Sur le papier, le pitch de Pig avait de quoi interpeller. Car cette histoire d'ermite quittant sa forêt pour renouer avec la civilisation et les blessures de son passé avait tout pour ressembler à un ersatz de John Wick avec un Nicolas Cage en roue libre. Mais non, car le premier long métrage signé Michael Sarnoski est un drame touchant sur un homme qui se reconnecte avec son humanité sur fond de gastronomie.
Et c'est au Festival du Cinéma Américain de Deauville que le réalisateur et scénariste est venu présenter ce film, qui concourrait en Compétition et rappelle Joe de David Gordon Green (également passé par les planches) pour la performance de son acteur principal.
AlloCiné : "Pig" s'était très rapidement fait remarquer grâce à son pitch et cette drôle d'idée d'associer Nicolas Cage et une truie truffière. Quand et comment est né ce projet de votre côté ?
Michael Sarnoski : J'ai eu cette idée quelques années avant de commencer à écrire le scénario. J'ai un dossier sur mon ordinateur avec différentes idées de scénario, et j'avais alors un simple petit fichier sur lequel il était juste écrit "truffe" et "vieil homme dans les bois avec son cochon".
C'est quelque chose qui mijotait dans un coin de mon esprit depuis un moment et puis, un jour, j'ai décidé de me lancer. J'ai commencé à faire des recherches sur les truffes, sur Portland, sur l'industrie alimentaire et sur toutes sortes de choses. Le film a commencé à prendre forme de manière organique à partir de l'idée centrale du vieil homme dans les bois avec sa truie truffière. Je me suis demandé qui était cette personne, pourquoi est-ce qu'elle vivait dans les bois avec un cochon, et tout s'est développé organiquement à partir de là. C'était un peu plus compliqué que cela en réalité (rires) Mais c'est l'idée centrale.
Vous avez mentionné vos recherches sur Portland et l'industrie alimentaire, mais j'ai lu que le film aurait pu se dérouler en France ou en Espagne. Pour quelles raisons ? Et pourquoi avoir changé d'avis ?
Au début, lorsque je me demandais où je voulais que l'histoire se déroule, j'ai d'abord pensé à l'Europe, car il y a davantage de lieux reconnus pour leurs truffes. Mais j'ai fini par choisir les États-Unis parce que j'essayais d'écrire quelque chose qui était tout à fait réalisable pour moi. Donc c'était plus utile que l'histoire se déroule ici.
Mais il y avait aussi le fait que l'activité de chasseur de truffes du personnage de Rob semblerait moins inhabituelle dans un endroit comme la France ou l'Espagne. Il y a un marché de la truffe, notamment au Nord-Ouest du pays, mais il n'est pas aussi reconnu et commun. Il y a donc quelque chose qui rend le personnage démodé et donne l'impression qu'il n'est pas à sa place à cause de ce qu'il fait. C'est notamment pour cela que j'ai tenu à ce que l'histoire se déroule aux États-Unis, car ça le rend étranger à ce qui l'entoure, et nous fait nous demander comment il a pu se retrouver à faire cela à Portland.
Nicolas Cage a rendu les choses meilleures, plus réelles
A quel moment Nicolas Cage est-il arrivé sur le projet ? Et qu'est-ce que cela a changé pour vous, du point de vue du scénario, de la production, du budget ?
Son arrivée n'a pas changé grand-chose. J'ai terminé d'écrire le scénario début 2018, et je crois qu'il l'a lu fin 2019. Et il s'est engagé assez rapidement après. Il y a réagi très positivement et voulait vraiment le faire, ce qui nous a permis de tourner à la fin de l'année 2019. Mais nous avons ensuite dû le laisser de côté pendant un an environ, à cause du Covid, donc nous avons terminé le film à la mi-2020.
