De quoi ça parle ?
Nathalie Adler est en mission pour l’Union Européenne en Sicile. Elle est notamment chargée d’organiser la prochaine visite de Macron et Merkel dans un camp de migrants. Présence à haute valeur symbolique, afin de montrer que tout est sous contrôle. Mais qui a encore envie de croire en cette famille européenne au bord de la crise de nerfs ? Sans doute pas Albert, le fils de Nathalie, militant engagé auprès d’une ONG, qui débarque sans prévenir alors qu'il a coupé les ponts avec elle depuis des années. Leurs retrouvailles vont être plus détonantes que ce voyage diplomatique…
Une comédie d'auteur sur l'Europe
Avec La Dérive des continents (Au Sud), présenté cette année à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, Lionel Baier signe une comédie à l'italienne, comme une forme d'hommage à ces comédies souvent politiques des années 60-70. On y rit du langage bureaucratique et le cinéaste suisse pose un regard sur la question des migrants pour mieux y pointer les contradictions de chacun sur ce sujet.
Cette comédie surprend dans sa façon de mélanger humour et drame. Est-ce une comédie ? Une "comédie d'auteur" ? Comme nous l'indique son réalisateur et scénariste Lionel Baier, à notre micro, "les seules choses qui se prêtent vraiment à la comédie sont les sujets épouvantables ! Il faut vraiment que la situation soit désespérée pour qu’on puisse en rire de façon intelligente". Et d'ajouter : "Le rire est une vraie forme d’intelligence. (…) En pariant sur l’humour, je me dis que je pourrais parler aux gens d’une façon un peu différente. L’humour permet de parler aux gens à un endroit plus sensible."
L’humour permet de parler aux gens à un endroit plus sensible
Soulignant que le film n'avait pas été facile à financer, justement en raison de son mélange des genres, Lionel Baier indique que son thème peut aussi déranger. "Le sujet de la migration, ça crispe tout le monde", lance-t-il. "Aussi, parce que je crois que parfois notre envie de sérieux, ou plutôt le fait d’être très affecté par tout ce qui se passe, ça ne veut pas dire grand-chose. Très affecté par quoi ? Essayons de voir ce que l’on peut faire, comment fonctionne cet accueil..."
"En tant qu’Européen, c’est un sujet qui me questionne beaucoup. Ma famille est issue de l’immigration polonaise. Je suis un citoyen suisse, mais je vis en France. C’est complètement lié à la vie, je me sens européen car je suis issu de l’immigration", résume Lionel Baier.
Précisons d'ailleurs que ce film est le troisième épisode d'une "tétralogie caustique et sentimentale" traversant les 4 points cardinaux de l’Europe, visant à raconter notamment ce qu'est l'Europe aujourd’hui, notamment grâce à une approche plus intime.
L’Europe ne fonctionne que s’il y a du désir
"L’Europe, c’est la personne qu’on adore détester et sur laquelle on adore dire que tous nos maux viennent d’elle, comme notre mère ! C’est de sa faute, elle ne nous aime pas assez ou alors elle est trop contraignante, ou alors elle fait trop ci, trop ça ! Je me suis dit que ce serait intéressant de se dire que cette Europe est incarnée par une femme, une femme lesbienne, qui est vraiment la pire des mères", poursuit le cinéaste à notre micro. "En tant qu’homme, vous pouvez tout lui mettre sur le dos ! C’est de sa faute, et que ce couple franco-allemand soit un couple de femmes. L’Europe ne fonctionne que s’il y a du désir : a-t-on envie d’être ensemble ou pas ?", conclut-il.
La Dérive des continents (au sud) réunit à son casting Isabelle Carré et Théodore Pellerin, en mère et fils, se retrouvant après des années de séparation. Ursina Lardi et Tom Villa entre autres complètent la distribution. Il s'agit du premier film français de Théodore Pellerin, à la tête d'une carrière déjà riche au Canada et aux Etats-Unis (Boy Erased, Genèse, Never Rarely Sometimes...)
"Ce film a un ton très singulier et c’est incroyablement à l’image de Lionel [Baier], confie Théodore Pellerin, rencontré en tandem, à Cannes, avec sa partenaire Isabelle Carré. Je reconnais qui il est dans le scénario et dans le film, dans son intelligence, dans sa précision, dans ses propos et dans son humour. C’est passionnant quand un réalisateur arrive vraiment à appliquer sa signature".
C’est passionnant quand un réalisateur arrive vraiment à appliquer sa signature
Isabelle Carré explique avoir été "touchée au départ par le sujet des migrants", rappelant qu'elle avait "déjà tourné un film dans la Jungle de Calais avec Jean-Pierre Améris il y a une dizaine d’années (le téléfilm Maman est folle, diffusé en 2005, Ndlr.). C’était très choquant ce que j’ai découvert. C’est toujours pareil : quand on voit les images à la télévision ou quand on lit, on peut être touché, mais ça reste quand même quelque chose de distancié. Quand on va sur place, qu’on parle avec les gens, qu’on partage une expérience avec les associations, on se sent concerné autrement."
"Ce que je trouvais intéressant dans le propos de Lionel [Baier], poursuit-elle, était cette fois d’aborder le sujet non pas du côté des associations, mais du côté des instances européennes, mais du côté aussi de la communication des hommes politiques, et de mêler ça avec un sujet intime : celui d’une mère qui a abandonné son fils pour vivre avec une femme parce que ce fils n’acceptait pas cette homosexualité et son ex non plus, et elle a dû faire de la place pour cette liberté. J'ai trouvé très beau cet intime dans ce sujet qui nous concerne tous", conclut-elle.
La Dérive des continents (au sud) est à l'affiche ce mercredi 24 août 2022.