Lancée lundi dernier sur TF1 devant un peu plus de 5 millions de téléspectateurs en moyenne, Je te promets n'est autre que le remake français de la série phénomène This Is Us, dont la cinquième saison est en cours de diffusion aux États-Unis sur NBC. Une série touchante qui oscille entre drame et humour, et raconte le quotidien de Paul et de Florence Gallo, ainsi que de leurs triplés nés le 10 mai 1981, sur plusieurs décennies, dans un contexte bien français. En balayant au passage, en toile de fond, les 40 dernières années de l'Histoire de notre pays.
Alors que la Une diffuse ce soir deux nouveaux épisodes de sa nouvelle série événement, portée notamment par Hugo Becker, Camille Lou, Marilou Berry, Guillaume Labbé, et Narcisse Mame, la productrice Aline Panel, à qui l'on doit également Sam, est revenue pour nous sur la genèse de cette adaptation - qu'elle décrit comme un projet qui la touche personnellement - et sur les différents changements opérés à l'écriture.
AlloCiné : Adapter This Is Us en France est un vrai pari. Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans ce projet ?
Aline Panel (productrice) : This Is Us est entrée dans ma vie à un moment très douloureux sur le plan familial et s’est révélée vitale. Elle m’a vraiment consolée à ce moment-là. Et ça faisait très longtemps que j’avais envie de faire une série sur la famille. Qui parle aussi de mon histoire parce que je trouve que ce n’est jamais plus réussi que quand c’est personnel. Et, pour tous vous dire, ma famille est peu commune, car j’ai neuf frères et sœurs. Et nous avons, nous aussi, été très éprouvés car nous avons perdu notre mère quand nous étions tous très jeunes. Et notre père pas longtemps après. Donc on peut dire que je connais cette histoire de fratrie qui se consolide très fort sur un drame. C’est ce que je voulais raconter. Et un beau jour je suis tombée par hasard sur This Is Us, qui a été un vrai choc émotionnel. Et je me suis dit qu’il fallait que je l’adapte. Mais il n’y avait aucun opportunisme là-dedans car je ne savais pas que c’était la série numéro 1 aux États-Unis. Donc jamais je ne me suis dit "Je vais essayer d’avoir les droits de la série la plus dure à avoir" (rires). Et d’ailleurs, heureusement que je ne me suis pas dit cela, car finalement j’y suis allée.
Est-ce que ça a été compliqué de convaincre la Fox de vous vendre les droits d’adaptation ?
En fait, j’ai eu un entretien très sympa avec des gens de la Fox [qui produit et distribue la série diffusée sur NBC aux États-Unis, ndlr] qui, je pense, ont rapidement vu que je comprenais très bien cette série et que j’avais une vision précise de l’adaptation potentielle. Mais ça n’a servi à rien car ils m’ont expliqué que les droits d’adaptation n’étaient pas à vendre (rires). This Is Us était encore trop récente. Il fallait qu’elle suive son cycle normal d’exploitation à l’étranger dans sa version d’origine avant qu’elle puisse être adaptée. Mais ils m’ont finalement rappelée un an après, au moment où les séries américaines et étrangères commençaient à marcher moins bien lorsqu’elles étaient exportées, puisque c’est le moment où les séries locales ont peu à peu explosé partout dans le monde. Donc pour la première fois ils ont envisagé de raccourcir ce délai et de passer plus vite à l’exploitation sous forme d’adaptation. Une adaptation était d’ailleurs déjà en cours en Turquie à ce moment-là.
Ils m’ont donc gentiment intégrée dans un appel d’offres où j’étais en concurrence avec quatre autres groupes. Je pensais que j’allais me faire manger tout cru, que les autres allaient sortir leurs carnets de chèques et prendre plein de formats pour avoir celui-ci – ce que je ne pouvais pas faire avec ma petite structure – et en fait c’est chouette parce qu’ils m’ont choisie. Ils m’ont dit qu’ils pensaient qu’avec moi ça se ferait. Parce que je suis à la fois la patronne qui va faire la démarche business et commerciale d’obtenir les droits et de proposer la série à une chaîne. Mais entre les deux c’est également moi qui fais tout. C’est moi qui produis, car à la base je suis productrice artistique, et c’est pour produire que j’ai monté ma boîte. C’est moi qui ai choisi les scénaristes, les réalisateurs. Qui ai travaillé avec eux sur chaque détail, chaque choix de musique, chaque décision sur les lumières, sur les manières de traiter les époques. Donc ils se disaient que ça avait plus de chance de voir le jour avec quelqu’un qui avait vraiment envie de le faire.
Je te promets est une adaptation qui prend certaines libertés avec l’original, tout en restant globalement fidèle. Aviez-vous un cahier des charges précis à suivre concernant ce que vous pouviez, ou non, modifier ?
