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    Des salles de cinéma sont ouvertes en France ! L'exemple Réunionnais qui encourage à une réouverture
    Laetitia Ratane
    Laetitia Ratane
    -Responsable éditoriale des rubriques Télé, Infotainment et Streaming
    Très tôt fascinée par le grand écran et très vite accro au petit, Laetitia grandit aux côtés des héros ciné-séries culte des années 80-90. Elle nourrit son goût des autres au contact des génies du drame psychologique, des pépites du cinéma français et... des journalistes passionnés qu’elle encadre.

    Alors que des expérimentations sont organisées pour les concerts, la situation reste bloquée pour le cinéma. Or, tel un test grandeur nature, des salles sont ouvertes loin des projecteurs de la Métropole. Rencontre avec des exploitants réunionnais.

    Bestimage

    Malgré la situation sanitaire sous haute surveillance et le couvre-feu instauré à 18h dès ce vendredi 5 mars, La Réunion garde ses salles de cinéma ouvertes. Un état de fait envié et remarquable à l'heure où en France métropolitaine, le monde du cinéma appelle massivement à la réouverture des salles, en réponse notamment à la récente décision du Conseil d'Etat d'en maintenir la fermeture.

    Qu'est-ce qui permet cette ouverture en Outre-mer et dans quelles conditions sanitaires? Les spectateurs sont-ils au rendez-vous, la programmation est-elle aisée, les exclusivités sont-elles possibles ? Afin d'en savoir davantage, nous nous sommes entretenus avec la Direction du groupe Ethève, grand exploitant de salles à La Réunion, détenteur du Multiplexe Ciné Cambaie, du Ciné Lacaze à Saint Denis et du Ciné Plaza à Saint-Louis. 

    Nous avons un protocole sanitaire très strict en vigueur et nous le respectons de façon scrupuleuse, comme tout établissement qui reçoit du public, avec en effet de la distanciation dans les salles et dans tous les espaces d'accueil.

    AlloCiné : Fermées en Métropole depuis plus de quatre mois, les salles de cinéma sont ouvertes à La Réunion et dans d'autres départements et territoires d'outre-mer. Quand avez-vous eu cette autorisation et est-elle difficile à maintenir ?

    Oui, à La Réunion les salles sont ouvertes, mais tristement vides, il faut bien l'admettre. Comme toutes les salles françaises, du 16 mars au 22 juin 2020, nos salles ont été totalement fermées. Dès l'autorisation de pouvoir rouvrir le 22 juin, nous avons immédiatement tout mis en place pour pouvoir de nouveau accueillir du public.

    La mise en place du protocole sanitaire s'est faite assez naturellement pour nous puisque nous apportons depuis des décennies une importance capitale à l'entretien des salles et à l'hygiène de tous nos locaux. Nous avons dû cependant énormément communiquer sur ces mesures barrières en salles, tout comme sur notre programmation et notre réouverture pour rassurer notre clientèle et leur donner envie de revenir dans nos salles.

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    Est-ce que les mesures de distanciation et les gestes barrières sont bien respectés ou sentez-vous parfois un relâchement des spectateurs et donc un risque avec le temps?

    Nous avons un protocole sanitaire très strict en vigueur et nous le respectons de façon scrupuleuse, comme tout établissement qui reçoit du public, avec en effet de la distanciation dans les salles et dans tous les espaces d'accueil. Dans nos établissements, nos spectateurs sont habitués à respecter certaines règles déjà (téléphone éteint, pas de pieds sur les fauteuils, etc ...) et s'y conforment facilement. Des rappels concernant ces mesures ont été placés à plusieurs endroits stratégiques dans nos établissements : sur les portes d'accès, les lieux de passage ou d'attente, les écrans dans le hall et en salle et sur tous nos supports de communication.

    Dès qu'il est enfin installé sur son fauteuil en salle et que le film commence, mis à part le masque obligatoire, tout redevient ensuite "comme avant", il ne reste plus que le plaisir du spectacle cinématographique et notre leitmotiv, c'est d'arriver pour quelques heures à faire oublier à tout spectateur, par le biais des images et des émotions, ce mauvais cauchemar que nous vivons tous depuis un an bientôt.

    Que ressentez-vous face aux décisions renouvelées de non-réouverture des salles en France métropolitaine ?

