Après avoir dirigé StudioCanal et lui avoir donné l'envergure européenne que nous lui connaissons aujourd'hui, Vincent Grimond est depuis peu directeur général et financier des studios Universal. AlloCiné l'a rencontré lors de son dernier passage à Paris. Il nous a confié ses premières impressions sur les mythiques studios américains. Il a également répondu à quelques questions sur l'avenir du StudioCanal, auquel il semble toujours très attaché, aux incidences de la fusion Vivendi-Universal sur la production française et sur les inquiétudes qu'elle suscite.
Ses premières impressions des studios Universal
"Je connais bien Universal de l'extérieur pour avoir travaillé avec eux chez StudioCanal. Il est vrai que lorsque l'on pénètre dans un studio américain pour la première fois, on a la sensation d'accéder à l'un des cinq lieux où sont fabriqués les films hollywoodiens qui dominent le box-office mondial. Une vraie magie existe dans ce lieu, ce qui n'enlève rien au charme et au talent du cinéma européen... Hollywood est un lieu à part, avec des caractéristiques très spécifiques."
Son travail chez Universal
"Pour l'instant, mes journées de travail consistent à parler avec les gens, les écouter, comprendre ce qu'ils font, essayer de leur expliquer ce que fait StudioCanal, ce que fait Canal +. Et au milieu de tout cela, le but est de visualiser ce que l'on peut entreprendre ensemble, les synergies que l'on peut attendre... Mon travail à l'heure actuelle consiste beaucoup à écouter, ce que je fais assez bien d'ailleurs, mieux que parler..."
Sur les inquiétudes que soulève la création du géant de la communication Vivendi-Universal
Vincent Grimond admet que la situation est compliquée. Il cite abondamment les propos de Pierre Lescure : "il a dit il y a quelque temps que le meilleur moyen de défendre la culture française c'était de l'exporter, et que le meilleur moyen de se défendre puissamment c'est d'être puissant soi-même... Vivendi-Universal, qui est un groupe culturellement ancré dans une réalité française et européenne, est l'un des acteurs majeurs des médias dans le monde et c'est fondamental." Il ajoute fermement : "je pense que jamais on ne me reniera, ni Canal, ni Jean-Marie Messier."
En ce qui concerne les concentrations excessives dans ce secteur
"Demandez à Time Warner, à CBS : la concentration est hélas quelque chose d'inévitable. Le phénomène va aller en s'accroissant ; il est donc important que l'un des acteurs du marché soit européen. Dans cette mesure, je pense que Vivendi-Universal est une bonne chose pour l'Europe. Il y a aura cinq ou six groupes qui domineront ce marché ; s'il y en a un ou deux européens cela sera merveilleux. Nous sommes sûrs qu'il y en aura un : c'est fondamental."
Sur l'avenir du studio européen tel qu'il l'a fait évoluer
"Quoiqu'il advienne, StudioCanal cherchera à préserver sa spécificité de studio européen en essayant de tirer parti de la puissance effective que peut avoir Universal. Nous avons déjà signé - quand je dis "nous" j'entends : StudioCanal, mon ancienne société - un accord avec Universal en matière de distribution vidéo qui est très prometteur. A priori Le Pacte des Loups devrait être distribué aux Etats-Unis par Universal Focus ; j'y vois là un très bon signe.
Mais Vincent Grimond affirme qu'il convient d'être réaliste : "il ne faut pas se leurrer : nous n'allons pas distribuer tous les films français aux Etats-Unis mais ces films ont désormais un accès privilégié au territoire américain qui est sans égal."
Les propos de Vincent Grimond se veulent néanmoins rassurants et optimistes : "il y a un procès d'intention. C'est vrai qu'Universal a "gobé" Polygram Film Entertainment il y a quelque temps. Il est évident que cela n'arrivera pas à StudioCanal, qui ne se fera jamais "polygramiser". Quoiqu'il advienne, la dimension européenne perdurera. Le choix de l'ancien président de StudioCanal pour réfléchir à ce que l'on peut faire chez Universal témoigne bien de cette volonté de préserver le cinéma européen."
StudioCanal pourrait-il devenir un organe qui se contenterait de gérer les droits tandis que la production se ferait exclusivement outre-Atlantique ?