Oui, les Américains ne sont pas du tout comme les Danois sur Sam (rires). Tout est très strict, tout est prévu. Mais finalement ça a été une formalité. Ils m’ont choisi sur la base d’un projet que j’ai écrit, donc tout était déjà là. Dès le départ, ils savaient ce que je projetais de faire. Et si je finissais par changer une ou deux choses par rapport à ce qui était prévu, je leur en parlais. Mais, évidemment, j’étais censée leur faire valider chaque étape de texte, de casting, de préparation, de montage, et je l’ai fait. Et ils ont tout validé sans faire aucune remarque.
Quels ont été les principaux axes d’adaptation sur cette première saison ?
On a gardé le principe de base, à savoir l’histoire de cette fratrie particulière. Mais rapidement on en est arrivé à la conclusion que certaines choses plutôt évidentes devaient être modifiées, au niveau social, politique et géographique, pour coller à la France. Sur le plan socioprofessionnel, il y a des métiers qui ne marchaient plus. Notamment acteur de soap à Hollywood, ça n’existe pas en France. On a choisi le foot car pour moi c’est une institution très française, vecteur d’intégration. C’est très important car, derrière, le propos de cette série c’est l’intégration. Et le premier lieu d’intégration c’est la famille. Trouver sa place dans la famille, se sentir aimé, à égalité avec ses frères et sœurs. C’est universel et c’est de ça que parle Je te promets. Mais derrière il y a aussi l’intégration au niveau sociétal, avec la différence quand on est obèse, quand on est noir, quand on veut absolument être reconnu, qu’on veut être le plus brillant, le plus aimé. Il y a aussi un autre métier qui fonctionnait un peu moins, c’est celui du père. Dans This Is Us, on ne sait pas trop ce que fait Jack dans la vie. Je voulais donc ancrer le métier du père dans quelque chose de très français, et c’est pourquoi Paul travaille dans la construction de bateaux sur la côte Atlantique. Ce qui nous permet aussi de raconter l’histoire de notre industrie, notre désindustrialisation, notre perte de savoir-faire, la mondialisation, la crise. Paul va devoir faire face à tout ça.
Sur le plan sociétal, il y a aussi la manière dont on a abordé le racisme. Parce que dans Je te promets, Mathis est noir, comme Randall, mais il est issu de l’immigration africaine post-coloniale, ce qui n’est pas du tout la même histoire que celle des Américains avec leur communauté afro-américaine issue de l’esclavage. C’est notre histoire, c’est très différent de This Is Us. Et cela me permet de faire le lien avec le deuxième axe d’adaptation qui est l’Histoire. Je voulais profiter de Je te promets pour revenir sur les 40 dernières années de la France, et TF1 cherchait justement depuis longtemps un projet comme celui-ci. On a donc eu l’idée de faire naître les enfants de Paul et de Florence le 10 mai 1981, au moment de l’élection de François Mitterrand, avec l’arrivée des socialistes au pouvoir et les promesses d’un monde meilleur. C’est un contexte bien sûr, c’est émaillé dans la série. Je ne peux pas dire qu’on traite réellement de tout ça. Mais je suis quand même assez contente d’avoir réussi à insuffler dans le contexte des images d’archive, des références, comme celle aux Restos du coeur. Ce sont des choses qui ont marqué beaucoup de monde et je pense que ça devrait plaire aux téléspectateurs.
Ensuite, c’était important pour nous qu’on tourne Je te promets en décors naturels. Et non pas en studio, comme This Is Us, car si on avait fait pareil, on n’aurait pas assez marqué la différence. Je me suis dit qu’on allait partir sur des décors naturels et vraiment montrer la France. J’ai eu envie de situer le passé sur la côte atlantique, pour plein de raisons. L'océan offrait de magnifiques paysages et ça embellissait la série. Et puis j’en avais un peu marre de la mer Méditerranée, qu’on voit déjà dans toutes les séries françaises (rires). L’Atlantique, ça fait moins vacances. Et puis ça donne de très belles images. L’océan qui se retire, la lumière à l’ouest, ça donne une esthétique particulière, très nostalgique. C’était pas mal pour aborder le passé. Et le présent se déroule à Paris parce que c’est la grande ville française par excellence. Ça reste l’endroit où on monte faire ses études. On ne peut pas être trader ailleurs. Et je trouvais intéressant de photographier la réalité française qui est que beaucoup de choses restent encore polarisées sur Paris. Contrairement à la série américaine où les personnages sont répartis dans plusieurs grandes villes.
Enfin, le dernier axe d’adaptation principal c’était la musique. Elle est très française. Le score est très français, c’est du piano, très mélodique, c’est très différent de la version américaine qui est très épurée, plutôt sur des tonalités de folk. On l’a fait à la française, très émotionnel. Et ensuite il y a tous les titres français que l’on entend au fil des épisodes, d’Alain Souchon à Jean-Jacques Goldman, en passant par Renaud, Francis Cabrel, ou Johnny Hallyday bien sûr, avec "Je te promets" qui donne son titre à la série. La présence de ces chansons c’était notre idée dès le scénario, pour qu’il y ait des scènes muettes durant lesquelles on puisse avoir le plaisir d’écouter ces chansons qui nous rappellent forcément des souvenirs. Et je peux d'ailleurs vous annoncer en exclusivité que deux bandes-originales de Je te promets devraient bientôt sortir : l'une comprenant le score [la musique instrumentale ou orchestrale, ndlr], et l'autre qui compilera tous ces tubes phares de la chanson française.
