La semaine dernière, l'ARP, l'association des auteurs, producteurs et réalisateurs, recevait la profession aux rencontres de Beaune. En dix ans, cette manifestation est devenue l'un des temps forts de l'année cinématographique, qui permet à toute une frange de l'industrie cinématographique d'exprimer ses craintes et de débattre des thèmes d'actualités. Cette dixième édition s'est surtout focalisée sur l'Europe et l'internet, mais n'a pas oublié l'incontournable sujet des cartes illimitées.
Internet et le cinéma
Faut il avoir peur du grand méchant web ? Le programme de Beaune l'annonçait : il allait être question de l'internet. La question divise. Il y a les convaincus, et les sceptiques. Comme lors de tout avènement technologique. Le septième art lui-même n'a-t-il pas été considéré pendant des années comme un objet de foire parce qu'il y était né ? Quelques décennies ont passé avant que l'on ne le prenne au sérieux...
Plusieurs points se sont dégagés dans le débat sur l'avenir du cinéma sur la toile. Côté potentiel de marché, les avis sont partagés. Si le bassin potentiel est aujourd'hui de 350 millions d'internautes, et est évalué à 1 milliard pour 2002, la notion de public au sens large n'est pas à l'ordre du jour. Le public est en effet atomisé, et constitué en communautés. D'autres intervenants sont sceptiques quant à l'extension même de l'exploitation d'un film sur le web. Véronique Cayla, membre du CSA récemment nommée au triumvirat qui présidera aux destinées du festival de Cannes, ne croit pas que l'avenir d'internet rime avec avenir du cinéma. Selon elle, "il n'y a pas de convergence, mais il y a une complémentarité." Véronique Cayla évoque alors l'autre dimension du web, comme un support marketing au film : le réseau est en effet le relais d'une promotion, via la diffusion d'éléments tels que les making-of ou la mise en place de jeux-concours, qui créent l'attente et le bouche à oreille autour du film. La profession reste donc globalement divisée sur l'avenir du septième art sur ce nouveau support et sur ces futures formes qui n'en sont, il est vrai, qu'aux balbutiements.
En ce qui concerne le long-métrage, les techniques ne sont pas encore suffisamment évoluées pour inquiéter les professionnels : les temps de téléchargement sont encore trop longs pour envisager lire un long-métrage sur le web, et l'avenir de ce format sur le web passera d'abord par la généralisation de l'internet à haut-débit. Cependant dans ce domaine tout va très vite, et l'existence d'un format tel que le DivX, qui correspond à peut près à ce que le MP3 est à la musique, devrait inciter les professionnels à penser sérieusement à la question de la rémunération des ayants-droits. Les internautes rêvent déjà d'un "Napster du film"... et comme le dit Pascal Rogard, délégué général de l'ARP, "Ce qui se passe pour la musique peut nous arriver demain".
Du côté du court, en revanche, on reconnaît l'intérêt du réseau. La toile permet en effet aux jeunes réalisateurs de se faire connaître, et de présenter leurs oeuvres. Plus petit, ce format est plus adapté à la vitesse actuelle du réseau. A titre d'exemple, Primefilm.com, un festival de courts métrages créé par le réalisateur Thierry Boscheron (Sur un air d'autoroute) a enregistré 12000 téléchargements par mois pendant ses 6 mois d'existence sur le réseau.
L'Europe
Outre internet, il a été question de l'Europe. Les rencontres de Beaune se sont toujours fait l'écho des inquiétudes de la profession, comme au plus fort de la bataille contre l'AMI, l'accord multilatéral sur l'investissement, un accord commercial qui devait être signé dans le cadre du GATT, et qui remettait en cause le principe d'exception culturelle. Si les rencontres de Beaune ont longtemps été marquées par le combat contre la "menace américaine", ce week-end, c'est Bruxelles et sa bureaucratie qui cristallisait les inquiétudes des professionnels du cinéma.
