Après son bouleversant premier long métrage, Les Bêtes du sud sauvage (qui avait remporté la Caméra d'Or au Festival de Cannes en 2012), le réalisateur américain Benh Zeitlin revient au cinéma avec Wendy (en salles à partir d'aujourd'hui).
En attendant d'embarquer pour un Pays (encore plus) Imaginaire (que d'habitude) et de découvrir cette réinterprétation moderne, entêtante, magique et personnelle du mythe de Peter Pan, on vous propose une petite rencontre avec le metteur en scène...
AlloCiné : Quel a été pour vous le point de départ de ce projet, la première fois que vous avez songé à raconter cette histoire ?
Benh Zeitlin : Pour être honnête, je devais avoir à peu près l'âge de Peter. Je préparais des spectacles de marionnettes pour ma soeur Eliza (avec qui j'ai écrit le film) lorsqu'elle était bébé. Pour moi, il y a un lien très clair entre ces histoires-là - qui étaient toujours remplies de gros effets spéciaux, de peluches volantes, de rubans sanglants - et la réalisation de Wendy 30 ans plus tard. Peter et Wendy nous ont hantés toute notre vie.
Quelles ont été vos influences principales pour créer cette histoire ? Avez-vous cherché votre inspiration dans de précédentes versions de Peter Pan ? Quelle est celle qui vous a le plus inspiré ?
Nous nous sommes davantage concentrés sur les idées qui gravitent autour de cette histoire dans notre culture, plutôt que sur une version particulière de celle-ci. Pourquoi ces personnages et ce mythe ont-ils traversé tant de générations ? Quelles sont ces questions universelles auxquelles les gens essaient de répondre en racontant perpétuellement cette histoire ?
Ce genre de choses se produit lorsqu'une histoire ou un personnage met en lumière une incohérence dans la façon dont nous vivons, un vide en nous qui a besoin d'être comblé. C'est ce qui nous a attirés dans ce projet, et nous avions aussi le sentiment qu'aucune des nombreuses versions de cette histoire n'avait encore fait cela. Ceci dit, pour parler franchement, la VHS que nous avions chez nous dans notre enfance était celle de la comédie musicale avec Mary Martin. Elle est géniale.
Quel est l'élément qui compte le plus pour vous dans ce conte si célèbre qu'est Peter Pan ?
Je pense que c'est l'idée de liberté. Pas tant d'un point de vue politique, mais plutôt la liberté de pensée et d'esprit, la capacité d'être sauvage et sans peur, de croire que l'on peut être qui l'on veut, faire ce que l'on veut, et d'accomplir tout cela. Dans la pièce originale ainsi que dans notre monde, ces idées sont souvent liées à la jeunesse, ainsi qu'à l'insensibilité et à la négligence.
Nous avons voulu nous poser la question : la liberté peut-elle survivre à l'âge adulte ? Peut-il y avoir un sentiment de liberté encore plus grand dans l'attention que l'on porte aux autres, dans l'amour et la famille. Ou bien est-on voués à devoir faire un choix tragique et à laisser tomber l'un ou l'autre ?
Cela a-t-il été un défi pour vous de raconter cette célèbre histoire ?
Nous n'avons pas senti d'entraves ou de poids venant des autres versions qui ont précédé la nôtre. Nous savions que notre approche de la légende, mais aussi de la mise en scène en général, était suffisamment différente pour ne pas avoir à craindre d'être redondants.
Ce qui est extraordinaire avec Peter Pan, c'est que tout le monde sait qui il est et ce qu'il représente. Mais personne ne connaît véritablement l'intrigue de son histoire comme c'est le cas avec d'autres fables universelles. Nous voulions développer les thèmes qui l'ont rendu si iconique - la recherche de la jeunesse éternelle, la solitude de la liberté totale, le poids de l'amour et de la famille - et créer une nouvelle histoire qui explorerait ces questions en profondeur.
Comment avez-vous eu l'idée de raconter l'histoire du point de vue de Wendy ?
Peter est comme un rocher : il est coincé là où il se trouve pour le meilleur et pour le pire. Wendy est celle qui voyage à travers l'extase de la jeunesse éternelle, mais qui doit finalement la quitter pour affronter la vie de l'autre côté. Lorsque nous avons fait ce film - juste après Les Bêtes du sud sauvage - de cette manière complètement utopique et idéaliste, nous savions que nous allions au devant de grands défis pour conserver notre vision, notre manière de pratiquer notre art, alors que nous entrions dans une ère nouvelle.
Cela était relié au défi surmonté par Wendy, qui est intrinsèque à l'histoire mais qui n'a jamais vraiment été étudié, car historiquement, elle est totalement mise à l'écart, elle est vue comme faible et impuissante. Nous voulions déchirer cette Wendy-là et en construire une nouvelle, qui puisse honorer la force de la féminité et de la maternité.
L'un des éléments les plus émouvants du film est sans aucun doute sa musique. Parlez-nous de votre travail de composition, et des intentions musicales qui étaient les vôtres.
Le noyau de cette bande originale vient du sentiment que l'on éprouve lorsque notre mère nous chante une chanson, dans notre enfance. Même en tant qu'adulte, en réécoutant ces chansons (par exemple, Tennesse Waltz), cela me transporte dans cette sensation d'amour et d'interconnexion avec mes parents qui est au-delà des mots, qui est simplement sensorielle.
Donc la première chose que nous avons bâtie a été cette mélodie très simple, qui nous a paru intemporelle et emblématique, qui pouvait aussi bien convenir à un chant de marin qu'à une berceuse, et puis le reste de la musique a grandi à partir de cette graine. Nous voulions prendre ces idées toutes simples, puis les éclairer avec le feu et l'énergie de la jeunesse, d'un train de marchandises, créer une partition qui invite les spectateurs à danser avec le film.
Quel serait selon vous le secret pour grandir sans vieillir, pour conserver un coeur d'enfant ?
Selon moi, nous devons comprendre que toute cette histoire autour du fait de grandir est justement cela : une histoire. Et celle que nous nous racontons à nous-mêmes est bien souvent une tragédie. Au début, vous naissez dans la joie et la liberté, à la page 30, vous échangez tout cela contre le sacrifice et la responsabilité, puis vous vous affaiblissez, vous perdez votre force de vie, et autour de la page 80, vous claquez. Personne n'a envie de vivre une telle histoire, mais pourtant nous y adhérons, et elle finit par dicter la façon dont nous envisageons le vieillissement.
Il nous faut nous souvenir de ce que les enfants comprennent naturellement : votre histoire vous appartient, et de la même manière que nous avons pris le mythe de Peter Pan et que nous l'avons reconstitué à notre idée, vous pouvez faire de même avec votre propre histoire. J'ai toujours voulu grandir de manière à ce que ma liberté et ma curiosité puissent s'étendre à l'infini. Donc oui, je continuerai à raconter cette histoire et à essayer de la vivre.
Propos recueillis le 19 novembre 2020