Nous sommes le 27 janvier 1960 et Le Dernier train de Gun Hill sort sur les écrans français. Porté par Kirk Douglas et Anthony Quinn, ce western est coproduit par Douglas et mis en scène par John Sturges, avec qui l'acteur a récemment tourné Règlements de comptes à O.K. Corral. Pourtant, le film reçoit des critiques mitigées, notamment en raison de soupçons de plagiat.
Gun Hill présente l'aventure du shérif Matt Morgan (Douglas), qui s'est juré de retrouver ceux qui ont tué et assassiné sa femme. Menant l'enquête, il découvre que l'un d'entre eux est le fils de son vieil ami Craig Belden (Quinn). Mais celui-ci refuse de le livrer. Sauf que rien n'arrêtera Morgan dans sa quête de justice.
Certains critiques, dont les auteurs de l'ouvrage référence 50 ans de cinéma américain sont assez sévères avec Le Dernier train de Gun Hill, lui reprochant notamment la proximité de son intrigue avec celle d'un autre western : 3h10 pour Yuma, sorti trois ans plus tôt, jugeant qu'il n'est qu'une "démarqu[e] sans vergogne" de Yuma.
Mis en scène par Delmer Daves, 3h10 pour Yuma place en haut de l'affiche Glenn Ford et Van Heflin. Et il faut reconnaître qu'il a plusieurs points communs avec les événements de Gun Hill, car dans les deux cas :
- Le héros doit mener un hors-la-loi d'un point A à un point B.
- Ce trajet nécessite in fine de monter dans un train dont on doit nerveusement attendre le départ.
- Des bandits cherchent à libérer le hors-la-loi.
- Le héros semble seul contre tous.
- Une scène clé du film montre l'attente du héros enfermé dans une chambre d'hôtel avec son prisonnier.
Certes, la liste est troublante. Cependant, les scénarios sont adaptés de sources différentes : une histoire d'Elmore Leonard pour Gun Hill, et le roman Showdown de Les Crutchfield pour Yuma. Mais il faut ajouter qu'il existe d'énormes différences entre les deux westerns et leur traitement d'une même situation.
Yuma est avant tout un western psychologique comme il s'en faisait de plus en plus dans les années 50. L'exemple le plus couramment cité étant Le Train sifflera trois fois. L'idée de ces films était d'apporter de nouvelles thématiques à un genre souvent réduit à des fusillades entre bandits ou de tuniques bleues contre les Indiens.
L'aspect psychologique de Yuma apparaît notamment à l'écran par la discussion dans la chambre d'hôtel entre le héros et le bandit, ce dernier insinuant le doute dans l'esprit du personnage de Van Heflin et cherchant à le faire craquer.
En revanche, dans Gun Hill, le spectateur se trouve davantage dans une tragédie, avec un méchant plus caricatural, moins fin et d'apparence beaucoup plus "quelconque". L'important étant plutôt sa relation conflictuelle avec son père, joué par Anthony Quinn, et l'opposition entre deux amis car le fils de l'un a tué la femme de l'autre. La conclusion des deux films, que nous ne révèlerons pas ici, est elle aussi très différente.
Enfin, les deux films se distinguent de façon radicale par leur mise en scène. Yuma choisit une réalisation oppressante en remplissant le cadre avec des visages en gros plan ou en plaçant plusieurs protagonistes en les serrant les uns avec les autres, renforçant un sentiment d'étouffement ressenti par le héros comme par le spectateur.
Gun Hill opte pour l'exact inverse, en perdant les personnages dans le cadre pour mieux montrer le désarroi de l'homme de loi seul pour accomplir sa périlleuse mission et la solitude de chacun des protagonistes, tourmentés par leurs confrontations.
Pour toutes ces raisons, il apparaît que plutôt que d'opposer Gun Hill et Yuma, il est possible d'embrasser leur canevas commun pour mieux apprécier leurs divergences visuelles et narratives radicales. Peut-être le film de Sturges n'est-il qu'un "plagiat" partiel de 3h10 pour Yuma, mais il a de toute évidence son propre ton, des personnages très différents et une autre finalité et pour cela, mérite d'être redécouvert mais aussi sans doute, réévalué.
Retrouvez notre vidéo spéciale démontant les clichés sur le genre western :