AlloCiné : Si vous n'aviez pas été réalisateur, qu'auriez-vous fait ?
Roy Andersson : J'avais des rêves quand j'étais petit. Je voulais être ingénieur, inventeur, technicien. Mais, vers mes quinze ans, j'ai complètement changé d'avis.
En fait, je rêvais de mettre au point une machine qui produirait de l'énergie sans en utiliser... C'était un rêve (sourires)
Quel est le premier film que vous ayiez vu sur grand écran ?
Je crois que c'est un Laurel et Hardy, vous savez le petit et le gros ; Zorro aussi .
Mais le premier film qui m'a marqué profondément était un film italien néoréaliste, Le Voleur de Bicyclette de Vittorio De Sica. Et c'est sûrement quand j'ai vu ce film pour la première fois que j'ai pensé qu'un jour je ferai des films.
A 16 ans, je ne voulais plus devenir ingénieur, mais auteur, car j'avais vu plein de choses intéressantes. Et puis, j'ai encore changé d'avis quelques années plus tard en ayant vu des longs métrages époustouflants. Là, je me suis dit que je voulais être réalisateur.
Votre comédien de référence
Je crois que l'un des plus grands est français : Jean Gabin. Aujourd'hui, peut-être Robert de Niro. Tous les deux ont énormément de présence. Ils sont très vrais. Ils ne jouent pas ; ils existent et vous les suivez tout de suite.
Et votre réalisateur de référence
L'Italien De Sica et l'Espagnol Bunuel.
Votre plus grand regret professionnel
J'ai fait beaucoup de films publicitaires, des courts et des longs. J'en regrette certains. J'en ai réalisé quelques trois cent, et il y en a certains que je ne trouve pas honnêtes. Je n'ai pas été professionnel, je n'ai pas fait du bon travail. Il y en cinq que je déteste.
A part cela, je suis assez fier de mon travail. Je crois que lorsqu'on fait des films, qu'on utilise ce moyen d'expression, on doit être conscient que cela contribue à créer une vision de la vie pour beaucoup de gens. Et je me souviens avec un peu de tristesse que quelques fois, j'ai mal utilisé ce moyen. Si on n'est pas patient, ni responsable, il faut faire quelque chose d'autre.
Et votre meilleur souvenir professionnel
Je crois que sur ce film, "Chansons du deuxième étage", j'ai connu tellement d'émotions. Et ce n'est pas encore fini. Ma récompense au dernier festival de Cannes ("Chansons du deuxième étage" a reçu le Grand Prix du Jury NDLR), tous les gens que je rencontre encore en ce moment à Paris... Je crois que peut-être, c'est mon meilleur souvenir professionnel. Tout ce qui se passe autour de ce film.
Votre plus grand désir professionnel
Peut-être est-ce un peu prétentieux de dire ça, mais je ne peux plus rien espérer de mieux après ce film. Bien sûr, je veux en faire d'autres. Mais, pour cela, il me faut du temps, de la patience, et des moyens financiers.
Mais il y a une chose que je veux garder, c'est la conscience qu'il reste toujours quelque chose à accomplir pour être au sommet, qu'on y est jamais. Je ne veux pas perdre conscience de ce petit pas à accomplir. Il faut toujours pouvoir espérer se surprendre.
Votre film de chevet
Le Voleur de Bicyclette. C'est un film très emphatique dans le cinéma. Qu'est-ce qu'un voleur et qu'est-ce qui fait un voleur ? Je crois que c'est très bon.
En résumé, "Chansons du Deuxième Etage"...
Si je devais le résumer en très peu de mots, je dirais que c'est un film sur la confusion. Nous, êtres humains, nous sommes vulnérables, confus par beaucoup de côtés. Je veux souligner le respect que j'ai pour notre vulnérabilité, que nous ne gâchions pas nos chances, nos possibilités et nos ressources. Je ne suis pas croyant, mais j'aime bien la phrase "Vous ne devez faire aux autres ce que vous n'accepteriez qu'ils vous fassent". C'est ça le plus important.
Quand avez-vous eu l'idée de ce film ?
Certaines scènes ont plus de 15 ans, voire 20. Donc, comme j'ai dit que je voulais être écrivain, j'adore tous les auteurs qui réussissent à retranscrire toutes les dimensions de l'existence. Et je veux faire des films qui ont cette richesse. Au cinéma, vous n'avez que deux heures, mais je voulais que mon film soit aussi riche et dense qu'un livre de Céline ou de Dostoïewski.
Vous travaillez avec des acteurs non-professionnels. Comment les avez-vous choisis ?
Je veux choisir mes interprètes parmi des acteurs professionnels, mais aussi parmi des gens ordinaires. Je recherche de la présence, quelqu'un qui est intéressant à suivre, à regarder... Et vous trouvez ces personnes partout dans notre société, dans la rue, au restaurant, dans les magasins... Je ne fais pas beaucoup de différence entre un acteur pro et un amateur. Je crois que nous sommes tous des acteurs, et nous sommes tous des amateurs.
