Alors que The Batman hante les salles obscures comme les rues de Gotham, petit point à date sur la nouvelle stratégie de la Warner pour ses films super-héroïques adaptés de DC Comics. Comment sont-ils passés de studio à la traîne à des films finalement "bankables" ?
Rappel des problèmes
Le studio Warner s'est lancé dans les univers connectés en 2013, en sortant Man of Steel de Zack Snyder avec Henry Cavill et surtout Batman V Superman (2016) avec l'apparition des membres de la future Justice League. Déjà à l'époque, une partie du public n'adhère pas au long métrage tel qu'il est présenté en salles. Certains reverront le film sous un meilleur angle grâce à sa director's cut de trois heures.
S'ensuit Suicide Squad (2016). Et les choses commencent à se gâter. Ayant trouvé Batman V Superman trop sombre, et tentant de copier le succès surprise de films Marvel plus légers comme Les Gardiens de la galaxie, le studio revoit le montage du réalisateur sans son accord.
Le projet devient un film aux couleurs "pop" tranchant clairement avec ce que la première bande-annonce, beaucoup plus sombre, laissait entrevoir. Du reste, la méchanceté des super-vilains est toute relative, et ces deux faits combinés font du film de David Ayer une production réalisant de bons chiffres au box-office (746,8 millions pour un budget de 175), mais dont la mauvaise réception par le public perd complètement Warner.
Le succès international de Wonder Woman donne au studio une bouffée d'oxygène, qui est de courte durée. En effet, le point de non retour pour Warner est la sortie en salles de Justice League en 2017, officiellement signé Zack Snyder mais supervisé par Joss Whedon. L'image et le ton sont retouchés, de nouvelles scènes ajoutées, d'autres coupées, donnant un film au ton hybride, prometteur dans son intrigue mais avec un goût amer. Un goût d'inachevé.
Par ailleurs, l'union de ces super-héros est un échec au box-office avec 657,92 millions de dollars rapportés dans le monde pour un budget estimé de 300. De facto, l'univers connecté DC sombre encore un peu plus dans le chaos.
Deux tentatives... et deux succès !
Pourtant, Aquaman arrive sur les écrans en 2018. C'est le premier long métrage DC où l'un des acteurs du film Justice League reprend son rôle, ici Jason Momoa. Le risque était présent pour Warner, qui aurait pu croire que les spectateurs auraient abandonné ce héros à son sort sans se déplacer en salles.
Cependant, le film dépasse le milliard de dollars au box-office, un score jamais atteint depuis 2013 par un film live-action adapté de DC Comics.
Malgré cela, l'univers DC est moribond. La confirmation arrive lorsque le public découvre la scène post-générique de Shazam, dans laquelle Superman est présent, mais son visage n'est pas montré car le studio ignore si Henry Cavill va rester le visage de l'Homme d'acier. Du reste, le nouveau super-héros joué par Zachary Levi n'attire pas les foules.
C'est fin 2019 que Warner tente un coup jamais vu dans le genre super-héroïque. Donner à un réalisateur une carte blanche pour faire un film sur un personnage DC en solo, déconnecté de tout autre film de cet univers, passé ou à venir. Il s'intitule Joker, et met en scène Joaquin Phoenix dans le rôle du clown fou de l'univers Batman. Comme à son habitude, le comédien se prépare drastiquement et prend le rôle très au sérieux.
A la mise en scène, on retrouve Todd Philipps, plutôt connu pour ses comédies Very Bad Trip, qui offre au film une noirceur terrible qui ne nuit pas à ses entrées, bien au contraire, puisque comme Aquaman, il rapporte lui aussi un milliard de dollars.
En revanche, il est intéressant de noter que Birds of Prey, très rattaché à l'intrigue d'Harley Quinn dans Suicide Squad, et malgré la popularité de Margot Robbie dans le rôle, n'a pas trouvé son public. Dès lors, Warner commence à tirer des leçons de ces constats et à réfléchir sur cette manne providentielle des films indépendants.
(Nous ignorons volontairement ici les sorties de Wonder Woman 1984 et The Suicide Squad, tous les deux sortis en pleine épidémie de COVID-19, en parallèle en salles et sur la plateforme HBO Max et dont les succès sont difficilement quantifiables. De même, les chiffres manquent concernant la Director's cut de Justice League par Zack Snyder, même si les retours du public ont prouvé que sa version du film était très attendue).
Le renouveau super-héroïque du studio
Si la Warner a abandonné pour l'instant sa Justice League connectée, elle croit toujours en certains des héros ayant déjà été installés par Zack Snyder. En témoigne l'acharnement du studio à sortir un film solo sur The Flash malgré une attente de déjà 4 ans (et il vient d'être repoussé de cette année à 2023). On y reverra d'ailleurs (pour la dernière fois) Ben Affleck en Batman.
Shazam 2, Black Adam, Wonder Woman 3, Aquaman 2 sont eux aussi annoncés, mais imaginés - en tout cas pour l'instant - beaucoup plus comme des aventures solos déconnectées des films des autres héros plutôt que comme des parties d'un tout cohérent.
C'est la nouvelle stratégie de Warner : multiplier les coups d'éclat "indépendants" sans chercher à construire une machinerie complexe au sein de laquelle tout se répond avec des scènes post-génériques annonçant le film suivant d'un univers commun. En réalité, chaque héros a son propre univers, dans lequel les autres héros n'ont - pour l'instant - pas le droit de cité.
En témoigne cet entretien du PDG de la division films de Warner Bros, Toby Emmerich, avec Deadline, dans lequel il tient un discours assez radical :
Le secret de la production de films est la qualité. C'est la meilleure stratégie commerciale pour les longs métrages de cinéma et les films de super-héros.
Les films n'ont pas tous le même ton, ne sont pas liés aux autres films DC et n'ont pas de détails cachés annonçant le film suivant. La qualité est le facteur primordial pour un studio et le plus important pour influencer la qualité, est de choisir le bon réalisateur.
En l'occurrence, Matt Reeves pour The Batman, qui a signé un film avec très peu de références et une scène post-générique qui n'en est pas vraiment une pour l'instant. On voit aussi qu'Emmerich envoie une poignée de sable dans les yeux de Marvel en soulignant que Warner fait appel à des réalisateurs avec des visions, sous-entendant que les films produits par Kevin Feige n'en ont pas, ou moins.
Que l'on soit d'accord ou pas avec cette pique, il faut reconnaître que financièrement, la tactique de Warner semble enfin porter ses fruits. The Batman confirme l'essai Aquaman/Joker en comptant actuellement 279,8 millions de dollars rapportés dans le monde et la préparation de séries dérivées du film, preuve du contentement des financiers à ce stade de la sortie.
Ces mini-univers cloisonnés à la Batman sont-ils la solution que Warner cherchait pour se démarquer et rebondir face au rouleau-compresseur des films Marvel ? Les résultats au box-office des films DC à venir seront nécessaires pour savoir si ce mouvement initié par le studio se confirme sur la longueur mais une chose est sûre : pour l'instant, c'est un pari réussi.
Pour aller plus loin dans The Batman, voyez notre entretien avec son réalisateur Matt Reeves :