Martin Scorsese, 78 ans, s'apprête à nous livrer une nouvelle grande fresque historique, Killers of the Flower Moon, dont le tournage devrait s'achever dans les prochaines semaines. Après nous avoir offert The Irishman, le mythique réalisateur convoque à nouveau Robert De Niro pour une 10ème collaboration. Son autre acteur fétiche, Leonardo DiCaprio, est également de la partie.
Mais avant de nous plonger dans ce récit qui nous entraînera dans les années 20, au coeur de la tribu amérindienne Osage, Amazing Améziane nous propose de parcourir la vie de Scorsese... en BD ! L'ouvrage de 384 pages, paru le 22 septembre aux Editions du Rocher, nous fait découvrir comment "un petit gars asthmatique de Little Italy est devenu l'un des plus grands réalisateurs."
Améziane, auteur du roman graphique Martin Scorsese, est scénariste, illustrateur et graphiste. Nourri aux comics de Frank Miller et Bill Sienkiewicz, aux films de Bruce Lee et Sergio Leone, il devient auteur de BD en 2001. Après avoir produit seul les 180 pages de son polar noir Bagmen en seulement 6 mois, il devient Amazing Améziane.
L'artiste travaille ensuite sur sa Soul Trilogy avec Sybille Titeux de la Croix et publie Muhammad Ali (best seller du New York Times) et Miss Davis aux éditions du Rocher. Il a aussi adapté 1984, le roman culte de George Orwell. En tout, Améziane a produit plus de 17 livres et a été traduit dans 9 pays. Son amour pour le cinéma et ses origines italiennes en ont fait le candidat idéal pour raconter en images, de manière unique et documentée, la vie et l'oeuvre de son réalisateur préféré : Martin Scorsese. Rencontre avec cet auteur haut en couleurs.
AlloCiné : Comment est née cette envie de mettre en scène la vie de Martin Scorsese dans un roman graphique ?
Améziane : Je ne suis pas documentariste, sinon j'aurai fait un docu sur lui. Le seul truc que je sais faire, c'est des romans graphiques. Je pensais qu'un livre illustré pour raconter la vie de Martin Scorsese à ma façon serait une bonne idée. Mais je ne m'attendais pas à autant m'amuser... Je venais de finir ma comics Soul Trilogy avec Muhammad Ali, Miss Davis (Angela Davis) et Big Black: Stand Attica (la révolte d'Attica).
Presque tout se passe autour de l'année 1971 ou dans les années 70, car j'adore cette époque. Après avoir produit avec Sybille Titeux de la Croix et Jared Reinmuth, mes meilleurs livres, mais aussi les plus durs, trois biographies sur des personnes réelles qui ont beaucoup souffert, j'ai pensé qu'il était temps de faire quelque chose de moins douloureux. Et ma Ciné Trilogy a vu le jour. Il n'y avait pas de débat, Martin Scorsese devait être le premier livre.
Vous avez choisi de raconter la vie de Scorsese à la première personne, pourquoi ce choix ?
Scorsese est mon réalisateur préféré. Et de loin. J'aime tous ses films, je ressens personnellement tous ses films, je les comprends et ils m'inspirent beaucoup dans mon travail aussi. Je suis à moitié Italien par ma mère, une petite femme qui utilisait sa cuisine et ses pizzas comme John Wick utilise ses pièces d'or. Mon père n'était pas italien, il était plutôt silencieux, mais un roc au niveau de la droiture et la moralité, ça vous rappelle quelqu'un ?
Plus je me documentais sur Scorsese, plus je réalisais que j'avais vécu des histoires similaires.
Si j'avais dû faire un documentaire sur mes parents, le titre aurait été ItalianAlgerian... et le résultat à l'image aurait été semblable à ce que vous avez vu chez Marty. Plus je me documentais sur lui, plus je réalisais que j'avais vécu des histoires similaires (choisir un métier artistique alors qu'on est issu d'un milieu populaire et d'un appart où il n'y avait pas de livres). Ne pas être très grand, mais avoir une grande gueule et beaucoup humour, pour ne pas avoir à être en colère tout le temps.