Je ne pense pas que le fait d'avoir Nicolas Cage au casting ait changé grand-chose au scénario. Je n'ai pas le souvenir d'avoir réécrit quoi que ce soit à cause de lui. Il a simplement compris le personnage tel qu'il était sur le papier, et il y a évidemment apporté beaucoup plus de nuances et d'humanité. Mais il a réagi au personnage et je l'ai aimé pour cette raison, donc il n'y avait pas vraiment besoin de changer les choses autour de lui de quelque façon que ce soit. Il a juste rendu les choses meilleures, plus réelles.
A-t-il néanmoins influencé votre manière de mettre le film en scène ?
Ce qu'il y avait de meilleur avec lui, sur le plateau, c'est qu'il était extrêmement professionnel, extrêmement préparé et vraiment respectueux. C'est mon premier long métrage, et il aurait été très facile pour l'équipe et tout le monde de ne pas me prendre au sérieux. Mais il m'a traité avec beaucoup de respect. Il respecte vraiment la hiérarchie classique du plateau, et sait que tout dépend du scénario et de la façon dont le réalisateur veut le mettre en images.
Il a fait preuve de beaucoup d'attention et de respect à mon égard, et je pense que cela s'est répercuté sur tous les autres membres de l'équipe. Il a donné l'exemple quant au sérieux avec lequel nous faisions les choses. Parce que cela ressemble à un film loufoque à certains égards, et l'équipe aurait pu le prendre comme tel. Mais à cause de sa concentration, de celle d'Alex [Wolff] et de tous les acteurs, beaucoup de gens regardent quelqu'un comme Nic Cage sur le plateau. Je pense que cela a influencé le sérieux avec lequel tout le monde l'a pris.
L'une des choses les plus surprenantes est le calme dont il fait preuve, alors qu'il est connu pour ses performances expansives. Avez-vous dû le réfréner sur le plateau ?
Non, il était déjà parfait comme dans le film. Dès le scénario, son personnage était décrit comme quelqu'un de très calme, avec peu de répliques, très contenu. Donc je n'ai jamais eu à lutter contre un instinct, une envie d'en faire plus. Je pense qu'il avait compris le personnage et a voulu l'incarner tel qu'il était écrit.
Nous associons Nicolas Cage à des performances très fortes parce que c'est ce pour quoi il a été engagé. On lui doit aussi beaucoup de performances calmes et émouvantes, mais il a fait beaucoup de films d'action, et il s'y consacre pleinement. Quand il s'engage dans n'importe quel rôle qu'il joue, il le fait à 100%. Donc si c'est un chasseur de truffes sans abri qui parle à peine, il va aller jusqu'au bout. Et si c'est quelqu'un qui veut se venger de quelqu'un qui a assassiné sa femme et va tuer un tas de personnes, il ira jusqu'au bout avec ça aussi. Je pense que c'est juste qu'il est très investi engagé.
C'est en tout cas l'impression que j'ai eue de lui, et peut-être que cela change d'un film à l'autre en fonction du type de personnage qu'il joue. Mais en passant du temps avec lui, j'ai vu une personne réfléchie, calme et artistique. Je n'ai pas vu quelqu'un de naturellement bruyant et grandiloquent.
C'est impossible de diriger un cochon
A quel point était-ce compliqué de diriger un cochon ? Même si on ne le voit pas énormément dans le film.
C'est impossible de diriger un cochon (rires) Le budget était assez serré, donc nous ne pouvions pas nous permettre d'avoir un cochon dressé. Nous avons donc trouvé un cochon dans une ferme, qu'on trouvait mignon et qui avait une bonne personnalité. Cela faisait beaucoup pour elle d'être sur le plateau. Cela fait beaucoup pour un animal qui n'a jamais été sur un plateau que d'en faire l'expérience : des lumières sont déplacées tout le temps, il y a beaucoup de bruits.