    C'est une véritable catastrophe et pas que pour nos salles de cinéma, pour tous les lieux et espaces culturels de façon globale. Nous estimons que cela est injuste, encore une fois au vu de ce qu'il se passe dans certains autres lieux considérés comme "essentiels". Les règles sanitaires mises en place dans les lieux clos permettent de laisser nos espaces de culture accessibles. C'est vital pour une société d'avoir accès à la culture.

    Notre expérience sur le plan de l'ouverture de nos salles depuis juin et de l'accueil de notre clientèle en post-covid peut tout-à-fait être prise en exemple et nous sommes plus que disposés à en discuter avec les représentants de notre profession ou les autorités s'ils le souhaitent.

    De la même manière que Roselyne Bachelot met en place des expérimentations pour les concerts, votre situation n'est-elle pas de fait une expérimentation concluante qui permettrait de prouver que les salles peuvent rouvrir en Métropole?

    En effet, notre expérience sur le plan de l'ouverture de nos salles depuis juin et de l'accueil de notre clientèle en post-covid peut tout-à-fait être prise en exemple et nous sommes plus que disposés à en discuter avec les représentants de notre profession ou les autorités s'ils le souhaitent. Depuis plusieurs mois, nos salles sont ouvertes et le protocole sanitaire imposé est respecté par chacun sans aucun souci. La seule chose qui nous manque, c'est une offre à la hauteur des attentes de nos spectateurs. L'expérience serait totalement concluante si nous n'avions pas ce manque cruel.

    Quand on voit la situation dans certains centres commerciaux ici ou les aéroports, les avions, les métros ou les trains bondés en Métropole et ailleurs, quand on constate la fragilité du lien établi à force de travail acharné pendant tellement d'années avec nos spectateurs et la vitesse avec laquelle ils semblent avoir perdu tout intérêt pour le spectacle culturel, nous ne pouvons que constater que rien n'a été fait par les autorités pour promouvoir la culture et tenter de freiner cette déperdition.

    Demain, il sera sûrement trop tard, et nous ne pourrons que constater de l'évolution des moeurs et des habitudes de nos spectateurs qui, pendant ces longs mois de confinement et de crise sanitaire, ont découvert -ou ont pris encore plus goût à- l'offre alléchante des plateformes et autres supports, accessibles directement depuis leur salon. Cette crise laissera des traces et marquera à jamais notre activité et notre profession.

    Dans quelle mesure vous sentez-vous encore aujourd'hui menacés ?

    En ce moment, nous vivons une période extrêmement difficile et inhabituelle : les salles étant fermées en Métropole, les distributeurs là-bas sont tous en chômage partiel ou en congés et toutes les sorties de films ont été reportées sans nouvelle date. Nous n'avons donc plus la même offre cinématographique qu'auparavant à proposer à notre clientèle avec un film en sortie nationale et/ou mondiale chaque semaine.

    Nous devons innover et nous ne pouvons proposer que des sorties chaque semaine de films déjà sortis en Métropole depuis plusieurs mois, voire plusieurs années pour certains, des films déjà disponibles parfois en DVD ou sur des plateformes. C'est une situation qui ne s'est jamais produite historiquement pour les exploitants de salles de cinéma et nous souffrons énormément de ne pas être et avoir été plus pris en considération et soutenus par les autorités face à ces difficultés extraordinaires que nous rencontrons dans l'exercice de notre activité.

    Cette situation est vraiment dure à vivre pour nous, moralement mais bien évidemment, aussi économiquement. Nous sommes donc soumis, comme tous et malgré le fait que nos salles ont l'opportunité d'être ouvertes, à l'évolution de la situation sanitaire. Une salle de cinéma sans film ne peut pas survivre très longtemps.

    Depuis début novembre, c'est la descente aux enfers et ce, malgré la sortie de Wonder Woman 1984 qui nous a été autorisée de façon très exceptionnelle et uniquement en VOST

    Le public réunionnais est donc logiquement moins au rendez-vous. Quels sont vos chiffres de fréquentation?

    Nous avons eu globalement les mêmes chiffres qu'en Métropole à la réouverture en juin et jusqu'à la Toussaint, avec 30 à 35% de notre fréquentation habituelle. Les premiers à revenir en salles, c'étaient des clients fidèles, passionnés de cinéma comme nous. Nous étions vraiment heureux de les retrouver et eux aussi. S'en sont suivis plusieurs mois à tenter de proposer des nouveautés, des séances en 3D, à relancer l'activité coûte que coûte.

