DAVID FINCHER
Mank (2020) - Quand David Fincher s'attaque à la genèse de Citizen Kane et au parcours de son scénariste Herman J. Mankiewicz, il ne manque pas l'occasion de nous rappeler son perfectionnisme afin de donner l'impression que le long métrage a été tourné à la même époque que le chef-d'œuvre d'Orson Welles, régulièrement cité comme le plus grand film de tous les temps. Sans aller jusqu'à utiliser des objectifs des années 40, certes, mais en cherchant à renouer avec les mêmes teintes, en plus des angles de vues ou du son en mono. Voyage dans le temps garanti.
STEVEN SPIELBERG
La Liste de Schindler (1993) - Pour Steven Spielberg, l’effet recherché avec le noir et blanc correspond à un souci historique. Revenir à la pellicule utilisée pendant la guerre permettait de donner un aspect documentaire au film. C’est pourquoi 40% des plans ont également été tournés caméra à l’épaule afin de conférer au film le plus de réalisme possible, et le résultat lui a valu le premier de ses deux Oscars du Meilleur Réalisateur.
MICHEL HAZANAVICIUS
The Artist (2011) - Quand il s'agit de rendre hommage au cinéma qu'il aime, Michel Hazanavicius n'y va pas avec le dos de la cuillère. Et, après les deux OSS 117, il franchit un nouveau palier, toujours avec Jean Dujardin, en livrant un film muet et en noir et blanc, chose qui, à l'époque de la 3D et de la course au plus grand nombre d'effets numériques par long métrage, peut paraître insensée. Un Prix d'Interprétation cannois, 6 César, 5 Oscars et une flopée de récompenses plus tard, les plus sceptiques sont comme le film : muets.
TIM BURTON
Frankenweenie (2012) - Tim Burton n'est pas vraiment un novice en matière de noir et blanc, puisqu'Ed Wood et le court Frankenweenie en avaient déjà bénéficié. Et au moment de transformer ledit court en long animé, le cinéaste n'a pas rajouté de couleurs pour autant, histoire de lui donner l'aspect d'un vieux film d'épouvante type Frankenstein. Une grande première dans le genre, et en stop-motion qui plus est, qui n'a pas été des plus faciles pour autant car, comme l'explique la productrice Allison Abbate, "nous pensions d'abord tout peindre normalement avant de retirer la couleur [en post-production] pour faire du noir et blanc. Mais ça ne s'est pas passé comme ça, car si nous voulions telle nuance de gris, il fallait vraiment peindre l'objet en question de cette façon." Voilà donc pourquoi les figurines qui entourent Tim Burton sur les divers making-of et photos de tournage paraissent inachevées.
FRANCIS FORD COPPOLA
Tetro (2009) - Le grand Francis Ford Coppola fait le pari du noir et blanc pour une histoire très personnelle. L’originalité du film tient à l’idée du cinéaste d’utiliser le noir et blanc à l’inverse des codes généralement attendus en tournant le présent de cette manière alors que les souvenirs du personnage sont en couleurs. Coppola n’avait pas attendu 2009 pour s’y essayer puisqu’en 1984, avec Rusty James, il avait déjà utilisé un procédé similaire, en ne laissant en couleur que les poissons qui obnubilent tant le personnage de Motorcycle Boy.
CHRISTOPHER NOLAN
Following (1998) - Est-ce son daltonisme, qui l'empêche de distinguer les couleurs correctement, et donc d'officier en tant que chef opérateur, qui l'a conduit à ce choix ? Ou une raison économique, le budget de son premier long métrage étant estimé à 6 000 dollars ? Peut-être un peu des deux, et toujours est-il que c'est en noir et blanc que Christopher Nolan s'est fait remarquer, avec un polar dans lequel transparaissait, déjà, son goût pour le film noir et la manipulation. Son film suivant, Memento, sera en couleurs… à l'exception de quelques séquences clés. Comme pour assurer la transition.
PHILIPPE GARREL
La Frontière de l'aube (2008) - Philippe Garrel s’est régulièrement confronté au noir et blanc au cours des dernières années, y compris avec Le Sel des larmes, sorti en 2020. La première fois de ses tentatives remonte aux Amants réguliers et la seconde avec La Frontière de l'aube. Pour ce dernier film, il déclare avoir utilisé le procédé "à cause des apparitions. Je ne pouvais pas faire un film pareil en couleurs. Le noir et blanc permet d'être plus facilement dans l'imaginaire, on est plus prêt à accepter que quelqu'un surgisse dans un miroir. Je n'utilise pas le noir et blanc par caprice. Pour Les Amants réguliers, il était justifié par la difficulté de la reconstitution. En optant pour le noir et blanc on a fait la moitié du travail."