Une version longue de la reprise de "Je te promets" chantée par Camille Lou dans la série existe-t-elle ? Est-il prévu qu'elle soit présente dans la bande-originale justement ?
Non, mais c’est faisable (rires). Peut-être en saison 2. Là, sur la première saison, nous n’avons pas eu le temps. Donc vous aurez "Je te promets" de Johnny sur la bande-originale.
Les séries françaises proposant une bande-son constituée de chansons connues sont très rares. Avez-vous eu du mal à obtenir les droits de tous ces tubes ?
Pas vraiment, parce qu'on a été bien aidé par TF1 au niveau technique. Mais c’est surtout qu’on met l’argent, il n'y a pas de secret. Et sur Sam c’est pareil. Il suffit de mettre l’argent, tout simplement. Souvent la musique arrive à la fin et les gens disent qu’ils n’ont plus d’argent. Mais il faut le prévoir en amont. Moi je préfère serrer les boulons sur d’autres trucs avant et avoir une bonne enveloppe à la fin pour la musique. Je trouve ça très gratifiant et très important.
Je te promets est plus drôle que This Is Us, c'est assez flagrant. Apporter plus d’humour à travers Maud et Tanguy notamment, c’était une vraie volonté de votre part ?
Oui, c’était une volonté, mais ça nous a un peu dépassé (rires). C’est évidemment lié aux dialogues et à tout le travail qui a été fait sur cet axe d’adaptation-là. On a réécrit, on n’a pas fait de traduction. Pour que ce soit dit par des Français, avec notre culture, notre psychologie, notre façon de parler. Qui n’est pas du tout américaine. On n’est pas là à s’extasier de tout, tout le temps. On est un peu plus ironique, on peut mettre un peu d’humour, même quand c’est dramatique. On l’a écrit comme ça, en sachant qu’il y avait un peu plus d’humour, mais ce n’était pas vraiment une volonté totalement assumée et théorisée. Et on a vu ensuite sur le tournage et au montage qu’on rigolait beaucoup. Et maintenant qu’on a fait cette première saison, on intègre un peu plus cette dimension comique aux textes de la saison 2.
Le casting de la série n’a pas dû être simple. Aviez-vous des noms en tête dès le départ ? Y a-t-il eu des évidences ?
Non, Je te promets a été conçue au départ en low-cost. Car pour moi il n’était pas négociable qu’il y ait moins de 12 épisodes. C’était vraiment une raison artistique, je ne voyais pas comment passer d’une série de 18 épisodes à 6. À moins d’être ridicule. Car c’est une série qui parle de psychologie, du temps qui passe. Donc si on réduit tout sur 6 épisodes, on perd le concept, de mon point de vue. D’ailleurs TF1 l’a très bien compris. Mais du coup, faire 12 épisodes, c’était un risque financier énorme, donc il fallait que ce soit moins cher. J’avais donc prévu au départ uniquement des inconnus. Je n’avais pas d’idées en tête, j’attendais de faire des découvertes. Et finalement on a un peu changé la donne, on a fait un mélange d’acteurs connus et d’acteurs moins connus. Mais l’important n’était pas d’avoir des stars de folie. C’était d’avoir un casting de qualité, et c’est le cas. Ça a été long, car une de mes conditions auprès de TF1 c’était de faire un casting où on faisait vraiment des essais, où on testait les gens ensemble, on les présentait ensemble, comme une famille. Il fallait que les comédiens aillent ensemble. Au-delà du physique. Dans leur façon de travailler. Et, au final, c’est une famille, car il y a une super ambiance, ils ont tous envie de continuer. On a réussi ça.
On retrouve au casting Natacha Lindinger, qui est également depuis maintenant quatre saisons la star de Sam, l'autre série que vous produisez. La fidélité dans ce métier, c'est important pour vous ?
Oui, la fidélité est quelque chose de très important pour moi. La fidélité et la famille, ce qui fait un autre lien avec Je te promets. J’aime l’idée qu’on se constitue parfois une famille dans ce métier. Et c’est donc moi qui ai évidemment proposé Natacha à TF1 pour le personnage d'Olivia. C'est également elle qui faisait la voix-off du documentaire que j'ai produit et qui a été diffusé à la rentrée dernière, L'ascension et la chute de Carlos Ghosn. J'aime bien impliquer Natacha dans tout ce que je fais. Un peu comme avec Mathilde Seigner, qui après la première saison de Sam a tenu le premier rôle du Temps est assassin, et avec qui j'ai d'autres projets.
Vous évoquiez une saison 2 de Je te promets. Est-elle déjà commandée par TF1 ?
Non, mais l'écriture de la saison 2 est quasiment terminée. On repartirait à nouveau sur 12 épisodes. Et la production sera définitivement actée lorsque les audiences de la saison 1 seront jugées satisfaisantes par TF1.