Le premier sujet évoqué était Média +. Ce programme communautaire d'aide à la diffusion des films européens hors de leur territoire d'origine est actuellement au centre d'un débat acharné entre les membres de l'Union européenne. Enjeu de la discussion : le montant qui sera alloué à ce programme. A l'origine, le Parlement européen avait proposé 500 millions d'euros (soit 3,6 milliards de francs). Cette somme a été revue à la baisse par la Commission européenne, qui propose le chiffre de 400 millions d'euros (soit plus de 2,6 milliards de francs). Mais voilà, cette somme divise encore. Si 12 pays sur les 15 que compte l'Union européenne sont en faveur de ce chiffre, l'Allemagne, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne estiment encore ce montant trop élevé. Le sujet est inquiétant car pour que Média + puisse être mis en oeuvre, il faut parvenir à un accord unanime : la prochaine réunion est le 23 novembre prochain. Faute d'un accord, le programme pourrait être reporté de plusieurs mois, ce qui serait inquiétant pour l'avenir de l'Europe du cinéma.
Autre sujet européen sensible, le maintien des aides communautaires. La direction de la concurrence de la Commission européenne examine tour à tour chacun des systèmes d'aides nationales au cinéma, afin de vérifier s'ils sont conformes ou non à l'article 87 du traité de Rome, qui fixe les règles de la concurrence. La Commission "estime que le montant des aides de doit pas excéder 50% du coût total d'une oeuvre, sauf pour certains films difficiles", sanspréciser cependant ce qu'est un film difficile. Jacques Fansten, cinéaste lui-même, a rappelé que si ce souhait de la Commission devenait une réalité, un film comme Dancer in the dark, palme d'or cette année à Cannes, ne pourrait plus se monter financièrement. Doit-on alors sacrifier l'art à l'économie, au nom des règles de la concurrence ? N'y-a-t-il pas là un paradoxe ? L'enjeu est donc de taille pour le cinéma européen. Les débats ont d'ailleurs été très vifs. Un député européen expliquait à une assemblée d'artistes qu'il valait mieux être agriculteur, car ce secteur bénéficie de nombreuses aides, et n'a pas hésité à dénoncer l'attitude de la France, qui selon lui entend défendre le plan Média + pour bénéficier d'aides à l'exportation de ses propres films, alors que la part de marché des films européens en France est extrêmement faible avec environ 5% des entrées en salles. Ce à quoi Catherine Tasca a rétorqué qu"il faut des cinémas nationaux forts pour bâtir une politique d'échanges", et elle a regretté que "certains pays alimentent les productions américaines". La ministre de la culture visait, sans l'avoir cité, l'Allemagne, un pays qui, rappelons-le, fait partie des trois membres de l'Union européenne à s'opposer sur le montant du programme Média +.
Faire l'Europe du cinéma sera bien compliqué... L'acteur, producteur et réalisateur Jacques Perrin, président de ces dixièmes rencontres de Beaune, a quant a lui déclaré qu'"il faudrait que l'ARP soit européenne". La mise en place d'un équivalent européen de l'ARP serait ainsi un relais aux préoccupations des professionnels du cinéma dans toute l'Europe, soit un contrepoids aux institutions européennes.
Les cartes
Ces rencontres pouvaient-elles se dérouler sans évoquer la thématique des cartes ? Malgré l'absence des exploitants à l'origine de ces formules d'abonnements, les auteurs, réalisateurs, producteurs et personnalités présentes ont évoqué LE sujet de l'année. Pierre-Christophe Baguet, député des Hauts-de-Seine, a même proposé une aide de l'Etat pour informatiser tous les cinémas et mettre en place une carte universelle valable donc, dans toutes les salles. L'ancien ministre Jack Ralite, a proposé quant à lui la tenue d'assises nationales du cinéma sur ce thème. Le sujet continue donc de défrayer la chronique. Et ce n'est pas près de finir : si l'amendement d'encadrement du système des cartes a été voté récemment par le Sénat, le projet n'est pas encore inscrit au calendrier de l'Assemblée nationale, et ne devrait pas, selon les prévisions les plus optimistes, être présenté aux députés avant avril ou mai prochain, soit peu de temps avant les vacances parlementaires. Les cartes feront donc encore parler d'elles jusqu'au début de l'été prochain... au minimum !
F.M.L d'après l'AFP