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    Black Panther 2 et la chronologie des médias : la hache de guerre est déterrée
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Convoqué ce mardi par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) pour une réunion sur la chronologie des médias, le secteur de l'Audiovisuel reste très divisé, même si la discussion a permis de poser les bases d'un dialogue constructif.

    En janvier dernier, le cinéma français et les principaux représentants du secteur audiovisuel ont signé au Ministère de la Culture un nouvel accord sur la chronologie des médias. Pour mémoire, celle-ci régit les dates auxquelles les films peuvent être diffusés, en ligne et à la télévision notamment, dans les mois qui suivent leur sortie au cinéma. Ces règles, qui doivent protéger la création, ont été l’objet d’intenses négociations, depuis l’essor des plates-formes de streaming, qui bouleversent la donne.

    En dehors des chaînes TV, seul Netflix, parmi les autres plates-formes que sont Disney+, Amazon Prime Video ou encore Apple TV, avait signé cet accord. La firme Disney, justement, avait nettement tempéré l'enthousiasme.

    "Nous pensons que la nouvelle chronologie des médias n’établit pas un cadre équitable et proportionné entre les différents acteurs de l’écosystème audiovisuel. Ceci est d’autant plus frustrant que nous avons augmenté nos investissements dans la création de contenus originaux français" avait commenté la firme.

    Pour mémoire, en septembre 2020, Disney avait laissé planer la menace de boycotter les salles de cinéma en France. Et ce n'était pas parce que la firme ne croyait plus au grand écran, mais pour éviter les contraintes de la chronologie des médias française, tout en favorisant largement l'essor fulgurant de sa plateforme Disney+. Dernière menace en date : l'éventualité de ne pas sortir en salle son blockbuster Black Panther : Wakanda Forever...

    "Nous demandons aux pouvoirs publics de ne pas céder au diktat des plates-formes payantes !"

    Le 28 septembre, les responsables des groupes des chaînes TV gratuites TF1, France Télévisions et M6, ont publié une tribune dans le journal Le Monde, dénonçant un "chantage" de certaines plates-formes américaines. Disney, pour ne pas la nommer : "Dès l’entrée en vigueur de la nouvelle chronologie, Disney, qui n’avait pas souhaité signer le texte, l’a réinterprété afin de supprimer l’exclusivité d’exploitation des télévisions gratuites".

    "Les télévisions gratuites ont joué le jeu [des discussions] alors même que l’arrivée de ces nouveaux acteurs à la puissance financière internationale est de nature à les soumettre à une concurrence accrue. Les chaînes ont accepté que les plates-formes payantes puissent diffuser les films avant elles malgré l’apport supplémentaire très modeste que ces services consentent – de l’ordre de 50 millions d’euros par an, soit moins de la moitié de celui des télévisions gratuites" écrivaient-ils.

    En juin dernier, Hélène Etzi, la présidente de The Walt Disney Company France, avait fermement campé sur ses positions sur la chronologie des médias, jugeant, dans un entretien accordé au journal Les Echos, qu'elle était "inéquitable, contraignante et inadaptée [...] à l’évolution des modes de consommation des films".

    Et de mettre la menace à exécution : la firme annonça que le Disney de Noël, Avalonia, serait une exclusivité Disney+. Une décision qui avait provoqué la fureur des exploitants de salles, par l'entremise de la FNCF, la Fédération Nationale des Cinémas Français. Le positionnement de Disney en France inquiète d'autant plus certains acteurs de l'Audiovisuel que la firme pèse 20% du Box Office français...

    Chronologie des médias : le bunker de la dernière rafale

    C'est sous ce titre que Pascal Rogard, directeur général de la SACD, s'est exprimé dans un billet publié sur son blog le lendemain de la tribune des dirigeants des chaînes gratuites dans Le Monde. "Découvrir aujourd’hui que Disney peut prendre la décision de ne pas sortir ses films en salles, 8 mois après la signature de l’accord, est tout de même étonnant" écrit-il.

