Après leur coup d'essai avec Les Gamins, ils avaient remonté le temps pour nous raconter La Véritable histoire de Robin des Bois avant de revenir au présent. Plus ou moins. Car dans Play, Anthony Marciano et Max Boublil retracent la vie d'un homme et jettent un regard sur toute une génération. En found footage, avec de l'humour, des souvenirs et anecdotes et un peu d'amour.
AlloCiné : Est-ce que "Play" ne serai finalement pas la première comédie romantique en found footage ?
Anthony Marciano : Peut-être. Nous on a cherché, en l'écrivant, un film qui ressemblait à ce que l'on cherchait, pour s'en inspirer. Mais on en a pas trouvé. Après, est-ce qu'il ne s'agit que d'une comédie romantique, je ne sais pas. Mais c'est un film chronique en found footage. Avec de la comédie romantique dedans, car c'est l'histoire d'une vie, et d'une histoire d'amour dans une vie.
C'est là que réside le cœur de l'histoire, la raison d'être de ces vidéos.
Anthony Marciano : Oui, c'est une histoire d'amour mais aussi une façon de faire le point. Un peu sur tout. Les histoires de famille, de potes et évidemment d'amour, parce qu'à 40 ans on se demande si on est passé à côté de plein de choses. Et notamment de l'amour de sa vie.
Est-ce que c'est une remise en question, une volonté de faire le point qui sont à l'origine de ce projet que l'on sent personnel ?
Anthony Marciano : C'est évidemment très personnel mais pas tant l'idée de faire le point que le kif de revivre des moments que nous avions envie de revivre. Nos 13 ans, nos 18 ans, les "Action ou Vérité", le passage à l'an 2000, la finale de France 98… On voulait vraiment les revivre, donc on a cherché à fabriquer une machine à remonter le temps, et on a pas réussi. On y était presque pourtant (rires) Donc on a fait ce film.
Comme si on regardait un reportage sur la vie de quelqu'un qui grandit.
Et le personnage de Max est un mélange de vous deux.
Max Boublil : Oui complètement. Des scènes viennent de moi, d'autres de lui.
Anthony Marciano : On est partis sur des anecdotes persos.
Max Boublil : L'accident le premier jour de permis, par exemple, c'est quelque chose qui m'est arrivé. Un mec m'a agressé pour mon premier jour de permis, et c'est ça qui m'a donné l'idée de la scène de l'accident dans le film. Le "Sucez-moi", c'est un truc que je faisais avec mes potes. Des trucs intelligents (rires) On a pris plein de trucs de nos vies, et j'ai l'impression que le mec qui court après une fille pendant tout un film, ça représente ta vie. Peut-être un message que tu voulais faire passer aussi.
Anthony Marciano : Monique, si tu nous entends. Si tu nous lis.
Max Boublil : Si tu es toujours en vie (rires)
Anthony Marciano : C'est un film très autobiographique et, en même temps, j'ai l'impression que l'on parle des vies de tout le monde. Les gens viennent nous voir après les projections et nous disent qu'ils ont l'impression d'avoir vu tous les événements de leur vie : "Moi aussi j'ai acheté du shit et on m'a vendu un bout de bois", "Moi aussi je suis parti en vacances à Barcelone avec des potes", "Moi aussi mon père avait un Mercedes"… Non ça c'est pas dans le film (rires)
Max Boublil : Je trouvais ça bizarre aussi. Parce que moi mon père il avait une Mercedes (ils éclatent de rire)
Mais c'est ce qui fonctionne dans "Play" : ce sentiment de voir de vrais ados, et pas des ados de cinéma qui seraient des loosers complets ou réussiraient tout.
Anthony Marciano : On a pas cherché à faire un film-concept, ni à écrire une histoire avec des gros retournements et des personnages ultra-ciselés. On voulait un film à hauteur d'homme. Montrer la vie de tout le monde.
Max Boublil : Tu le mettrais à quelle hauteur un homme ? 1m80 ?
Anthony Marciano : Moi ce serait 1m70 (rires) On l'a mise à 1m70. Ou 1m75, entre deux. Et on voulait surtout être sincères. On a pas écrit des fausses histoires mais nos histoires et celles de tout le monde.
Entre les histoires qui ont nourri le film et les différents marqueurs temporels que l'on retrouve, a-t-il été compliqué de trouver l'équilibre entre des anecdotes, des moments d'Histoire mais pas trop non plus ?
Anthony Marciano : On ne voulait ni faire catalogue d'événements, ni parler uniquement de nous. Car ça n'intéresse personne. On a cherché à faire grandir un personnage à travers les époques en partant, certes, d'anecdotes, mais sans faire un listing d'événements. Tout a été construit autour des personnages.
Max Boublil : Le truc difficile dans l'écriture, c'était ce concept du mec qui filme sa vie. C'est moins le cas maintenant mais, à l'époque, il fallait une bonne raison pour filmer quelque chose : deux personnes qui dialoguent, tu ne peux pas les filmer. Donc c'était dur de trouver, à chaque fois, un prétexte pour à la fois sortir la caméra et faire avancer l'histoire. Tu ne peux pas juste aligner des scènes de comédie et construire un arc narratif classique. Il fallait que l'on détermine pourquoi il filme.