J'espère que ça fonctionne, mais oui, je pensais être capable d'écrire Scorsese à la première personne. J'ai d'ailleurs écrit des séquences qui ne sont dans aucune biographie, mais je savais comment ces moments de sa vie avaient dû se passer, car j'avais été dans les mêmes situations que lui. Certaines anecdotes ont été racontées des centaines de fois, mais dans mon livre, vous voyez comment elles ont eu lieu. On peut voir Marty jouer les scènes de sa vie et l'impact que ces événements ont eu sur ses films. Sa vie et ses films sont incroyablement liés.
Dans mon livre, j'ai traité Martin Scorsese comme Marty avait traité Henry Hill pour Les Affranchis.
Dans mon livre, j'ai traité Martin Scorsese comme Marty avait traité Henry Hill pour Les Affranchis. Tout est vrai mais tout ne s'est pas passé à 100% comme cela. Donc tout est vrai à 96% et le reste, c'est la magie de la narration. Le bouquin est structuré comme Les Affranchis, il commence par un long travelling en plan séquence et se finit par une version modernisée des derniers dialogues de Casino.
Le livre est comme les films de Marty, on peut le prendre au premier degré et suivre l'histoire de cet italo-américain, voir comment il va devenir un monstre sacré, mais on peut aussi s'amuser des références cinématographiques avec des plans qui rappellent les plus grands réalisateurs qu'il adore (Fellini, Welles, Bergman etc...). Quand on est fan de ciné, on a une lecture plus complète de l'histoire.
Avez-vous rencontré le réalisateur pendant la conception du roman graphique ? A-t-il eu son mot à dire dessus ?
Je crois que vous vous faites une idée un peu exagérée de l'économie de la BD française. Comme si j'avais le temps, ou les moyens, de pourchasser sur un autre continent, le plus respecté des monstres sacrés du cinéma mondial... pendant la crise du covid 19. Non, je n'ai eu aucun contact avec lui. Mais quand le livre sera traduit en anglais, je lui ferai parvenir un exemplaire.
Il va voir son quartier, la porte de l'immeuble de son enfance (qui est sur la couverture) ainsi que le Christ sous lequel il a prié pendant des années (aussi sur la couverture). Tout cela je l'ai appris chez lui. Scorsese parle de la "Moralité du plan". Tout ce qui est dans le cadre doit avoir un sens. Pas juste être cool.
Quelles ont été vos sources pour ce récit biograhiques ? Livres ? Entretiens avec le cinéaste ? Comment s’est déroulé le travail de recherche ?
Pour les recherches, j'avais 2 axes majeurs. Les livres pour avoir le maximum d'informations, pour tracer une carte exhaustive de sa vie, qui il a rencontré et à quelle période, et qui revient à intervalles réguliers. J'ai lu une bonne dizaine de livres sur Scorsese mais aussi sur Julia Phillips (sa productrice sur Taxi Driver), Brian De Palma, Francis Ford Coppola. J'ai eu de la chance car un livre tout neuf est sorti pile pendant que je travaillais : Made Men: The Story of Goodfellas par Glenn Kenny.
Non seulement ce livre reprenait tout ce qui s'était passé sur Les Affranchis mais il contenait aussi la dernière interview que Martin avait donné avant de se retrouver bouclé comme nous tous par la pandémie. Cette interview a clarifié tout un tas de points biographiques qui était faux à son propos. Ces informations de première main étaient recueillis directement de sa bouche. Ma source préférée d'informations.
Le second axe de mon travail est d'écouter des interviews de Scorsese toute la journée, pendant des heures. Je mets youtube, mon casque et je dessine. Dès que j'entends un élément nouveau ou une phrase qui me plaît, je la note et tente de l'utiliser dans mes dialogues. J'ai passé des mois entiers à écouter Martin me raconter sa vie dans l'oreille. J'ai pu, petit à petit, voir comment il aime raconter telle ou telle histoire, celles qu'il répète à chaque fois et la manière dont il les raconte. Comment il cherche à captiver son audience et comment il utilise l'humour pour surprendre et désamorcer une situation. Si cela marche correctement, le livre devrait être la synthèse des deux approches.