"Cela me paraît être une erreur grave que de penser cela. StudioCanal a pour vocation de maintenir son rang d'intervenant majeur dans la production française. Il en est un également au sein de la production anglaise puisque Working Title, détenu à 50 % par StudioCanal est, sans conteste, le meilleur producteur anglais et l'un des meilleurs européens. Je pense que StudioCanal a vocation à élargir sa gamme. Le Studio va également sortir son premier film allemand. Sogecable, notre société-soeur en Espagne, via sa filiale Sogepaq, est l'un des meilleurs producteurs espagnols et nous intervenons dans des films italiens. Il n' y a donc aucune raison pour que les efforts de StudioCanal en production locale soient atténués.
Vincent Grimond ajoute à ce moment-là, sur le ton de l'autodérision : "il faudrait que j'arrête de dire "nous" en parlant de StudioCanal, il faut que je me fasse à l'idée que ce n'est plus chez moi !".
Sur sa mission de défense du cinéma français auprès d'Universal
Quand on lui demande s'il fait partie de sa mission chez Universal de défendre les intérêts du cinéma français, il répond de façon elliptique : "j'espère que l'on ne change pas simplement parce que l'on change de lieu et de fonction. J'évolue avec mes certitudes, mes convictions et la volonté chevillée au corps de faire des choses de façon cohérente. StudioCanal affirme sa volonté d'être une entité culturellement en phase avec ce qui se passe en Europe ; je ne me déjugerai pas chez Universal... Bien sûr, j'aime toujours le cinéma français, le cinéma européen, et je crois qu'il y a une place logique à prendre, sans pour autant que cela soit contradictoire avec le développement du cinéma hollywoodien qui tient une place que l'on sait être extrêmement importante."
Sur les avantages pour le cinéma européen de la fusion Vivendi-Universal
"On est toujours plus puissant lorsque l'on est adossé à quelqu'un de puissant, qui reconnaît la nécessité et la vitalité de ce qui est entrepris. Je pense qu'aujourd'hui le groupe Vivendi-Universal, Jean-Marie Messier et Pierre Lescure ont une conscience très précise de l'importance d'une vitalité du cinéma européen."
Les avantages de la fusion pour Universal
Vincent Grimond semble alors chercher un chiffre avant de dire "j'aimerais bien savoir combien de talents hollywoodiens sont passés par l'Europe, ou sont d'origine européenne. J'ai lu, mais c'est peut-être faux, que 50 % des Oscars qui ont été attribués depuis le début l'ont été, en matière de meilleurs films et de meilleurs réalisateurs à des gens qui n'étaient pas d'origine européenne. Pour Universal, la possibilité de venir identifier plus tôt que les autres certains des savoirs-faire de réalisateurs, d'auteurs est une chose très importante. Pour Universal, il y a là une source d'intérêt évidente. StudioCanal a un savoir-faire dans le film "art-type" comme on l'appelle aux Etats-Unis, qui est supérieur à celui d'Universal. C'est une relation qui, si elle est bien menée, profitera aux deux parties, j'en suis convaincu."
Sur l'état de santé du cinéma français et européen
A l'heure actuelle ma réponse est très contrastée. Je pense que le cinéma français depuis le début de l'année 2001 se porte vraiment très bien. Nous sommes tous ravis du succès du Pacte des loups, qui est pour nous significatif, car c'est un genre très particulier. Dans un genre plus classique La Vérité, si je mens ! 2 a également réussi une performance tout à fait remarquable. Si l'on ajoute à cela Le Placard, je pense que nous avons là les meilleurs chiffres depuis plusieurs années. En ce sens, je me réjouis.
Dans le reste de l'Europe, l'année 2000 a été un peu décevante ; le manque d'ambition des productions locales s'est fait ressentir. En Grande-Bretagne, le système d'aides de la "Lottery" n'a pas bien fonctionné, les Allemands n'ont pas eu de gros succès l'an dernier, les Espagnols non plus, quant à l'Italie, il n'y a pas eu de Benigni...
Pour résumer, l'an 2000 n'a pas été une année inoubliable pour le cinéma européen, je ne suis pas sûr que 2001 sera plus remarquable. En revanche, l'état de santé du cinéma français montre qu'il y a des gens qui veulent faire des films dans leur langue, leur culture, être proches de leurs racines. Il n'y a pas de raisons que l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne n'aient pas les mêmes préoccupations.
E.M.