La chose la plus importante que nous avons faite, lorsque le cochon était sur le plateau, c'était de nous assurer que tout le monde était très calme et qu'il n'y avait pas de mouvement brusque. Il le fallait pour pour que la truie reste naturelle et calme. Ensuite, il s'agissait juste de mettre de la nourriture à certains endroits et de faire des bruits pour attirer son attention. Et Nic a passé du temps avec elle avant pour qu'ils puissent développer une sorte de relation. Mais je pense que, la plupart du temps, elle savait qu'il était le gars qui lui donnerait de la nourriture si elle venait vers lui. Mais ça a marché et elle est restée authentique.
Vous avez parlé du budget : quel impact a-t-il eu sur la production ?
Il faut toujours faire des compromis. Et la chose la plus importante, en ce qui concerne le budget, c'était le temps imparti : nous n'avions que vingt jours pour le tournage, et n'importe quel budget peut être plus petit ou plus grand si vous réduisez ou augmentez la durée du tournage. Nous devions donc vraiment savoir ce que nous faisions.
Beaucoup de scènes se composent d'une seule longue prise. C'était une technique pour avoir une vision très claire de la façon dont nous voulions que la scène se déroule, et pouvoir la tourner comme nous le voulions, au lieu de faire plusieurs plans de couverture. C'est quelque chose que nous avons toujours voulu faire de toute façon. Mais c'était un moyen utile de réduire le budget d'une certaine manière, de ne pas avoir à refaire la scène plusieurs fois et de la tourner de la bonne manière en sachant exactement ce que l'on veut. Il était utile d'être clair sur ce que nous devions obtenir, pour ne pas chercher à en faire plus, car nous n'avions pas le temps pour ça.
Dans sa seconde moitié, "Pig" développe un discours intéressant lorsqu'il oppose l'authenticité aux concepts sans âme, car cela peut s'appliquer à différentes formes d'art, dont le cinéma. L'aviez-vous à l'esprit en réalisant le film ?
Oui. Je n'avais jamais travaillé dans la restauration, et je pense que la cuisine est une forme d'art, mais ce n'est pas une forme d'art avec laquelle j'ai personnellement beaucoup d'expérience. Donc je l'abordais comme n'importe quelle forme d'art. Et, pour moi, le cinéma et la narration sont très importants. Dans toutes les formes d'art. C'est pour cela que les gens réagissent à certaines scènes ou en parlent, car ils savent qu'il ne s'agit pas seulement de cuisiner et d'avoir un restaurant.
Il est question de ce qui vous passionne dans votre vie et de ce que vous utilisez pour vous exprimer. Donc oui, je pense que c'est juste la chose que Rob utilise pour s'exprimer. C'est sa passion. C'est la chose pour laquelle il est en quelque sorte un expert et qu'il utilise pour communiquer et partager avec d'autres personnes.
Pourquoi avoir découpé le récit en trois chapitres dont les noms apparaissent à l'écran ?
Il y a plusieurs raisons. Notamment parce qu'il y avait quelque chose de l'ordre de la fable et de la mythologie dans la façon dont nous avons abordé cette histoire. Comme si nous voulions qu'elle dégage un peu de ce sentiment. Et ces titres de chapitres lui donnent un peu de cet aspect de fable.
C'est aussi une histoire très lente et tranquille. Il fallait donc lui donner cette structure pour que les gens sachent où se trouvent les pauses et pour qu'ils sachent quand respirer un peu, quand il faut se lancer dans quelque chose de nouveau. Et les cartons titres sont juste les noms des plats qui sont cuisinés dans chaque section. Donc ça ne vous dit pas exactement ce vers quoi vous vous dirigez, mais ça vous permet d'avoir une vue d'ensemble et de vous demander ce pour quoi vous vous préparez.
Au moment du deuxième carton, il y a un grand changement de tonalité dans le film, car c'est là que les choses deviennent plus calmes. Cela permet au public de savoir que la partie précédente est terminée et que nous allons maintenant passer à autre chose. C'est une manière de leur dire de se tenir prêts pour le changement.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 4 septembre 2021