AlloCiné : D’où est venue l’idée de La Bataille de Noël, un documentaire totalement déjanté et atypique ?
Becky Read : Je vis en Angleterre et je me souviens avoir lu dans un journal national un article sur cet incident s'étant déroulé en Amérique, dans l'État de l’Idaho. C’était une bataille légale insensée entre un avocat, Jeremy Morris, et son quartier qui le poursuivait pour trouble sur la voie publique et tapage nocturne.
En effet, Jeremy, qui est un passionné de Noël, avait entrepris de créer la fête de Noël de rue la plus gigantesque jamais imaginée. Ce qui avait entraîné des embouteillages monstres dans le quartier où il réside et un chaos de sons et lumières sans pareil. J’ai tout de suite pensé que cela pourrait donner un documentaire surprenant, surréaliste. C’est un film avec des thèmes universels qui peut vous distraire tout en vous faisant réfléchir.
Justement, sur quoi est-ce que ce documentaire nous fait réfléchir ?
Je pense que cela nous fait réfléchir sur la notion unique que chacun a de la vérité. Votre version de la vérité n’est pas forcément la même que la mienne, et vice versa. C’est un film qui traite également de la notion de tolérance en société, de pluralisme. Il montre comment la loi peut être interprétée dans un sens ou dans l’autre.
Et comme Jeremy est un avocat hors pair il a donné et donne toujours un mauvais quart d’heure à ses "adversaires", la communauté dans laquelle il vit avec sa famille. Je pense que cette situation peut se comprendre, que l’on vive aux USA ou ailleurs dans le monde. Nous avons tous été confrontés à des voisins "gênants".
Cette histoire est tellement riche et s’est déroulée sur plusieurs années, n’y a-t-il pas eu la tentation de faire une fiction au lieu d’un documentaire… d’ailleurs, n’est-ce pas plutôt un drame documentaire ?
Oui, cela n’a pas été simple de réaliser ce "drame documentaire". Je voulais vraiment plonger le spectateur au cœur de ce combat rocambolesque. Nous avions pas mal d’images d’archives mais nous n’avions pas tout ce dont nous avions besoin. D’autant que tout s’est déroulé sur six longues années avec tellement de rebondissements.
L’avantage c’est que la plupart de l'intrigue se déroule dans un seul quartier et qu’aujourd’hui tous les protagonistes y sont encore présents. Avec Jeremy et sa famille, le processus a été assez simple. Mais il nous a fallu faire preuve de persévérance avec les divers voisins qui l’entourent.
Beaucoup ont hésité avant de nous donner les interviews et les plans de coupe nécessaires au montage du documentaire. Ce qui est compréhensible parce qu’ils ne voulaient pas retomber à nouveau dans une éventuelle poursuite judiciaire. Il m’a fallu créer des moments d’intensité alors que le gros du drame était déjà inscrit dans leur passé.
Sans compter que nous avons tourné en pleine crise de la Covid, ce qui a forcément limité notre liberté de tournage. Mais tout le monde a joué le jeu et je pense que le film est des plus authentiques. Au moins je n’ai pas eu à recréer de grosses explosions ou de grosses scènes d’action, ni à tourner à travers tous les USA. A part l’usage d’un drone pour bien visualiser le quartier d’en haut, je n’ai pas eu besoin d’un équipement de tournage compliqué et d’une grosse équipe de techniciens.
Ce film arrive au bon moment puisque les fêtes de Noël sont presque là. En même temps, dans quelle mesure pensez-vous que ce film peut être un miroir de ce qui se passe dans notre société, fête de Noël ou pas ?
Je pense que nous avons juste cessé toute communication entre nous, entre voisins, entre communautés. On ne se parle plus vraiment. C’est effrayant. Nous allons aussi tout droit à la conclusion pour juger quelqu’un avant même de l’écouter. Avec internet on peut tout savoir de tout le monde et on peut s’en faire une idée totalement fausse.
On peut même commenter sur cette personne anonymement. Sous Trump, il y a vraiment eu deux Amériques plus que jamais divisées. Je ne voulais pas m’étendre sur cet angle avec notre film mais c’est tout de même en bruit de fond. C’est un film qui montre que l’on devrait pouvoir avoir des opinions différentes et rester civil les uns avec les autres. Mais ce n’est pas le cas comme on peut le constater avec notre documentaire.
Quelle est la morale, le message de votre film ?
C’est avant tout un message de tolérance dans un monde qui a oublié ce que cela veut dire. Je pense qu’il faut apprendre à se mettre dans la peau des autres pour tenter de voir et comprendre leur version de la vérité, de la réalité. Il faut garder le dialogue et trouver un compromis pour pouvoir vivre “ensemble” ou au moins, vivre les uns à côté des autres ; et ne pas laisser la situation dégénérer et tourner au drame comme dans notre film. C’est cette question que pose mon film : le partage. Comment pouvons-nous partager un bureau, une rue, un quartier, etc…? La clef de tout ceci c’est la tolérance et la coexistence.