Combien de temps faut-il pour mettre en place un tel projet, du début à la fin ?
Les Éditions du Rocher ont dit oui dès que j'ai prononcé le nom de Scorsese, mais aussi parce qu'ils savaient ce dont j'étais capable après avoir produit 2 livres pour eux. Cela faisait presque 5 ans que je voulais le faire, sans en parler à personne. Je réunissais ma documentation et, souffrance ultime, je regardais des films de Scorsese. C'est dur la vie, des fois. Mais je pense que les critiques de ciné peuvent comprendre cette souffrance. Bon, moi, je choisis mes films aussi. Je travaille assez vite en général, je suis devenu Amazing Améziane après avoir écrit, dessiné, mis en couleurs et designé les 180 pages de mon néopolar, Bagmen, le tout en 6 mois.
J'ai décidé de prendre des risques et de ne pas écrire de script complet avant de commencer à dessiner.
J'avais confiance dans ma capacité à fournir un livre assez épais dans un temps donné. J'ai décidé de prendre des risques et de ne pas écrire de script complet avant de commencer à dessiner. J'avais une structure béton, faut pas déconner, non plus. Je ne savais pas exactement combien de pages allaient faire chaque partie... Mon excès de confiance fut exactement le même que celui de Marty sur New York, New York.
Je voulais aussi comprendre comment Marty avait fait cela. Prendre le risque d'avoir cette expérience commune. Et mon livre a fini avec une pagination de 384 pages... On va dire que c'est une version longue, comme beaucoup de films de Marty. J'ai presque rien coupé. Tout ce que je voulais mettre est dans le livre. Il m'a fallu à peu près 9 mois pour faire le livre et 30 ans à suivre vraiment sa carrière à réunir des histoires, à lire des articles, des interviews. Dans mon école de dessin, on devait faire un faux poster de ciné, j'avais choisi Les Nerfs à vif. Il y a 30 ans.
Vous avez un style graphique très particulier, quelles sont vos influences ?
Mon "Martin Scorsese" pour la BD, c'est Frank Miller. Et les parallèles sont nombreux entre les deux artistes. Novateur, nerveux voire énervé, maîtrise de la technique parfaite, refuse l'hypocrisie, a révolutionné son médium. Ne laissera jamais indifférent. Techniquement, Batman Year One, c'est Batman s'il avait été réalisé par Martin Scorsese. Il y a d'ailleurs une énorme référence à Taxi Driver dans Year One mais aussi dans The Dark Knight Returns et Elektra Lives Again.
Le second artiste a avoir cramé ma rétine, c'est Bill Sienkiewicz. Son travail avec Miller sur Elektra Assassin a changé ma vie. J'ai lu les 4 premières parties (sur 8) et j'ai été si choqué que j'ai abandonné le livre pendant un an, j'y revenais de temps en temps. Et un jour, j'ai compris ce qu'ils avaient voulu faire. J'ai lu la fin et après je savais que je voulais faire "ça" quand je serai grand. Sienkiewicz m'a appris à avoir confiance, appris à écouter sa curiosité, à expérimenter, sans avoir besoin de faire uniquement le style à la mode. Grâce à lui, je change aussi souvent de styles que je veux et chaque jour où je dessine, l'ennui est totalement absent de ma vie.
Mon "Martin Scorsese" pour la BD, c'est Frank Miller.
Quand j'ai un doute, je me dis "Qu'est ce que Bill Sienkiewicz ferait ?" Je n'ai pas le dixième de son talent donc je ne me fais aucun souci et je fais mon truc, mais en appliquant sa philosophie de liberté artistique totale. C'est comme ça que, par hasard, j'ai trouvé une nouvelle façon de mettre en couleur mes dessins lorsque je faisais les pages pour Taxi Driver. Je ne fais aucun croquis avant de commencer. Je sais ce que je veux dire et je remplis cette foutue page blanche. Sans savoir quel sera le résultat final.