Anthony Marciano : Le film parle de quelqu'un qui a 40 ans et qui a fait un montage des rushes de toute sa vie, donc on a essayé de se mettre dans sa tête et de se demander : qu'est-ce qu'il avait dans sa tête ? Comment on été créés ces rushes ? Et qu'est-ce qu'il a sélectionné dans ces rushes ? Donc on a dû écrire en deux étapes. On a d'abord écrit le contenu des rushes, puis le montage de ces rushes. Leur enchaînement pour que l'on comprenne sa vie à travers. C'est une autre façon d'écrire un film, mais c'était tellement personnel qu'on a pas galéré.
Alors que c'est souvent le problème des films en found footage, dont on finit par sortir lorsque l'on se demande pourquoi les personnages filment telle ou telle chose.
Max Boublil : Ils ne se sont pas autant fait chier que nous, ouais. Même dans des bons films : dans The Visit de M. Night Shyamalan, il y a des plans des deux héros qui font un FaceTime avec leur mère avec la caméra derrière eux, et tu te dis que personne ne fait ça.
Anthony Marciano : Ou Chronicle qui suit le truc à la règle, et tout à coup on change de caméra. Et tu te dis pourquoi faire ça ? Pourquoi sortir de la grammaire comme ça ? C'est pour ça qu'on s'est pris la tête et qu'on ne s'est rien autorisé.
Max Boublil : Alors que moi je lui disais qu'on s'en fout, les gens ne s'en rendront pas compte (rires)
Anthony Marciano : A partir du moment où tu te poses des questions sur les images, c'est mort. Surtout qu'on a un truc en plus : il ne faut pas que l'on pense que c'est un film. Quand on regarde Play, c'est comme si on regardait un reportage sur la vie de quelqu'un qui grandit. Et à partir du moment où tu sens que tu es dans un film, ça te sort du récit, donc il ne fallait absolument pas que ce soit le cas.
Et il doit y avoir quelque chose de schizophrène pour un réalisateur, quand on met en scène tout en donnant le sentiment que ça n'est pas mis en scène.
Anthony Marciano : Le plus gros pari c'était que les ficelles ne se voient pas. Et de créer de faux-vrais moments de vie, ce qui impacte la manière de jouer : il fallait qu'ils parlent les uns sur les autres, que ça vive comme une scène de vie, que le caméraman soit en retard sur celui qui parle car il ne peut pas savoir à l'avance qui va prendre la parole, que les sons se chevauchent, que les personnages regardent la caméra, qu'il y ait des ratés, du flou par moments… Que tout vive comme dans des vrais rushes. Au montage son c'était pareil, je faisais par exemple passer un bus derrière pour que l'on n'entende pas l'un des mots car c'est ce que l'on trouverait. Il y avait beaucoup de paramètres pour que l'on ne voit pas les ficelles.
Cela veut dire que tout était très écrit et précis, ou beaucoup plus ouvert à l'improvisation ?
Anthony Marciano : C'était évidemment ouvert à l'improvisation car c'est comme cela qu'on obtient de la vie. Mais on a vachement répété pour déterminer les créneaux de parole ou le moment auquel le caméraman doit faire tel ou tel mouvement. Et, comme il s'agit de plans-séquences, il faut que ce soit au minimum orchestré pour garder un rythme, sinon il y a des ventres mous que l'on ne peut pas tuer au montage. Donc c'était très écrit.
A partir du moment où tu te poses des questions sur les images, c'est mort
Le fait d'être le personnage principal de cette histoire tout en donnant le sentiment d'en être le caméraman a dû changer pas mal de choses au niveau de la physicalité du jeu, Max.
Max Boublil : Ça n'est effectivement pas moi qui filme, donc c'est bizarre car il faut regarder en face, regarder la caméra quand tu t'adresses à un personnage. Et ça a demandé pas mal d'écritures et de répétitions pour arriver à maîtriser cela.
Anthony Marciano : Et il était souvent derrière la caméra, ce qui était très frustrant pour lui, et il devait donner la réplique aux autres comédiens comme s'il filmait vraiment la scène. Il a évidemment beaucoup fait la gueule en venant sur le tournage pour être derrière la caméra (rires)
Max Boublil : Moi tu sais, c'est l'intérêt du film et des autres avant tout. Il n'y a rien qui me rend plus content que de voir un autre acteur en lumière (rires)
Anthony Marciano : Et il voyait passer des gens qui lui ressemblaient, mais en plus jeunes. Donc c'était double-peine. On tournait par décor donc il pouvait y avoir plusieurs versions du personnage le même jour.
Est-ce qu'il y a eu un travail particulier avec les acteurs qui jouent le rôle de Max à d'autres âges, en amont du tournage ou après ? J'ai par exemple eu le sentiment que c'est votre voix que l'on entend quand le personnage est ado.
