Il fallait s'y attendre. A peine voté par le Sénat, le projet d'encadrement des cartes de cinéma proposé par Catherine Tasca provoque des remous dans la profession. Le réalisateur Patrick Braoudé, président de l'ARP, n'a pas tardé à réagir et à tirer la sonnette d'alarme. Il estime en effet que "les cartes vont amener la mort des petits exploitants", et détaille dans un communiqué à l'AFP les risques du développement de ce nouveau mode de consommation.
Premier problème évoqué, celui de la remontée des recettes. N'oublions pas que les producteurs et distributeurs sont rémunérés sur chaque ticket de cinéma. Or sur les tickets donnés aux détenteurs des cartes figurent simplement la mention "carte illimitée", sans aucune indication de prix.
Comment établir avec certitude le retour des recettes pour un abonnement alors que chaque ticket donné au détenteur des cartes n'est en réalité qu'une contremarque ?
UGC s'était engagé à rémunérer les ayants-droits, producteurs et distributeurs, sur la base d'un ticket à 33F. Le président de l'ARP semble penser que ce ne sera pas le cas et d'ajouter : "si un producteur et un distributeur touchent moins, c'est la qualité du cinéma qui va en pâtir." D'autant que ces recettes leurs permettent de produire de nouveaux films. Plus elles sont élevées, plus les films produits peuvent rivaliser avec les grosses productions américaines. En l'absence d'une transparence sur les entrées réalisées, les producteurs et distributeurs ont de quoi être inquiets. C'est pourquoi ils réclament des garanties sur le contrôle des recettes. Selon le réalisateur, le système des cartes provoque "un paradoxe incroyable : les exploitants n'ont pas intérêt à ce que les gens aillent trop au cinéma car, sinon, ils n'ont plus qu'à fermer boutique".
Second problème, le comportement du public. Après plusieurs mois d'exploitation des cartes, on observe en effet dans les réseaux qui les proposent un comportement "zappeur" d'une certaine partie du public. Dans certains multiplexes, les détenteurs des cartes ne passent même plus à la caisse pour prendre leur ticket. Faute de personnel, les exploitants de ces complexes sont parfois débordés par ce phénomène. Au-delà des perturbations en cours de projections subies par l'ensemble des spectateurs, ce sont les mutations dans le mode de consommation du cinéma qui sont en question. La proposition de ce type de produits, en réduisant les coûts mais en obligeant en même temps à rentabiliser sur le long terme, pose forcément la question du zapping. Selon le réalisateur, "on a ouvert une boîte dans Pandore".
Outre la thématique des cartes, Patrick Braoudé a profité de ce communiqué pour s'exprimer également sur la programmation des salles. Il déplore en effet que la multiplication des écrans ne laisse pas aux films le temps de s'installer. L'augmentation du parc des salles ne s'est malheureusement pas accompagnée d'une politique de programmation favorable aux films : "C'est une situation dramatique. Il y a une multiplication des écrans, mais ça ne permet pas aux films de rester plus longtemps s'ils ne font pas leurs preuves tout de suite". La course à la rentabilité prime sur le film lui-même, et ne laisse plus le bouche à oreille faire son oeuvre. Or un film n'est pas un produit standard, chaque film est unique, et chacun a besoin de trouver son public. Patrick Braoudé renchérit : "c'est injuste car les films américains ont déjà leur vie aux Etats-Unis, le bouche à oreille est déjà fait. Alors que nous, nous avons besoin de quinze jours."
Force est de constater que le secteur de l'exploitation est en pleine mutation, et que ces bouleversements auront des répercutions sur les autres maillons de la chaîne cinématographique, donc sur les producteurs et les distributeurs. Si le président de l'ARP a reconnu que les cartes permettaient également au public d'accéder à des films qu'ils n'iraient pas voir sans abonnement, et convient par là-même que le cinéma en dehors des cartes reste très cher, il reste très préoccupé par les bouleversements induits dans l'industrie. C'est pourquoi il a annoncé que ce nouveau système serait très certainement au coeur des rencontres cinématographiques de Beaune, que l'ARP organise le week-end prochain.
F.M.L avec l'AFP