AlloCiné : Si vous n'aviez pas été comédienne, qu'auriez-vous fait ?
Irène Jacob : J'ai eu envie très tôt d'être comédienne. Mais, vers 5 ans, j'ai hésité car je voulais être majorette (rires). Et puis, finalement, j'ai continué à vouloir devenir comédienne. Sinon, j'aurais bien aimé être psychologue ; ma mère est psy et donc... Finalement, je suis actrice.
Le premier film que vous ayez vu sur grand écran
Sur grand écran ? un Walt Disney, je crois, un dessin animé. Mais, cela ne compte pas (rires). Qu'est-ce que cela a pu être ? Un Charlie Chaplin. Je me souviens aussi de L'Incompris (Luigi Comencini - 1967 NDLR), tous ces films que l'on voyait au ciné-club l'été.
Quelle actrice admirez-vous le plus ?
Gena Rowlands, Ingrid Bergman, Audrey Hepburn... Il y a aussi beaucoup de comédiennes que j'aime pour un rôle, c'est différent. J'aime les comédiennes qui m'étonnent. Une comédienne, c'est un mystère ; on ne sait pas ce qu'elle pense. J'admire celles qui m'ont intrigué, dépassé et que je peux regarder plusieurs fois sans comprendre à quoi elles pensent à ce moment là.
Avez-vous un gros regret professionnel ?
(silence) eh bien... En fait, j'ai plein de petits regrets. J'en ai pas spécialement un gros. Peut-être un moment où j'ai pensé que, de toute façon, faire de très bons films, cela allait de soi... Peut-être aussi que je ne me suis pas assez impliquée à trouver des projets ou à faire des choses. J'ai trop attendu, laissé la chance. En même temps, cela correspond à une expérience. Vous savez quand on a vingt ans... J'ai eu une grande chance à un moment. Donc, on ne peut pas parler de regret.
Votre meilleur souvenir professionnel
J'en ai beaucoup. Je peux dire récemment que la pièce que je suis en train de répéter, je l'aime beaucoup. Tout comme L'Affaire Marcorelle.
Mais, évidemment, mes films avec Kieslowski restent un formidable souvenir. Et puis, beaucoup d'autres comme avec Michelangelo Antonioni ou mon rôle dans Othello. Des rencontres très brèves.
Et votre Prix d'Interprétation à Cannes en 1991 pour "La double vie de Véronique" ?
Le Prix d'Interprétation à Cannes ? mon meilleur souvenir ? J'en suis pas sûre. C'était un événement. J'étais bouleversée, mais je ne sais pas si cela reste mon meilleur souvenir. Sûrement l'un des moments les plus flamboyants de ma carrière. Je considère que mes meilleurs souvenirs sont ceux sur les plateaux de tournage ou mes interprétations.
Quel serait votre désir professionnel ?
J'en ai quelques-un en ce moment. J'ai un désir tout simple : j'aimerais travailler dans ma langue. J'ai trop bossé en anglais ces derniers temps. Là, en ce moment, je répète une pièce à Londres. Retravailler en France et en français me plairait. J'ai aussi l'impression de vouloir aborder des rôles plus décalés, marginaux, en lutte.
Votre film de chevet
Ce serait certainement un film de Chaplin ou La Strada, que j'aime énormément.
La rencontre révélatrice
C'était avec Krzysztof Kieslowki naturellement. C'était ma première chance en tant que comédienne. Je débarque dans un monde cinématographique que je n'imaginais pas rencontrer un jour. Il m'a beaucoup apporté. Tout comme les rôles qu'il m'a confié, dans La double vie de Véronique et Trois couleurs : Rouge.
Votre première réplique
"C'est un dièse" dans Au revoir les enfants. Je me limais les ongles, je jouais faux et je disais "C'est un dièse ! Tu ne vois pas que tu fais une fausse note ?" (rires)
Si vous arrêtiez le métier demain, que regretteriez-vous le plus ?
Je regretterais tout. Je n'aurais plus rien. J'adore ce métier. Il me manquerait les gens, la compagnie d'un rôle, le rêve d'un rôle. Aussi, l'excitation, tout le désir qui se crée autour d'un personnage et d'une ambiance de tournage.
En résumé, "L'Affaire Marcorelle"
Pour résumer, on dirait que c'est une affaire bizarre, inattendue, qui se passe de nos jours. Ce n'est pas Marc-Aurèle l'empereur (rires). C'est un film à tiroirs ; on ne sait pas sur quoi on marche. Un film personnel pour Serge Le Péron avec un sujet d'actualité intéressant "Comment s'engager aujourd'hui ?", après une génération d'idéologies. Ici, ce sont les désirs individuels qui sont mis en avant. On se rencontre sur le désir, mais pas sur autre chose. Des désirs d'ambition ou de sexualité, et non pas sur les idées.
"L'affaire Marcorelle", c'est l'histoire d'un juge d'instruction qui se sent coupable...