Quand t'es en forme, tu es content du résultat. Sinon tu finis la page, tu pars dormir et tu la refais plus tard quand t'as enfin retrouvé la niaque. J'ai la vision de tout le livre et je travaille dans le désordre, comme ferait un réalisateur, sachant à tout moment où j'en suis de mon histoire, quelle séquence sera à la suite ou avant et ce dont j'ai besoin comme transition entre elles. Je produis un peu plus et je réduis pour garder l'essentiel. Comme si je faisais le montage.
Que représente Martin Scorsese pour vous ?
Un artiste qui a su pousser les limites, su refuser les ponts d'or (Witness, Le Flic de Beverly Hills) pour faire des projets personnels moins lucratifs. Il a traversé des périodes noires sans jamais lâcher l'affaire et au final, il a su prouver non seulement qu'il savait faire des films indés qui allaient devenir culte, mais aussi des blockbusters rentables et tout en gardant son intégrité. C'est du jamais vu. À part Tarantino, je ne vois aucun autre réalisateur qui, après avoir connu le succès, a su rester au top niveau de la qualité en continuant à produire des films cultes. Ok, peut-être Christopher Nolan mais il faut que je revois Tenet avant d'être certain.
Scorsese avait 70 ans quand il a fait Le Loup de Wall Street. Le film le plus fou que j'ai vu.
Scorsese avait 70 ans quand il a fait Le Loup de Wall Street. Le film le plus fou que j'ai vu. C'est une orgie de 3H, pleine de dialogues cultes, de drogues, de nanas à poil, de salopards de traders, de singes habillés comme des nains qu'on va lancer sur des cibles géantes. Ce film est au moins aussi bon que les Affranchis. Le film a le record de Fuck prononcés dans un film de fiction, 564.
Pour rigoler, j'en ai mis 400 sur une seule double page. J'attends chaque jour de recevoir une lettre du Guiness book des records. Scorsese fait des films avec le plus grand sérieux mais n'oublie jamais de se faire plaisir. Il respecte le médium et veut le protéger, il veut le changer de l'intérieur, l'enseigner, le partager... et si le cinéma se souviendra de lui, alors il sera heureux. Comment ne pas aimer un mec comme ça ?
Qu’appréciez-vous le plus dans la personnalité du cinéaste ?
Quand on demande à Marty comment il a réussit à faire tel ou tel chose, il dit toujours " La colère est le fuel. Je suis toujours en colère, mais l'humour permet de désamorcer cette colère et de rendre l'énergie utilisable."
Quel(s) film(s) de Scorsese préférez-vous ? Pourquoi ?
Taxi Driver fut mon premier grand choc, enregistré en 1988 sur M6 avec les pubs et tout. J'avais tellement aimé que j'avais noté le nom du réalisateur, cherché ce qu'il avait fait et trouvé une VHS de Mean Streets au vidéoclub. Quand Les Affranchis est sorti en VHS, j'avais trouvé que c'était mieux que Le Parrain, et pourtant rien n'était mieux que Le Parrain, à part Le Parrain 2. J'ai donc suivi à la loupe la carrière de ce Scorsese à partir de ce moment-là. Quand Les Nerfs à vif est sorti, j'avais vu tous ses films disponibles... et au cinéma.
Mon Scorsese préféré, c'est Raging Bull. C'est un film parfait.
À Paris, c'était plus simple. Maintenant mon Scorsese préféré, c'est Raging Bull. C'est un film parfait. Il croyait que cela allait son dernier et il a tout donné. S'il y a un film de Scorsese qui peut rivaliser avec les films de Fellini, Kubrick ou Kurosawa, c'est Raging Bull. L'histoire de ce mec qui n'aurait jamais mérité d'avoir son histoire racontée et pourtant, c'est une merveille. Tout le monde sur ce film, s'est donné à 113%. Et ce chef-dœuvre absolu n'a pu voir le jour que parce que le producteur avait les droits de Rocky et United Artists voulait un Rocky 2... Ah, Hollywood.
Avez-vous été conquis par son dernier film, sa fresque The Irishman ?
Oh oui. Et qu'on ne me parle pas de la durée du film ! Pas après avoir dormi 3 fois en tentant de regarder le Snyder Cut. Comment ne pas aimer un film aussi ambitieux. Avec presque tous les acteurs préférés de Marty et Al Pacino, enfin !