"Giliap", votre deuxième et dernier film remonte à 1976. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps depuis ?
C'est une question de support en grande partie, et aussi le résultat de mon hésitation. Mais, surtout, n'ayant aucun appui du système, j'ai mis du temps à créer ma maison de production, "Studio 24", avec plateaux, salle de montage et ateliers de décors. Je l'ai développé grâce à mes spots publicitaires. Cela m'a pris un peu plus de temps que je ne l'aurais souhaité. Mais, je suis heureux d'y être enfin arrivé et j'espère qu'il me reste encore quelques années à travailler.
Je suis très content d'être indépendant, et non pas être entre les mains des bureaucrates, de l'establishment. Je suis assez satisfait, même si cela m'a pris si longtemps. Ce qui est important, c'est d'être heureux de son travail.
Si j'avais commencé un peu plus tôt, je suis persuadé que je n'aurais pas pu faire "Chansons du Deuxième Etage". Sûrement que toutes ces années - près de vingt-quatre ans - entre ces deux films ont contribué à sa densité, l'ont purifié. Et peut-être qu'on peut sentir cela, tout ce temps de réflexion et d'exercice.
Quatre ans de tournage, c'est long...
Ce n'est pas vraiment le tournage qui prenait du temps, mais plutôt la construction du plateau. On a construit 43 très grands plateaux, et quelques uns prenaient 2 à 3 mois de fabrication. Je dirais qu'en fait on a travaillé très vite.
Il nous a fallu plus de trois ans et demi pour monter ce film. Le tournage en lui-même n'a pas été aussi long que cela. Ce qui a aussi pris du temps, ce sont les petits essais que l'on faisait avant de tourner, même avec les caméras 35 mm : tout cela pour être vraiment sûr de la manière de procéder, d'essayer le tempo, les compositions, les couleurs, les chansons. 50% des plans ont été tournés deux fois ; certaines scènes trois fois. Mais, sinon, rien d'extraordinaire.
Une anecdote particulière de tournage
J'en ai une bonne je crois... Une des scènes a eu lieu dans une gare. On avait loué un énorme hangar d'avions pour la reconstituer. La caméra devait bouger et longer. Il fallait beaucoup de place.
Un jour, des badeaux se promenaient à proximité. Ils se sont arrêtés près de la porte, et ils ont dit "ah, c'est bien, il y a un tournage ici, fantastique. Qu'est-ce qui va se passer ?" "Eh bien, c'est une scène où un homme se coince le doigt dans une porte". Alors, ils sont restés là, stoïques, puis ont vite déguerpi. Ils s'imaginaient voir de l'action...
Les influences visuelles sur ce film
Ma principale source d'inspiration est l'histoire de l'art, la peinture en particulier. Et la vie en elle-même. Je suis assez impressionné par les formes picturales, notamment la peinture flamande de Bruegel.
Le film est un étrange mélange d'absurdité et d'expressionnisme, allemand entre autres. Mes références sont plutôt picturales que cinématographiques.
Pourquoi travaillez-vous sans script ?
Ce n'est pas tout à fait le cas. En fait, je travaille avec des dessins. J'ai une description assez précise de chaque scène. Je sais de quoi elle parle, mais j'attends vraiment les dernières répliques. Je veux avoir une vision globale, et tout contrôler. Les dialogues sont prêts la dernière semaine, et parfois même le dernier jour.
Que pensez-vous de la situation actuelle du cinéma en Suède ?
C'est un changement de génération. Une nouvelle arrive, et je trouve cela très bien, même si pour le moment, c'est assez confus. Je nourris de grands espoirs pour tous les jeunes qui arrivent en ce moment.
Pensez-vous que votre récompense au dernier Festival de Cannes, et le fait que Liv Ullman ait été en compétition officielle avec "Infidèles", puisse donner une autre image du cinéma suédois, et le promouvoir ?
Oui, je crois que le film de Liv Ullman était tiré d'un scénario de Bergman ; donc, ce n'était pas vraiment une surprise. J'ai eu un prix, tout comme un jeune réalisateur l'a eu pour les courts métrages. C'est vrai que c'est un bon exemple de ce qui se passe en Suède dans le cinéma. C'est très bien pour nous.
Votre prochain projet
Je ne veux plus adapter de nouvelles comme je l'ai déjà dit, sauf peut-être une française. Mais, ce serait sûrement un peu prétentieux de ma part, car je trouve que c'est un sujet français. C'est "Voyage au bout de la nuit" de Céline. J'adore cette histoire, et c'est le seul roman que j'aurais envie d'adapter à l'écran. J'aurais besoin d'un producteur pour m'aider, et si ce n'est pas possible, j'essaierais autre chose...