En effet, Jean-Pierre Léaud interprète un juge d'instruction à Chambéry qui est toujours en proie à des cauchemars. Il ne comprend pas pourquoi c'est lui qui juge et que ce n'est pas lui qui est jugé. Dans ses différentes rencontres avec Mathieu Almaric, Philippe Khorsand et moi-même, il va se rendre compte que le monde lui offre une autre réalité dans laquelle il peut se perdre ou se retrouver.
Qui est Agnieska, cette marginale polonaise que vous interprêtez ?
Agnieska adore les films d'horreur. C'est une mythomane qui est amorale, égoïste, mais aussi représentante d'une société quelque peu fictive. C'est une immigrée polonaise. Ce rôle était intéressant, car on ne sait jamais ce qu'elle pense.
Votre travail avec Serge Le Péron, le réalisateur
Serge Le Péron est quelqu'un de plein de fantaisie, de talent. J'ai beaucoup aimé la manière dont il a écrit ses personnages secondaires notamment. Ils ont une vie intéressante.
Serge a un oeil très fin, très juste, qui cherche quelque chose d'humain plutôt qu'une perfection. Il met les gens dans une atmosphère très humaine. Du coup, j'ai pensé qu'il y avait beaucoup de liberté pour que les choses se passent.
La rencontre avec Jean-Pierre Léaud qui est ce "Marcorelle"
Cela m'a beaucoup plu de faire un duo avec Jean-Pierre. Je ne savais pas comment j'allais le trouver. C'est rare de voir un acteur faire autant de bons films. Aujourd'hui, on a l'impresion qu'il recommence, que c'est un nouveau-né. Il a beaucoup de plaisir à jouer avec ses partenaires. Il adore la collaboration, sans répétitions. Il aime surprendre et être surpris. C'était un vrai plaisir.
Souvent, je lisais une scène et je me demandais comment on allait l'aborder. Chaque fois, je me disais qu'il allait se passer un truc. Avec Serge Le Péron, Jean-Pierre et moi, il y a bien eu quelque chose qui s'est passée. Il ne fallait pas chercher midi à quatorze heures.
Etiez-vous fan de Jean-Pierre Léaud ?
Fan ? Je sais pas. J'ai beaucoup aimé ses films. C'est un personnage qui jouait toujours l'amoureux. Quelqu'un qui a un don d'avoir l'air tout le temps étonné, malgré son expérience. C'est très rare. Je suis épaté par cela. Un air étonné, un peu à la Colombo. C'est une qualité extraordinaire que j'apprécie chez un acteur. Toujours avoir l'air surpris. Lui, il le fait très bien ! (rires)
Vous passez votre temps à mentir dans le film ; était-ce dur ?
C'est très facile de mentir (rires) surtout lorsqu'on connait ses répliques. Serge Le Péron résumait le tout par une phrase de Guitry "Un bon acteur, c'est quelqu'un qui mange du poulet en plastique, et tout le monde croit que c'est un bon poulet. Un mauvais acteur, c'est celui qui mange du poulet en plastique, et qu'on croit que c'est un faux. Un excellent acteur, c'est quelqu'un qui mange du poulet en plastique ; on pense que c'est du bon poulet, mais on a aussi la sensation que c'est du poulet en plastique". Donc, il faut arriver à ces 2 étages : bien sûr, on sait que c'est une fille qui ment, mais on ne sait pas si elle ment. C'est un tiroir. Une autre réalite peut sortir du canapé ou du placard (rires)
Une anecdote de tournage sur "L'affaire Marcorelle"
Il y en avait beaucoup. Jean-Pierre Léaud est quelqu'un de surprenant. Avant chaque prise, il vocifère, lâche son énergie par un lourd "Ah" (elle se met à l'imiter). J'aimais beaucoup cela. Et sa méthode quelque peu surprenante.
Menant une carrière internationale, entre la France, les Etats-Unis et la Grande Bretagne, où vous sentez-vous le plus proche ?
Ici, à Paris. J'ai mis un moment avant de le savoir. Maintenant, je me dis que c'est ici que je me sens le mieux.
Et cinématographiquement parlant ?
Je crois que j'aime le cinéma européen. Le plus.
Quelles sont vos motivations pour travailler outre-Atlantique ?
J'ai travaillé aux Etats-Unis, mais pour des cinémas indépendants. J'aime beaucoup le cinéma indépendant américain. Mais ce n'est pas une culture dans laquelle je peux m'inscrire intégralement.
Les méthodes de travail varient-elles ?
Non pas trop ; elles varient surtout d'un metteur en scène à l'autre. Mais, pas d'un pays à l'autre. Surtout pour des films indépendants. Après, ce sont des problèmes budgétaires et financiers.
En quelques mots, votre filmographie commentée
- Au revoir les enfants
Louis Malle. Le rondo que j'ai dû apprendre pendant un mois pour me préparer à ce rôle. Un imperméable vert que Louis Malle n'appréciait pas. Je me souviens qu'il m'a dit "Tu limes les ongles, tu bailles et tu regardes la fenêtre". Je pense souvent à cela. Un bon metteur en scène, qui saisissait les bonnes actions pour raconter une bonne histoire.