J'ai toujours été curieux de la vie de Jimmy Hoffa, cela m'a beaucoup plu de voir son approche sur le sujet. C'est le film d'un auteur qui réfléchit sur une vie passée, ça me touche. C'est le genre de film où il doit se dire "si je finis avec ça, franchement ça ira". Et zoom, il en fait un autre.
Selon vous, pourquoi Scorsese est-il le seul cinéaste du Nouvel Hollywood (en dehors de Spielberg) à avoir réussi à durer dans l’industrie, contrairement à De Palma, Coppola ou Friedkin ?
Il est le seul à avoir duré par son seul talent. Spielberg et Lucas se sont emparés des moyens de production, donc ils étaient leur propres boss. Facile de durer quand tu demandes à ta main droite ce que ta main gauche veut faire. Coppola voulait devenir un studio, il a pu le faire pendant un moment, et puis plus jamais. Il a su se diversifier et le cinéma n'était plus son gagne-pain principal pour nourrir sa famille. De Palma (que j'adore) a fait des choix discutables et il n'a pas su gérer sa carrière, malgré un talent fou. Snake Eyes est une tuerie, L'Impasse est une perfection.
Scorsese est le seul à avoir duré par son seul talent.
Friedkin ne s'est jamais remis de Sorcerer, le monde avait changé, Hollywood aussi et ils voulaient des Yes Men, pas des artistes de la trempe de Michael Cimino, qui avait coulé United Artists. Scorsese a su durer, Thelma Schoonmaker le dit souvent : "Il vit et respire le cinéma, il arrive à fasciner des gens et les attirer à investir dans de grands films qui ne rapporteront peut-être rien". Et aussi, Marty ne voulait pas devenir producteur, patron de studio ou vigneron, il voulait être Fellini ou John Ford, suivant les jours. Sa philosophie, c'est "Un film pour eux, un film pour moi". Il rêvait d'être un cinéaste de studio, faire un western, puis un polar, puis une comédie ou un drame.
Scorsese était plus malléable mais plus malin que certains. Il était capable de faire After Hours et La Couleur de l'argent pour faire financer La Dernière Tentation du Christ. Et puis à partir des Affranchis, tout le monde s'est rendu compte du talent qu'il avait, lui qui était traité de has-been 4 ans plus tôt. Spielberg lui a permis de faire un film commercial (Les Nerfs à vif), lui a présenté Ovitz, son agent, et après ça, il était lancé. De tous les réalisateurs que vous avez cités, Scorsese est le seul qui ait continué à faire des films identiques à ceux qu'ils faisaient quand il était jeune. Di Caprio disait qu'il faisait juste des "films indés de 100 millions de dollars".
Rejoignez-vous les propos de Scorsese sur les films Marvel qui ne seraient pas du cinéma ?
De mémoire, la phrase serait "Tous les genres de films sont des films, mais tous ne sont pas du cinéma. Pas dans le sens où les films de Fellini sont du cinéma. Les séries B sont juste des films". La phrase a été écrite dans un essai pour Vanity Fair "Il Maestro" où Scorsese explique que le cinéma, tel qu'il l'entend, est voué à disparaître et c'est les blockbusters qui l'ont tué en détruisant les films à moyen budget. Les films ambitieux, les "bons films". Tarantino dit que tous ses films sont des comédies mixées avec un autre genre.
Tous les films Marvel sont des films cool, des comédies mixées avec un autre genre. Prenez les 2 meilleurs films Marvel : Les Gardiens de la Galaxie et Le Soldat de l'Hiver. Ce sont d'excellents films mais ils ne peuvent pas vraiment être considérés meilleur que Raging Bull, Taxi Driver, Barry Lyndon, Yojimbo... ou Les Trois jours du Condor. Si vous n'avez pas peur pour votre personnage principal, il n'y a aucun enjeu réel. Uncut Gems est mille fois plus fort en intensité que n'importe quel Marvel. Quand vous matez un Tarantino, tout peut arriver, tout le monde peut mordre la poussière ou arrêter une balle avec le front. QT prends plus de risques qu'eux.