    Il poursuit : "Ce n’est pas faute pourtant pour la SACD de l’avoir dit et répété à voix haute quand nous avons décidé de ne pas signer au regard des risques que cette nouvelle chronologie faisait peser sur la fréquentation en salles en appauvrissant son alimentation en films porteurs.

    Au-delà des logiques "marketing" qui peuvent pousser une plateforme à réserver un film majeur à ses abonnés pour rendre son service plus attractif que la concurrence, il est évident que les règles réservées aux plates-formes et notamment le délai trop long après la salle et les couloirs d’exclusivité très courts qui leur sont octroyés sont un repoussoir complet".

    La position de la SACD reste constante depuis le mois de janvier. "Personne ne peut imaginer que les termes de cet accord peuvent aujourd’hui rester en vigueur pour une durée de trois ans. Les mutations rapides du secteur en termes d’offre, de technologie et de demande conduiront inéluctablement à une évolution rapide de la place du cinéma dans l’ensemble des offres disponibles sur le marché français. La conclusion de cet accord pour une durée de 3 ans apparaît donc à la fois incompréhensible et déraisonnable" avait alors tonné son directeur général.

    Réformer le système en place

    Si Netflix, qui compte 10 millions d'abonnés en France, a signé l'accord de janvier, lui permettant de diffuser un film 15 mois après sa sortie en salle, et pour une durée de 7 mois exclusifs, le géant de Redmond reste lui aussi partisan de réformer davantage le système en place.

    "Notre position n’a pas varié. Nous sommes le seul service de vidéo par abonnement à avoir signé l’accord. Nous l’avons fait dans une démarche constructive, en tant que partenaire de la création française" commente la plateforme, dans des propos rapportés par le journal Le Monde. "Mais nous avions à l’époque dit que nous ne pourrions nous satisfaire durablement d’un délai de quinze mois. Nous aimerions, a minima, le réduire à douze mois, soit le délai avancé par le ministère de la culture avant la signature de l’accord".

    C'est à l'aune de toutes ces considérations que le CNC conduisait hier une réunion rassemblant les organisations professionnelles, les studios et les plates-formes, destinée à vérifier les modalités d’application des délais fixés par l'accord de janvier concernant la nouvelle chronologie des médias, sur lesquels nous étions revenus en détails ici.

    Selon les informations de nos confrères Boxoffice Pro, les discussions au sein de cette réunion se sont révélées constructives. "Sur l’étanchéité de la fenêtre de diffusion des chaînes en clair – l’un des points critiqués par Disney –, les représentants des groupes TV ont réaffirmé leur souhait de bénéficier d’un délai protégé, tout en s’accordant pour ne pas bloquer l’ensemble de cette fenêtre. Un message bien reçu par le studio, ainsi que par les autres majors présentes, Warner Bros. et Paramount, dont les plates-formes de streaming seront lancées en France dans les prochains mois".

    Réformer davantage la chronologie des médias ? Certains n'y ont pas franchement d'intérêt, à l'image de Canal+, qui était sorti par le haut des accords de janvier dernier. Une prochaine réunion est censée être organisée fin novembre, soit après la sortie encore théorique de Black Panther : Wakanda Forever en salle. Mais l'étau se resserre. Une clause de revoyure est prévue pour fin janvier 2023, où les conclusions de l'ensemble des discussions d'ici là seront censées être tirées.

    Et les échanges promettent d'être musclés, avec en toile de fond une fréquentation des salles au plus bas. En septembre, celle-ci a péniblement atteint 7,4 millions d’entrées ; soit 20 % de moins qu’en septembre 2021 et 34 % de moins qu’en septembre 2019. Il s’agit du plus bas niveau de fréquentation enregistré depuis 1980, première année des statistiques mensuelles du Centre National du Cinéma...

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