définition de l'exploitant indépendant. Mais suivant ces critères il n'y aurait plus que trois salles indépendantes sur Paris. On peut dire aussi que c'est un état d'esprit, celui d'aller à la rencontre du public, de proposer des animations autour des films, de ne pas se contenter de lever la grille. Dans ce cas la salle du Balzac est une salle indépendante bien qu'Océan Films soit impliqué dans sa programmation. Finalement nous sommes les salles du troisième millénaire !"
Amélie Charnay