On savait déjà que l’industrie cinématogrphique américaine connaissait des difficultés depuis quelques mois. Une étude rendue publique la semaine dernière et réalisée à la demande des syndicats d’acteurs et de metteur en scène, ne fait que confirmer ce phénomène en montrant que plus d’un quart des productions sont tournées à l’étranger. Cette fuite des tournages aurait provoqué une perte d’environ 10,3 milliards de dollars pour l’économie du pays en 1998. Mais, ce qui inquiète le plus, c’est le nombre d’emplois supprimés qu’on estime à à peu près 20.000.
Ces délocalisations de tournage s’expliquent essentiellement par des raisons budgétaires. La preuve, c’est le Canada qui attire le plus les producteurs grâce à une monnaie faible, des incitations fiscales et des salaires moins élevés. Depuis le tournage de la série X-Files à Vancouver, le pays à la feuille d’érable attire de plus en plus de monde. 81% des tournages expatriés se déroulent là-bas, car cela permet aux sociétés de production d’économiser jusqu’à 25% sur leur budget. Le nom de ce nouvel Eldorado du cinéma, est Brollywood, jeu de mot subtil entre Hollywood et umbrella (parapluie en anglais), parce que la pluie vient souvent perturber les tournages.
A côté du Canada, d’autres pays profitent de ce phénomène. L’Australie se tient en bonne place dans la course aux nouveaux sites de tournages. Matrix, le film déjà culte qui cartonne en ce moment, a été entièrement filmé là-bas. Même chose pour Mission : Impossible 2 et le futur Episode 2 de Star Wars. Le Mexique, lui, profite de sa proximité avec les Etats-Unis pour attirer les productions. Le pays a accueilli le naufrage du Titanic, ou, dans un autre genre, la comédie de Charlotte de Turckheim Mon père, ma mère, mes frères et mes sœurs. Depuis peu, la Tunisie est aussi devenue une destination à la mode pour les tournages. Son désert a déjà inspiré Anthony Mingella pour Le Patient Anglais, et George Lucas pour certaines scènes de La menace fantôme.
Véritable opportunité pour ces nouveaux pays d’accueil, cette mode a suscité de vives réactions dans le monde du cinéma. Au mois d’avril, 1500 acteurs et producteurs tiraient le signal d’alarme et manifestaient pour "ramener Hollywood à Hollywood". Préoccupés par cet état des lieux, ils ont également fait appel à des lobbyistes (spécialité américaine qui consiste à faire pression sur les milieux politiques) pour défendre leurs intérêts auprès des autorités fédérales. Pour le président de la Guilde des acteurs, il y a péril en la demeure : "Ce que nous contemplons n’est rien moins que l’érosion de la fondation économique de notre industrie. Cela ne concerne pas uniquement Hollywood, c’est un problème national." Il est vrai que l’industrie du film est un des moteurs de la croissance américaine. Pour l’instant, cette "fuite des tournages" est passée en partie inaperçue grâce à une augmentation des productions américaines. Mais à long terme, cela risque d’avoir des conséquences fâcheuses pour l’industrie du cinéma. L’usine à rêves serait-elle en train de prendre l’eau ? N.L.