    Pendant les vacances de la Toussaint, en octobre 2020, nous avons eu la chance de pouvoir vivre 2 semaines d'exploitation avec des chiffres enfin à peu près satisfaisant, malgré une programmation bien moins attractive que l'année précédente à la même période, comme un presque "retour à la normale" qui a été stoppé net par les mesures décidées fin octobre en Métropole. Et depuis début novembre, c'est la descente aux enfers et ce malgré la sortie de Wonder Woman 1984 le 25 décembre car la sortie de ce film nous a été autorisée de façon très exceptionnelle et uniquement en VOSTF, un format malheureusement très peu apprécié de notre public réunionnais.

    En ce moment, début mars 2021, nous sommes à 20-25% du taux de fréquentation habituelle et nous devons fermer nos établissements et annuler toutes nos séances quelques jours en semaine (lundi, mardi et jeudi), mettre de plus en plus de personnel en chômage partiel, bref, réduire le plus possible nos coûts de fonctionnement tout en nous battant pour maintenir le lien avec nos spectateurs.

    Est-ce que lors des vacances, les touristes métropolitains retrouvent grâce à vous le chemin des salles ? 

    Les touristes ne viennent pas ou très peu au cinéma à La Réunion. Cela en a toujours été ainsi.

    Wonder Woman 1984 et Sacrées sorcières privés de sortie dans les salles françaises ?

    Au vu de la situation et de ses contraintes, comment se font vos choix de programmation en ce moment?

    Nous ne faisons pas de choix de programmation comme en Métropole. Pour La Réunion, nous sommes en sous-distribution, un système qui n'existe que dans notre zone Océan Indien, depuis la fin du monopole qui avait mis en place et que nous avons fait tomber. Ce système aujourd'hui en vigueur nous permet d'acquérir les droits pour l'exploitation salles sur un certain nombre de films et nous permet ensuite d'en choisir la date de sortie notamment.

    Cependant, nos choix en termes d'achat de films sont forcément extrêmement restreints en ce moment, étant donné l'indisponibilité des équipes de distributeurs / éditeurs de films en Métropole. Nous les avons sollicités dès le début des annonces de fin octobre pour leur signaler que nos salles restaient ouvertes et nous les relançons très régulièrement. Nous proposons des partenariats innovants pour leur faciliter la tâche vu que, quand ils peuvent travailler, ce n'est que dans des conditions difficiles et limitées. 

    Etant donné que tout a été perturbé, notre activité de sous-distribution l'est forcément aussi et s'exerce aujourd'hui dans des conditions exceptionnelles et dérogatoires : par exemple, quand un film est finalement disponible pour nos salles réunionnaises, l'information nous arrive de façon aléatoire et sans qu'on puisse l'anticiper au préalable, ce qui est impensable en temps normal pour la programmation d'une salle de cinéma ou de façon plus globale, pour une salle de spectacle culturel. Une fois que le film est négocié, il faut alors commander le matériel et la plupart du temps, rien n'est disponible car les stocks sont fermés, les labos aussi. Nous avons donc dû nous adapter et proposer des solutions innovantes à nos interlocuteurs en Métropole qui pour la plupart ont répondu présents et nous ont soutenu tant que possible pour eux durant cette période.

    Nous aurions aimé plus bien sûr, avoir plus de films et d'exclusivité, mais nous avons conscience des enjeux autour de la sortie en VF d'un film et nous avons dû nous résigner à devoir attendre l'ouverture des autres salles françaises pour pouvoir en bénéficier en même temps que tout le monde.

    Nous aurions aimé plus bien sûr, avoir plus de films et d'exclusivité, mais nous avons conscience des enjeux autour de la sortie en VF d'un film et nous avons dû nous résigner à devoir attendre l'ouverture des autres salles françaises pour pouvoir en bénéficier en même temps que tout le monde. Nos plus grandes déceptions depuis mars, c'est de voir ces versions VF que nous aurions pu nous sortir dans nos salles finir sur des plateformes, sans qu'on puisse rien y faire, ni s'y opposer, ni bénéficier ne serait-ce que d'une semaine ou d'une soirée d'exploitation. C'est vraiment dur à vivre et à accepter.

    Comment négociez-vous avec les distributeurs pour qu'ils vous donnent des films inédits sur l'Hexagone ? Ils le font d'eux-mêmes ou faut-il argumenter ? 

