L'histoire de ce Sherlock Holmes débute, non pas avec Sir Arthur Conan Doyle mais… un comic book. Celui écrit par Lionel Wigram, qui entreprenait un dépoussiérage du héros né en 1887. Si cela ne vous dit rien, c'est normal : le résultat n'a jamais été publié. Mais il a tapé dans l'œil des producteurs de la Warner qui en achètent les droits en mars 2007. Parmi eux se trouvent notamment Joel Silver, l'homme derrière L'Arme fatale ou Matrix, ainsi que Susan Downey, qui n'est autre que l'épouse de Robert Downey Jr. A l'époque, l'acteur n'est pas encore la superstar et le fer de lance du Marvel Cinematic Universe, et son choix pour incarner Tony Stark dans Iron Man relève davantage de la nouvelle seconde chance pour celui qui a trop souvent laissé ses propres démons se mettre en travers de sa carrière.
Les producteurs pensent néanmoins à lui pour le rôle du détective consultant, dans ce film d'abord confié à Neil Marshall (The Descent) puis Guy Ritchie. Après des débuts tonitrutants grâce à Arnaques, crimes et botanique puis Snatch, ce dernier est au creux de la vague suite aux échecs du bien-nommé A la dérive (avec Madonna, sa compagne de l'époque) et du nébuleux Revolver. Alors qu'il s'apprête à relever la tête avec l'énergique RockNRolla, le cinéaste britannique accepte de sortir de sa zone de confort et de laisser de côté les gangsters pour remonter le temps avec ce Sherlock Holmes, dont il devient officiellement le réalisateur en juin 2008. Un mois plus tard, c'est un Robert Downey Jr. en pleine lumière depuis la sortie d'Iron Man qui le rejoint pour de bon (et sans trop de surprise), suivi par Jude Law. Si Russell Crowe et Colin Farrell ont été pressentis, c'est bien lui qui décroche le rôle du Docteur Watson en septembre.
Rachel McAdams, Eddie Marsan et Kelly Reilly rejoignent le duo, et le charismatique Mark Strong retrouve son réalisateur de Revolver et RockNRolla pour incarner le méchant Lord Blackwood. Et si la Columbia tente de contre-attaquer avec un projet de comédie policière portée par Sacha Baron Cohen et Will Ferrell devant la caméra de Judd Apatow (qui verra le jour dix années plus tard sous le titre Holmes & Watson), c'est bien Guy Ritchie qui dégaîne le premier avec un tournage qui débute le 3 octobre 2008 à la cathédrale Saint-Paul de Londres. Étalées entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, les prises de vues durent trois mois et se déroulent sans encombre, si l'on excepte ce coup porté par Robert Maillet du haut de ses 2m16 et qui a mis Robert Downey Jr. K.O. pendant une scène de combat. Ou cette rumeur lancée par le tabloïd The Sun (et aussitôt démentie), selon laquelle la production aurait demandé au réalisateur de revoir sa copie.
Dynamiques, pleines de mystère et sombres, malgré quelques petites pointes d'humour, les premières images dévoilées en mai 2009 font bonne impression et donnent le ton. Sherlock Holmes y apparaît mal rasé et davantage porté sur le combat à mains nues que sur l'hygiène, si l'on en croit les reproches faits par John Watson. Il ne s'agit, certes, que d'une bande-annonce, mais l'alchimie entre Robert Downey Jr. et Jude Law semble déjà palpable, alors que l'opération de dépoussiérage du héros créé par Sir Arthur Conan Doyle laisse présager un spectacle efficace. Sorti le 25 décembre dans les salles américaines, le long métrage ne parvient pas à rivaliser avec le rouleau-compresseur Avatar, en route vers les sommets du box-office mondial. Mais ses 62,3 millions de dollars récoltés en trois jours lui offrent une confortable seconde place et remboursent une bonne partie des 90 millions de billets verts de son budget.
HOLMES SWEET HOLMES
Le long métrage termine son parcours mondial avec 524 millions de dollars de l'escarcelle (et 2 143 123 spectateurs attirés dans les salles françaises) et le sentiment du devoir accompli. Sur le plan public et critique, avec un Golden Globe du Meilleur Acteur dans une Comédie ou Comédie Musicale pour Robert Downey Jr. à la clé. Les avis ne sont certes pas dithyrambiques, et on souligne notamment un récit qui s'appuie sur sa forme pour masquer quelques trous du scénario, ou le fait que l'enquête aurait techniquement pu être résolue en une quinzaine de minutes vu comme le héros semblait avoir vite compris les tenants et aboutissants de l'affaire. Mais cette nouvelle jeunesse offerte à Sherlock Holmes plaît. Pour sa première incursion dans le blockbuster, Guy Ritchie est parvenu à conserver ce style qui lui avait permis de rafraîchir l'image des gangsters anglais, et il continuera à le faire ensuite, avec des espions américain et russe, ou même le Roi Arthur.