Si vous n'avez pas peur pour votre personnage principal, il n'y a aucun enjeu réel.
Yondu est mort dans Les Gardiens 2 mais il est remplacé 5 minutes plus tard, et ils font même une blague avec ça. Logan a dépassé son statut de Série B en faisant ce que personne n'avait eu le courage de faire. Donc c'est possible de faire un très bon film de super-héros, faut juste avoir les couilles de raconter une histoire puissante. Début / milieu / fin. Et pas un tunnel de pubs pour les autres films/séries et des placements de produits jusqu'à plus soif. Les films Marvel sont le top du divertissement, pas de doute (enfin l'était, moi Les Eternels, j'ai dormi pendant tout le trailer).
Mais c'est pas parce que tu fais le plus de fric que tu as la meilleure qualité. Et je ris des commentaires des employés de Disney à propos de Marty. "Mais pour qui il se prend ?" Ben pour un réalisateur culte, le dernier monstre sacré du cinéma. Moi ce débat me fait penser à Benoît Poelvoorde dans C'est arrivé près de chez vous. Il est au resto, il veut commander pour l'équipe et un jeune serveur boutonneux veut proposer un plat du jour et il lui dit : "Avant de parler, tu vas commencer par me soigner cette vilaine peau".
Etes-vous impatient de découvrir son prochain projet, Killers of the Flower Moon ? Pourquoi ?
Carrément. Tout simplement parce que c'est un film de Martin Scorsese. Tu rajoutes DiCaprio et De Niro et je suis dans la salle à la première séance, couvert de gel hydroalcoolique, s'il le faut. Bon, je suis vacciné, ça aide à survivre pour continuer à aller au ciné et faire des livres de ciné.
J’ai vu à la fin de l’ouvrage que vous souhaitiez faire une ciné trilogy et que vous alliez consacrer le prochain à Tarantino. Qu’est-ce qui vous plaît dans la vie et l’oeuvre de ce cinéaste ? Qui sera le 3ème réalisateur qui clôturera la trilogie ?
Tarantino a trop rapidement été rangé dans la catégorie des réalisateurs cools mais sans substance. Ce qui est faux. À part Scorsese, vous allez avoir du mal à trouver un cinéaste qui a une culture encyclopédique du cinéma comme celle de Quentin. Ses films sont truffées de références au cinéma, de Roger Corman à Howard Hawks en passant par Zatoichi. Ses films sont très personnels, il ne nous donne pas les clés pour le voir, c'est tout. Pour Il était une fois à Hollywood, il a fait ce qu'il voulait, certains voulait qu'il soit toujours à faire du Kill Bill, mais il avait plus de choses à raconter.
QT a su changer le cinéma, il a créé un sorte de genre nouveau, un mélange de comédie et de polar qui a été copié par tout le monde. Sans succès. Il a remis son titre en jeu pendant 20 ans. Personne n'a jamais réussi à faire mieux que lui. Après 20 ans, tout le monde a enfin accepté l'évidence de son talent. Et comment fait-il ? Il ne torche pas ses scripts en 3 semaines, il bosse dessus des années, et ça se sent à l'écran. Et il n'a jamais été blasé par le fait de faire des films. Son principal talent est le fait qu'il se soit toujours battu pour ses films, et je ne parle pas de baston de salon, il s'est battu toute sa carrière contre Harvey Weinstein.
J'aime beaucoup Tarantino, j'ai aussi une grand affinité avec son vécu.
Et il a gagné. Bref, j'aime beaucoup Tarantino, j'ai aussi une grand affinité avec son vécu, c'est différent de celui de Scorsese mais je pense que le livre sur Tarantino sera beaucoup plus marrant aussi. Car si je dois faire parler Quentin, je pense que cela va être drôle. Pour le troisième volume... mystère. J'ai plusieurs idées pour finir ma première Ciné Trilogy. Et beaucoup d'idées pour les futures Ciné Trilogy. Si ça se passe bien, je peux faire ça jusqu'à la fin des temps.
Martin Scorsese, roman graphique par Amazing Améziane, disponible aux Editions du Rocher pour 22,90 €.