    Nous n'avons eu que très peu d'exclusivités depuis fin octobre. Elles sont toutes dues aux excellentes relations que nous avons su mettre en place depuis tant d'années de collaboration avec les distributeurs. KMBO nous a autorisé à sortir Petites danseuses et Le Mystère de Noël, ce dernier ne pourra malheureusement peut-être jamais sortir en salles en Métropole. Nous avons pu aussi maintenir la programmation de Opération Panda qui était en cours de négociation et d'obtention de visa avant les annonces de nouveau confinement de fin octobre et CGR nous a permis de le diffuser de façon exceptionnelle malgré la fermeture des salles en Métropole.

    Enfin, la sortie de Wonder woman 1984 en VOSTF était inespérée et même si cette sortie n'a pas été à la hauteur de nos attentes respectives, nous remercions la Warner de nous avoir permis d'offrir ce film à nos spectateurs réunionnais, même qu'en VOSTF, tout comme pour Tenet qui est resté à l'affiche plus de 25 semaines, ce qui est du jamais vu. Nous devons aussi remercier les distributeurs qui nous ont permis de conserver un maximum de films à l'affiche de nos salles, qui nous ont autorisés à organiser des ressorties ou avec qui nous avons pu négocier la sortie de films qui n'étaient jamais sortis à la Réunion. Chacun à leur tour, ils ont pris le temps de nous répondre et de trouver une solution pour nous permettre d'avoir des nouveautés, aussi petites soient-elles à proposer à nos spectateurs et d'ainsi pouvoir maintenir le lien. 

    Wonder Woman 1984
    Wonder Woman 1984
    Sortie : 30 mars 2021 | 2h 31min
    De Patty Jenkins
    Avec Gal Gadot, Chris Pine, Kristen Wiig
    Presse
    2,1
    Spectateurs
    2,1
    Voir sur Netflix

    A propos de Wonder Woman 1984 justement,  des rumeurs circulent sur une possible sortie directement en VOD et DVD/Blu-ray. Que pensez-vous de cette stratégie ?

    Nous avons entendu aussi parler de cette rumeur, mais à l'heure actuelle, nous n'avons aucune annonce officielle de nos interlocuteurs à ce sujet. Notre société de sous-distribution, Mauréfilms, est en charge de la distribution de ce film pour la Réunion et la zone Océan Indien, donc nous serons informés dès qu'une décision officielle sera prise. Pour nous, ce film doit absolument sortir en salle, en VF et comme en VOSTF.

    C'est nécessaire et vital pour notre activité et notre profession que ce type de film continue à sortir en priorité en salles, que nous gardions notre priorité de sorties par rapport aux autres supports de diffusion et ce malgré le fait qu'il puisse être déjà disponible en mauvaise qualité sur des sites de streaming. Forcément, c'est une donnée à prendre en compte et non négligeable, mais cette situation a toujours existé, bien avant le COVID.

    Donc, si nous devions prendre position sur le sujet, nous serions sans aucun doute militant pour une sortie salles plutôt que DVD. Maintenant, nous ne sommes pas décisionnaires, même pour nos territoires, nous restons dépendants et tributaires des décisions des studios sur ce type de sujet et nous respecterons leurs choix faits en considération d'éléments et d'enjeux qui leur sont propres.

    Avez vous d'autres inédits en attente? Sur les inédits US, est ce de la VOST ou est ce que les versions françaises sont disponibles?

    Nous avons quelques films encore en négociation mais aucun inédit, non. Aucune version française d'un film inédit US ou de tout autre territoire n'est disponible avant l'ouverture des salles en Métropole.

    Vous êtes donc exploitant de salles à La Réunion et également distributeur pour l'Océan Indien. Pourriez-vous nous raconter en quelques mots votre histoire ?

    Notre groupe est avant tout une formidable aventure familiale depuis plusieurs générations. Notre grand-père Lié Ethève l'a initiée bien avant l'ère du numérique, en ouvrant tout d'abord une, puis deux salles de cinéma, uniquement des mono-écrans. Notre père Yves Ethève a débuté à ses côtés, puis a repris seul le flambeau en ouvrant le premier Multiplexe de l'île de La Réunion et en cassant le monopole en place pour créer notre propre société de distribution de films pour La Réunion et la zone Océan Indien.

    L'aventure continue avec lui aujourd'hui, il tient encore les rênes et nous, ses enfants, tenterons un jour de prolonger leurs idées novatrices en termes d'exploitation et de distribution cinématographique. Mais les bases sont identiques quelque soit la génération : la passion du septième art, l'amour des films et la magie des salles.

    Propos recueillis auprès de la Direction du groupe Ethève par Laetitia Ratane le 05/03/2020.

    Re-découvrez la bande-annonce de "Wonder Woman 1984"

     

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