Max Boublil : Eh bien non ! Tout le monde nous dit ça mais c'est sa voix.
Dans ce cas il imite très bien.
Max Boublil : Même pas, il parle comme ça. Il n'a fait aucun effort. Et en l'écoutant, je n'ai pas trouvé que nous avions la même voix.
Anthony Marciano : Ça n'est pas du tout la même en vrai.
Max Boublil : Mais pour les gens c'est ma voix, et il n'y a pas eu de travail particulier. Il a un peu cherché à m'imiter mais tu as pris un gars qui le fait naturellement.
Anthony Marciano : Il parle comme lui. Exactement comme lui alors qu'il ne lui ressemble pas du tout puisqu'il est blond aux yeux bleus. Ça n'a donc rien à voir si ce n'est qu'il a le même regard et le même écart entre les yeux, chose qui est très importante. Le reste on peut le maquiller et le déguiser, mais le regard et la façon de parler c'est très difficile à manier.
Le fait de couvrir plusieurs années a-t-il aussi permis de jouer avec différents formats d'image ?
Anthony Marciano : Bien sûr. Ça a été une très grosse recherche car on voulait que ce soit hyper agréable pour le spectateur, et digeste dans une salle de cinéma de voir une caméra bouger avec une qualité de caméscope. On a essayé avec des caméscopes au début et c'était indigeste. Très flou, ça bougeait trop.
Max Boublil : Il n'y avait pas de qualité, pas de définition.
Anthony Marciano : Les lumières explosaient les yeux. Donc on a cherché à recréer ça, pour avoir exactement la même sensation et que les gens puissent retrouver l'effet d'une image de caméscope sans pour autant que ce soit désagréable à regarder.
Quand on lit que "Play" se présente comme un portrait d'une génération, on a peur qu'il multiplie les références…
Max Boublil : Ouais, t'avais peur du catalogue toi.
Voilà, et il y en a finalement très peu, si bien que le film se révèle être à l'opposé d'une série comme "Stranger Things" sur ce plan.
Anthony Marciano : Il y a évidemment des références, car on joue avec ça. Mais on en avait peur. Dès le début, on craignait de faire un listing juste pour dire que nous avions fait un film d'époque. Notre but était de voir quelqu'un grandir et ses histoires dans la vie, pas de faire une peinture de chaque année qui est passée.
Est-ce que vous en avez coupé pour éviter ce côté catalogue ?
Anthony Marciano : Non et je trouve même qu'on en a un peu trop, sur des enchaînements de séquences. C'est quelque chose que je n'avais pas remarqué avant de voir le montage final, mais en enlevant des scènes, il y a des références qui se collent les unes aux autres, et je suis un peu déçu de ça car j'ai peur de l'effet catalogue. Mais on voulait rappeler aux gens des choses qu'ils n'ont pas vues depuis longtemps, qu'il s'agisse de la grosse montre Swatch accrochée sur le mur ou le parfum Fahrenheit, car on avait toujours un pote qui en mettait avant de partir en soirée et on ne sentait que ça. Montrer des choses dont on ne se rappelle plus. Comme les chansons : de Jamiroquai, des titres de Lenny Kravitz que l'on n'écoute plus aujourd'hui… Les faire réécouter pour appuyer sur des boutons chez les gens et les ramener à quelque chose qu'ils avaient vécu.
Max Boublil : Moi si j'avais réalisé le film je pense que j'aurais mis plus de références (rires)
Quel est pour vous le film le plus emblématique de la génération au cœur du film ?
Max Boublil : Je trouve que le film générationnel qui est le plus proche du nôtre, c'est L'Auberge espagnole.
D'où le passage avec les vacances à Barcelone en 2002, année de sortie du film ?
Max Boublil : Oui, parce qu'on est partis en vacances à Barcelone à cause de ça !
Anthony Marciano : Moi quand j'ai vu L'Auberge espagnole, j'ai dit à mes parents qu'il fallait que j'arrête tout ce que je faisais et que je parte faire Erasmus. Je n'étais pas bien même, j'étais chamboulé, et je me demandais comment j'allais vivre ma vie sans faire ce qu'il avait fait. C'est ce genre de film que j'aime et qui me marque à vie, car ça m'a retourné la tête.
Max Boublil : On pense aussi au Péril jeune, qu'on a vu jeunes alors que ça parlait aussi d'une autre époque. Et c'était étonnant que l'on s'identifie à des personnages des années 70.
Anthony Marciano : Même Il était une fois en Amérique.
Max Boublil : Ah pour le coup c'était vraiment pas notre histoire (rires)
Anthony Marciano : Oui mais c'était une autre époque, et pourtant tu t'attaches à eux comme si tu grandissais avec eux. Une fois qu'on te plonge dans une histoire, quel que soit la tienne, tu vas t'identifier parce que ce sont des valeurs humaines et des potes. Mais je sens que j'ai perdu Max sur Il était une fois en Amérique. Il n'a pas compris mon idée (rires)
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 16 décembre 2019