Absent des écrans depuis la sortie de la parodie Élémentaire, mon cher… Lock Holmes en 1988, Sherlock Holmes fait son entrée dans un XXIe siècle où les super-héros ne font pas encore la loi, mais où l'influence de The Dark Knight se fait grandement sentir à travers l'atmosphère sombre et l'ambiance de crainte de fin du monde qui règne sur ce récit aux contours fantastiques mais à la résolution rationnelle. Devant la caméra de Guy Ritchie, le détective consultant et son acolyte ont une dynamique de buddy movie qui repose grandement sur l'opposition puis la complémentarité de leurs caractères respectifs, et le long métrage ne fait qu'accentuer, avec davantage d'humour, ce qui transparaissait dans les romans. Les spectateurs très à cheval sur l'imagerie classique du héros ont sans doute fait la grimace devant cette version débraillée, bondissante et adepte des arts martiaux du personnage, même si la pipe et le violon sont de la partie.
Dépoussiérer un personnage en salissant ses vêtements est effectivement audacieux, et la modernité du long métrage passe notamment par la façon dont le metteur en scène se sert de l'action pour refléter l'intelligence de Sherlock qu'il considère autant comme une bénédiction qu'une malédiction, dans une interview donnée à USA Today en amont du tournage. Le cinéaste s'appuie autant sur les mots (et le débit mitraillette de Robert Downey Jr.) que sur les images à grands renforts de flashes, qui nous permettent de revoir une scène sous un autre angle ou d'avoir un aperçu du futur proche. C'est le cas dans les séquences de combat où le héros nous raconte ce qu'il va faire alors que la vitesse de défilement varie, avant que les choses ne se passent exactement comme il l'avait prédit, avec plus de rapidité et une efficacité redoutable. Dans ces moments-là, le film rappelle le style du 300 de Zack Snyder, même s'il n'a visiblement pas été question de trop s'en inspirer.
"J’ai adoré 300, mais je trouve que maintenant beaucoup de films reprennent ce parti pris de tout moderniser", explique Robert Downey Jr. à Première en octobre 2008. "Avec Holmes qui justement ne le sera pas on s’aperçoit combien l’original était moderne. Pour 1891, c’était incroyablement moderne." Et c'est vrai. Car le long métrage se révèle fidèle au personnage tel qu'il est décrit par Sir Arthur Conan Doyle avec cette allure bohème, éloignée de l'image de gentleman à laquelle on l'associe la plupart du temps et qui provient de Basil Rathbone, son incarnation à l'écran à partir du début des années 30, comme le rappelait Lionel Wigram pendant la promotion. Même les arts martiaux, que l'on attribue à l'acteur principal, étaient sur le papier. Et plus précisément dans la nouvelle "La Maison vide", parue en 1901 et dans laquelle sa maîtrise du bartitsu, méthode de lutte japonaise, est évoquée.
ENQUÊTE DE SENS
Si la forme a été quelque peu dépoussiérée pour être plus en phase avec les divertissements du XXIe siècle ou que la personnalité de Robert Downey Jr. tend à se mélanger avec celle du personnage (comme pour ses versions de Tony Stark ou du Docteur Dolittle), ce Sherlock Holmes conserve néanmoins l'essence du héros et nous rappelle à quel point sa modernité le rend soluble dans toutes les époques. Quelques mois après la sortie du long métrage, la formidable série portée par Benedict Cumberbatch viendra nous le rappeler en revisitant les intrigues de Conan Doyle dans le Londres actuel, et nous offrira une approche complémentaire de celle de Guy Ritchie. Ce dernier rempile deux ans plus tard avec le même casting, auquel se joignent Jared Harris sous les traits du Professeur Moriarty (teasé dans le premier opus) ou encore Noomi Rapace.
Plus spectaculaire et enlevée, cette suite intitulée Jeu d'ombres propose un défi plus relevé au héros, tout en renforçant sa relation avec Watson. Le box-office ayant été légèrement supérieur à celui du premier (543,8 millions de dollars de recettes dans le monde), les deux hommes devraient normalement refaire équipe pour un troisième épisode, qui ne cesse de se faire attendre. Le projet était déjà d'actualité lorsque nous avions rencontré Robert Downey Jr. en 2013, au moment de la promotion d'Iron Man 3, et il semblait être reparti de l'avant en 2019, quand le réalisateur de Rocketman Dexter Fletcher en avait récupéré les commandes. La sortie était alors prévue pour Noël 2021, mais quelque chose nous dit qu'il va encore falloir patienter un peu plus.
Avez-vous remarqué les détails cachés de "Sherlock Holmes" ?