- La double vie de Véronique
Un cinéma auquel je ne m'attendais pas du tout. La Pologne. Aborder ces deux rôles. La peur que cela me faisait. L'envie de bien faire pour une jeune comédienne. Le regard de Kieslowski avec sa façon de diriger, la manière dont il voulait pénétrer cette intimité. Une expérience nouvelle.
- Trois couleurs : Rouge
Jean-Louis Trintigant. Genève. Je n'avais pas du tout envie de tourner dans cette ville. Et puis une nouvelle rencontre, très forte, avec celle-ci. Le cadeau d'un nouveau rôle de la part de Kieslowski. La façon dont je pouvais réinventer cette relation professionnelle. Un film sur la rebellion. J'avais souvent mal au ventre, car on me demandait des répliques assez dures "On devrait me tuer... On devrait avoir pitié de vous". Donc, pas mal de colère.
- Par-delà les nuages
Antonioni, Wim Wenders : leur collaboration quelque peu étrange ; leur présence tous les deux sur le plateau. Un homme qui ne peut pas parler et qui veut diriger de façon très précise. Un personnage complètement idéalisé : une fille amoureuse de Dieu. Et Vincent Pérez.
- Les Fugueuses
Nadine et Marie Trintignant. Une nouvelle rencontre avec cette tribu Trintignant. Une relation dans un film de femmes. Deux à trois semaines de tournage au Portugal. Marie et moi chantions la chanson de Nicoletta, "Mamy Blue". Délirant.
- Othello
Kenneth Branagh. Lawrence Fishburne. Apprendre le texte en anglais. Rentrer dans le personnage de Desdemone. Un tournage magnifique au bord d'un lac. Cela a commencé dans une très bonne humeur, et vers la fin, je me disais qu'au théâtre, cela durait 15 minutes, alors qu'au cinéma, cela a duré 15 jours. Je me souviens de Lawrence Fishburne, proposant d'alterner les interprétations pour comprendre nos rôles respectifs.
- U.S. Marshals
Une expérience "guest star" sur une production américaine. Avec Wesley Snipes, Tommy Lee Jones et Robert Downey Jr. Un film sur la course, la poursuite où le jeu des acteurs n'est là que pour raconter une action. Mille prises à chaque fois (rires) ; c'était fatiguant.
Une bonne rencontre avec Tommy Lee. Aux répétitions, il coupe toutes ses répliques. Chaque fois qu'il peut faire quelque chose par un geste, il le fait. Quelqu'un d'assez abordable ; il est venu avec deux personnes alors que Wesley Snipes ne se déplace qu'avec 3 caravanes, un entourage de 9 personnes...
- Cuisine américaine
L'idée de faire une comédie en France. Travailler sur un registre différent. Avec Eddy Mitchell, quelqu'un que j'aime beaucoup. Aussi avec Jean-Luc Pitoun, qui faisait son premier film. Un film léger sur la cuisine, le plaisir.
- The Big Brass Ring
Un grand projet. Un scénario d'Orson Welles. Un casting incroyable : William Hurt, Miranda Richardson. Un très beau scénario, mais un film pas très réussi. Un film indépendant ; on sent qu'il y a beaucoup de choses intéressants. On sent les traces d'Orson Welles. Une bonne intrigue. Mais, trop de prétention, d'ambitions dans la réalisation.
- Pornographer
Un grand plaisir. Un film tourné en DV numérique. Petit budget. Trois semaines de tournage à New York. Un huis-clos avec deux personnes, dans une chambre. Beaucoup de textes. La rencontre avec Martin Donovan, avec qui je me suis beaucoup entendu. Presque du théâtre filmé.
-Londinium
Une comédie indépendante, écrite par Mick Binder. Un quatuor avec notamment Stephen Fry et Mariel Hemingway. Une comédie un peu paranoïaque sur les gens, à la Woody Allen.
Vos prochains projets
Je sors d'une pièce de théâtre, Résonnances, et j'en commence une autre bientôt. Mais, pas de projets cinématographiques dans l'immédiat. Rien de signé pour l'instant. Car si la pièce marche, cela peut me mener jusqu'en mars 2001.
Cette pièce avec Macaulay Culkin ?
Effectivement. Madame Melville : une pièce que l'on monte sur les planches londoniennes – au London's Vaudeville Theater-. L'action se situe au milieu des années soixante en France. Un jeune américain débarque. J'interprète son prof de littérature. Une soirée ensemble. Deux personnes qui se rencontrent. Il ne se passe rien comme dans les films de la Nouvelle Vague. Cela pourrait être un film à la Rohmer.
Et Macaulay Culkin ?
Quelqu'un de formidable et de très sensible. Pour un "minot" de 20 ans, il a eu une vie très particulière. Humainement, très bien, malgré ce que l'on lit dans les journaux. Ce n'est pas de sa faute. A la fois, il est très timide, mais assez fantasque. Il a un jugement très juste sur les gens, sans concessions...
Et pour tout vous dire, je n'ai jamais vu Maman, j'ai raté l'avion (rires). C'est une célébrité que je ne connaissais pas. Donc, je n'ai pas en mémoire l'image du petit bambin de 8 ans, mondialement adulé.