AlloCiné : Comment est née la série Mixte ?
Marie Roussin : C'est parti d'un article sur lequel je suis tombée et qui parlait d'un lycée fier d'avoir été le tout premier de tout son département à être devenu mixte au début des années 60 et avoir accueilli les premières poignées de jeunes filles dans une mer de garçons.
Comment on crée une série sur les années 60 ? Quelles ont été vos inspirations ?
Je me suis rendue compte, en commençant mes recherches, que j'avais vécu une situation très similaire. Alors pas dans les années 60, évidemment, mais il se trouve que j'ai été scolarisée pour des raisons curieuses dans une école de garçons jusqu'à mes 11 ans.
Ils acceptaient les filles des profs et les petites soeurs de garçons déjà inscrits. Et donc, j'ai vécu cette espèce de situation où rien n'est prévu pour les filles parce qu'elles sont 3 et qu’il y 180 garçons à côté.
Ça a nourri la série de tout un tas d'anecdotes et de situations qui ont été celles que j'ai connues à l'époque. Évidemment c'était beaucoup plus riche de situer la série dans un lycée avec des adolescents. Ensuite j'ai fait beaucoup de recherches sur la mixité, sur cette histoire-là qui est assez méconnue.
Ce qui m'a interpellée, c'est que c'était une révolution dans l'éducation et au niveau sociétal. Cette cohabitation inédite homme/femme hors mariage, parce que c'était quand même essentiellement ça la question.
La mixité s'est imposée sans que ce soit un combat idéologique. Ça s'est juste imposé pour des raisons pratiques, parce que tous les baby boomers arrivaient à l'école. Il y avait un sureffectif et donc ça n'a pas été réfléchi.
Ça vous évoque quoi les années 60 ?
A part la musique - les tubes yéyé et une vague image glamour, Brigitte Bardot et Saint-Tropez - ça ne m'évoquait rien de plus que ça. On avait déjà des chefs de poste qui ont fait un travail formidable sur les costumes et sur les décors. Mais j'ai aussi fait beaucoup de recherches sur la société française de l'époque parce que je suis un peu obsessionnelle !
J’ai appris par exemple que les Bic de l'époque n'avaient pas de bouchons percés. C'est le cas aujourd'hui parce qu'il y avait tellement d'enfants qui se sont étouffés... A l'époque, ils étaient interdits alors même qu'ils ont explosé en terme de succès et d'objet de consommation. Ils étaient interdit à l'école et seuls les profs avaient le droit d’en utiliser. Les élèves étaient obligés d'écrire encore au stylo plume.
Il y a eu un véritable travail sur la musique aussi.
Sur la musique, ce qui est intéressant, c'est que c'est une époque qui est très marquée. C'est aussi le moment où on passe des yéyés, d'une chanson entièrement française à la radio au rock britannique qui arrive enfin et sur les ondes, ça va changer. C'est aussi toute une évolution.
Dans le traitement de la bande originale de la série, on voulait aussi une sonorité très rock. Pour moi, ça représente vraiment l'adolescence, l'envie d'émancipation, cette fureur de vivre. On voulait quand même garder quelques grands morceaux de l'époque avec des chansons emblématiques.
La série dit qu'on oublie rarement ses professeurs et ses "surgé". Ça a été votre cas ?
Oui, bien sûr, je me souviens de beaucoup de mes profs de lycée. Je me souviens de ma prof de philo de terminale et de ma prof d'histoire. L'école, c'est quand même une grande expérience que tout le monde a en commun. Toutes les générations sont allées à l'école, même si c'est la petite école et pas jusqu'au lycée.
Dans les années 60, ce n’était pas du tout les chiffres d'aujourd'hui. Il y avait moins de 50% des élèves qui passaient le bac. Je ne parle même pas de l'obtenir. Juste de passer les épreuves. Ce n'était pas du tout la même chose qu'aujourd'hui, mais tout le monde - dans chaque génération, chaque communauté - tout le monde a passé un jour sur les bancs d'école. C'est un point commun chez chacun.
Mixte est au final une série sur une bande d’ados : c’est un sujet qui semble vous plaire tout particulièrement.
Vous devez faire référence aux Bracelets rouges [dont elle est la créatrice, ndlr]. Oui, j'adore ça. Ce qui est drôle, c'est qu’après les Bracelets je n’avais plus envie de faire une série avec des ados. Et il se trouve que l'idée de Mixte était née avant.
On me proposait plein de projets mais la seule que je voulais faire aujourd'hui, c'était celle-là parce qu'elle est située dans les années 60, tout en ayant des résonances très actuelles. C'était vraiment ce qui me plaisait.
C'est aussi une série avec des personnages adultes qui sont très importants, qui n'existent pas que comme faire-valoir des ados. Ce ne sont pas juste les parents des ados. On a les personnages de Jeanne, de Bellanger, de Couret, la prof d'anglais qui ont leurs propres trajectoires indépendamment des ados. Et ça m'importait d'avoir ce double regard sur cette réalité, sur ce bouleversement qu'était la mixité.
Chez les comédiens, c'était intéressant. Ça m'a confortée dans cette intuition que j'avais parce que leur réaction était géniale. Ils se sentent hyper concernés par les problématiques, alors que je pense qu'il y a d'autres séries historiques qui pourraient ne pas les concerner du tout.
On voulait également un traitement artistique moderne. Il y a deux réalisateurs, Alexandre Castagnetti et Edouard Salier, qui ont fait un boulot formidable et, évidemment, un traitement de réalisation très moderne. On sait que cette série a été faite aujourd'hui.
Est ce qu’on travaille différemment pour une plateforme et pour une chaîne de télévision ?
Il y avait une liberté de ton, de sujets abordés et de traitement qui était très grande. Par exemple, on a un épisode qui est totalement atypique, qui rompt complètement tous les codes narratifs de la série. On n'est même plus au lycée pendant tout un épisode et ça, évidemment, sur une chaîne traditionnelle, on ne peut pas le faire.
Il n'y avait pas de discussions autour du tabou de certains sujets abordés. Dans le deuxième épisode,on voit une jeune fille qui découvre par hasard l'existence d'un clitoris avant même de savoir que ça s'appelle le clitoris. Elle le découvre sur une corde lisse. En épisode 2 d'une série, je pense que ça aurait été plus compliqué ailleurs.
Vous avez fait appel à un coach d’intimité sur la série. Une pratique qui se développe outre-Atlantique et outre-Manche, mais un peu moins en France.
Je ne sais plus exactement d'où est venue l'initiative, mais c'était pour filmer des scènes d'intimité. C'est très compliqué pour un comédien, qu'on soit un homme ou une femme, et peu importe notre âge. Les scènes d'intimité peuvent mettre mal à l'aise et questionner. C'est un métier très difficile, de se mettre à nu devant toute une équipe technique et des caméras. C'est bien de proposer cette aide. Libre à chacun d'en disposer.
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