"Une expérience divine". C'est comme cela que Tilda Swinton qualifie sa collaboration avec Apichatpong Weerasethakul. Divine, cette expérience l'est aussi pour les spectateurs. Avec Memoria, le réalisateur thaïlandais marque les esprits partout où il passe. Comme à Cannes, en juillet 2021, où le film a reçu le prix du jury, ex æquo avec Le Genou d'Ahed de Nadav Lapid.
À la fois spirituel et envoûtant, Memoria suit Jessica, une horticultrice, réveillée en pleine nuit par un bruit sourd et terrifiant, semblable à un coup de feu ou à un poids qui tombe sur une plaque de métal. Quel est ce son ? D'où vient-il ? Que signifie-t-il ? Hantée par ce parasite qui envahit son esprit, l'héroïne va tenter d'en retrouver l'origine en suivant ses sens pour mieux se reconnecter aux autres et à elle-même.
Habitée, comme dans la plupart de ses rôles au cinéma, Tilda Swinton traverse le film comme une somnambule et cultive le mystère autour de cette héroïne en quête de sens. “Il y a tout un tas de fantasmes autour de ce personnage, souligne l’actrice rencontrée le temps d’une entrevue à Cannes. Est-elle vraiment présente ? Est-ce un fantôme ? Est-elle en deuil ? Vient-elle du passé, du futur, d’une autre planète ? Il y a tellement de questions et nous avons essayé de ne donner aucune réponse.”
Cette rencontre avec Apichatpong Weerasethakul sonne comme une évidence tant les deux artistes semblent avoir été faits pour travailler ensemble. La première fois que Tilda Swinton a vu un de ses films, c’était en 2004, lorsqu’elle était membre du jury à Cannes. Le cinéaste y présentait Tropical Malady et recevait déjà le prix du jury. Une première pour un metteur en scène thaïlandais. “J’étais impressionnée et, comme souvent quand on est impressionné, je ressentais quelque chose de très familier, se remémore la star britannique en parlant du réalisateur. C’était comme une grande cloche qui résonnait à l’intérieur de moi. C’était comme si lui et moi étions de la même tribu.”
Dans Memoria, seule compte l’atmosphère. Le film s'attarde à de nombreuses reprises sur le silence qui règne autour de Jessica tandis qu’elle parcourt le monde à la recherche d’une réponse. “Je ne crois pas qu’Apichatpong m’ait parlé du scénario, du personnage ou d’autres artifices. Il souhaitait maintenir cette ambiance, ne rien figer et tout rendre flexible. C’était une chance pour moi parce que c’est aussi ce qui m’intéresse dans ce métier.”
Aux côtés de cette héroïne, il y a ce son omniprésent, ce “boom”, qui retentit dans la salle et provoque une réaction chez le personnage comme chez les spectateurs. “C’est comme s' il y avait une bombe dans le cinéma”, décrit Tilda Swinton. C’est l’autre protagoniste du film. “Ce bruit, c’est comme la fin du monde. Pour l’entendre, il faut se rendre disponible. C’est comme une méthode de méditation : il faut être détaché pour observer de l’extérieur. Désormais, notre monde va tellement vite, il nous maintient tous de façon si étroite que l’on ne peut plus rien voir.”
De l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis, le film sort d’une façon inédite : il est proposé sur un seul écran à la fois, avant de changer de ville chaque semaine et ne devrait jamais sortir en support vidéo. Une manière de préserver l'expérience cinéma et de rendre au hommage à la promesse de cette œuvre hors du commun dont l'une des obsessions est de capturer le temps. Memoria a été choisi pour représenter la Colombie lors de la 94e cérémonie des Oscars.
Memoria d'Apichatpong Weerasethakul, au cinéma le 17 novembre.
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Cannes, le 16 juillet 2021.
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