Alors qu’ils pensaient trouver un coin de paradis, ils vont découvrir l’Enfer. Dans As Bestas, Rodrigo Sorogoyen s’intéresse aux conflits de voisinage. Un sujet qui a déjà fait l’objet de plusieurs thrillers au cinéma, mais le cinéaste espagnol monte d’un cran. Il raconte l’histoire d’un couple de Français venu s’installer en Galice pour y construire un havre de paix. Leur projet de vie va se heurter à l’hostilité de leurs voisins, deux frères, prêts à tout pour marquer leur territoire.
Comme son titre l’indique, le film explore la bestialité de l’être humain et vient révéler ce qu’il cache de pire en lui. Le réalisateur, connu pour son style intense, ne ménage pas les spectateurs. Ils sont, au même titre que les personnages, pris au piège d’une menace envahissante et d’une terreur qui grimpe crescendo, au point de basculer dans l’horreur pure à la manière du classique de Sam Peckinpah, Les Chiens de paille, avec Dustin Hoffman. Pour incarner le couple, l’auteur de Madre s’entoure de Marina Foïs - qui s’illustre une nouvelle fois dans un registre sombre - et Denis Ménochet.
Avec sa carrure imposante, l’acteur ne correspond pas, en premier lieu, à l’idée que l’on pourrait se faire d’une proie. Surprendre, c’était justement le désir de Rodrigo Sorogoyen. “Quand je vois des acteurs faire toujours la même chose, cela m’ennuie, lance le réalisateur au 75e Festival de Cannes où As Bestas était présenté. Denis est un homme très fort, c'est vrai, mais dans son regard, il y a une grande sensibilité. “
Aux côtés de sa compatriote, Denis Ménochet a dû apprendre une nouvelle langue et composer un rôle très physique. L’une des scènes les plus marquantes du film - que l’on se gardera bien de révéler - lui a même valu un malaise. “La violence de cette séquence de combat, se baigner nu dans un lac glacé…C’était épuisant, se remémore-t-il. On n’avait pas beaucoup de temps donc parfois nous n’avions qu’une seule prise pour certaines scènes, mais quelle chance de vivre une expérience pareille.”
Le film a été tourné dans un village en Galice sous des températures extrêmes - aussi chaudes que glaciales. Ce décor inquiétant devient un personnage à part entière et participe à l’atmosphère. “En Espagne, il existe beaucoup de petits villages abandonnés, c’est même un phénomène social, révèle le réalisateur. La vie disparaît, mais il reste parfois deux ou trois familles dans certains endroits. Les opportunités ne sont pas les mêmes pour ces personnes.”
De cet isolement naît une colère animale et dévastatrice que Rodrigo Sorogoyen retranscrit à la perfection à l’écran avec l’aide de deux acteurs espagnols, Luis Zahera et Diego Anido. Le premier, qui a déjà travaillé avec le réalisateur auparavant, épate. Lorsqu’on demande au cinéaste ce qu’il voit en lui de si terrifiant, il répond : “Je peux voir la folie dans ses yeux. Il a cette belle capacité à devenir fou.”
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Cannes, en mai 2022.
As Bestas de Rodrigo Sorogoyen, au cinéma le 20 juillet 2022.