L'histoire : Raoul Taburin, c’est l’histoire d’un petit garçon devenu grand sans savoir faire du vélo. L’histoire d’un immense malentendu vécu comme une malédiction. Un imposteur malgré lui.
Comment est née l'idée d'adapter ce roman graphique ?
Pierre Godeau, réalisateur : L'idée ne vient pas de moi, mais du scénariste Guillaume Laurant. Il a travaillé avec Jean-Pierre Jeunet et est très proche de Jean-Jacques Sempé. Je ne sais pas lequel a soufflé à l'autre l'idée d'adapter. En tout cas, c'est un projet qui tenait beaucoup à coeur à Sempé. C'est une de ses œuvres favorites. C'est l'une de celles dans laquelle il se reconnaît le plus. Il était à la fois très emballé par l'idée et très sceptique. Je pense que c'était le mieux placé pour savoir que c'était risqué.
Moi ce qui m'a plu, déjà c'était la rencontre avec Sempé. C'était une chance inouïe que ça se présente à moi, de pouvoir avoir accès à quelqu'un comme lui, son intelligence, son humour, sa délicatesse. Tout ça m'inspirait tellement. Mon envie était de faire un film qui soit le plus fidèle possible à son esprit, tout en essayant de développer l'histoire par rapport au livre pour que ça puisse se raconter en long métrage. C'était à la fois très libérateur de faire un film en adaptant Sempé, et très risqué, car j'avais conscience du monument que c'est et que je n'avais aucune envie de décevoir.
C'est très fin, c'est très ténu. Il fallait respecter ça. L'idée n'était pas du tout d'en faire un film d'action ou avec des gros retournements de situation, avec de grosses ficelles narratives. C'était vraiment de partir des personnages, de Raoul. Qu'est-ce que c'est d'être dans la peau d'un imposteur, en tout cas de se sentir comme tel ? Par quel état d'âme passe-t-on ? Les relations familiales ? Il fallait développer des personnages autour de lui, qui étaient présents ou pas du tout dans le livre.
Parlez-nous du choix des comédiens...
Je ne sais pas si Sempé a eu son mot à dire mais en tout cas il était ravi du choix. Je ne connaissais pas Benoît [Poelvoorde], mais j'avais une intuition que ça pourrait lui plaire. Il me fallait un acteur archi expressif qui puisse nous communiquer plein de choses, le film n'étant pas très bavard. Il a à la fois cette poésie, cette délicatesse, cet humour. Il m'a répondu très rapidement après lui avoir envoyé le scénario. J'ai découvert que c'était un grand fan de Sempé. Il connaît les dessins absolument par cœur. Quand il a rencontré Sempé, il n'en revenait pas. C'était son maitre.
Benoît Poelvoorde a fait des études de dessin, il voulait être dessinateur. Sur son travail d'acteur, et dans sa vie, il a toujours puisé dans l'humanité des dessins de Sempé. C'est ça qui lui a donné la curiosité de l'autre. A partir de là, je savais qu'on allait faire le film à deux et qu'il me dirait quand on est dans l'esprit et quand on ne l'est pas tout à fait. C'était un immense atout pour moi.
Pour jouer le rôle de Figougne, interprété par Edouard, il y avait ces situations muettes, et à l'écran, je trouve qu'il n'y a rien de plus contagieux que la complicité entre deux acteurs. On le sent tout de suite... Il y a l'oeil qui frise, etc. Je m'étais un petit peu renseigné, et je savais qu'ils étaient très amis dans la vie, ils sont très proches. Il y avait une joie, un plaisir d'être ensemble, et pour raconter la naissance d'une amitié, c'était parfait. On a pris beaucoup de plaisir à tourner les scènes avec eux deux.
Ce qui a été le plus compliqué était toute la préparation du film : où allions-nous tourner ? A quoi allaient ressembler les décors ? On pouvait tout envisager. On pouvait imaginer des décors en papier, sur une scène de théâtre. Le champ des possibles était vraiment très large.
Puis, à un moment donné, en regardant les dessins de Sempé, il m'a frappé que c'était simplement un très bon observateur. Un pont s'est fait entre la poésie et le naturalisme. A ce moment là, il y avait la série de Bruno Dumont, P'tit Quinquin. Même si c'est éloigné, le ton est éloigné, on ne sait jamais trop si on rigole de ou avec, dans Raoul Taburin, c'est absolument bienveillant, tendre, mais j'ai trouvé qu'il y avait un peu la même passerelle entre la fable et le naturalisme.
A partir de ce moment là, nous, visuellement, avec mon chef décorateur, mon chef opérateur, ça nous a vraiment permis d'envisager le film de cette façon, et de se dire qu'on allait s'approcher des sentiments, de ce qui compte au final. De faire participer les gens du village. Choisir des décors naturels. On a repeint quelques façades pour donner ce côté pastel, et apporter des couleurs un peu plus vives sur les costumes, car c'est ce que fait Sempé pour attirer l'attention au centre du dessin, là où se passe l'action.
Quand on travaille sur d'autres scénarios, tout est dans ma tête et j'essaye de dire aux autres ce que j'ai dans ma tête. Là, tout le monde y avait accès. C'est comme si Sempé avait écrit la musique, et moi j'avais juste à être le chef d'orchestre. Il y avait un côté à la fois plus simple et plus risqué.
La bande-annonce de Raoul Taburin :
Propos recueillis en conférence de presse au Festival de Sarlat 2018