STEVEN SODERBERGH
The Good German (2007) - Pour Steven Soderbergh, l'utilisation du noir et blanc marque le désir de retour aux films classiques hollywoodiens, en s’inspirant des méthodes réelles de tournage de l’époque (lumière naturelle de Los Angeles et lampes à incandescence uniquement). Ainsi, ce n'est pas un hasard si l’affiche rappelle celle de Casablanca : le réalisateur s’est fortement inspiré de Michael Curtiz, cinéaste de l’âge d’or hollywoodien, et s’est procuré les mêmes objectifs que lui, démarche à laquelle David Fincher fera écho avec Mank.
ROBERT RODRIGUEZ
Sin City (2005) - Le noir et blanc de Sin City marque la fidélité de Robert Rodriguez au comic book original écrit par son co-réalisateur. Pour preuve, Frank Miller et lui ont préparé chaque plan du film en se servant de la bande dessinée comme d'un véritable storyboard, et aucun scénariste n'est crédité au générique de fin car les réalisateurs considèrent plus le long métrage comme une traduction cinématographique que comme une adaptation. Le noir et blanc ici, correspond au dessin encré, parfois relevé d'une touche de couleur sur certains objets choisis. Une esthétique particulière qui avait été adoptée par Gary Ross quelques années plus tôt pour Pleasantville, film dans lequel jouait également Marley Shelton, habituée depuis des films de Robert Rodriguez.
JIM JARMUSCH
Dead Man (1995) - Jim Jarmusch est un habitué du fait. Dès son premier film, Permanent Vacation, en 1980, il se tourne vers le noir et blanc. Il y reviendra pour Stranger Than Paradise, Down by Law, Dead Man et Coffee and Cigarettes. Dans son cas, le choix est purement esthétique, et s’allie parfaitement à l’univers rock'n'roll qu’il met en place à travers ses diverses collaborations avec Tom Waits, Iggy Pop ou encore les White Stripes.
PATRICE LECONTE
La Fille sur le pont (1999) - Le choix du noir et blanc s’impose parfois dans la vision du réalisateur sans qu’il puisse la justifier. C’est ce qu'explique Patrice Leconte : "Quand on ne manquera pas de me demander pourquoi avoir tourné en noir et blanc, je n'aurai aucune raison logique à fournir. Je pourrais répondre que c'est pour faire parler les bavards, ou bien parce qu'il y avait trop de couleurs dans le dernier, mais ce serait des pirouettes bien légères. Non, j'ai eu envie du noir et blanc parce qu'il y avait là comme une évidence que je n'avais pas besoin de justifier davantage. Aujourd'hui je suis incapable de penser à ce film en couleurs."
DARREN ARONOFSKY
Pi (1998) - Comme Christopher Nolan (et la même année qui plus est), Darren Aronofsky a fait ses débuts en noir et blanc. Devenu un cinéaste majeur avec des oeuvres comme Requiem for a Dream, The Wrestler ou encore Black Swan, il avait entamé sa carrière avec le paranoïaque Pi, étrange film réalisé pour la modeste somme de... 60 000 dollars !
MATHIEU KASSOVITZ
La Haine (1995) - Mathieu Kassovitz touche en 1995 à un sujet sensible : les banlieues, d’habitude cantonnées aux faits divers des JT. Il s’agit pour lui de créer une fiction et de donner une valeur cinématographique à des images vues et revues à la télévision. C’est pourquoi il choisit de construire son scénario à la manière d’une tragédie (en trois actes) et d’utiliser le noir et blanc. Ce choix se fait non sans mal car TF1, alors co-producteur, insiste pour tourner le film en couleurs afin d'assurer sa diffusion télé. Pour sa sortie en salles, les copies du film sont tout de même tirées en noir et blanc. Plusieurs mois après la sortie, le succès public est tel qu’il l’emporte sur la décision de la chaîne, qui diffuse finalement La Haine dans sa version originale.
JOEL & ETHAN COEN
The Barber (2001) - Quoi de mieux que le noir et blanc pour un film noir ? Inspirés par le romancier James M. Cain et donc par des classiques des années 40 tirés de son œuvre (Assurance sur la mort, Le Facteur sonne toujours deux fois), les frères Joel et Ethan Coen se sont tournés naturellement vers la pellicule noir et blanc pour cet hommage au genre. Leur directeur photo, Roger Deakins, avait lui aussi potassé ses classiques avant le tournage, notamment Tueur à gages de Frank Tuttle et Le Dahlia bleu de George Marshall.
LUC BESSON
Angel-A (2005) - Il s'agit là du deuxième film réalisé en noir et blanc par Luc Besson. Il avait déjà opté pour ce choix en 1983 pour Le Dernier combat, un film relatant la survie des habitants de Paris suite à une catastrophe naturelle. Dans le cas d'Angel-A, il est parvenu à garder son projet secret jusqu'aux semaines précédant la sortie, ce qui n'est pas une mince affaire quand on sait qu'il a tourné dans les rues de Paris avec Jamel Debbouze.
WOODY ALLEN
Manhattan (1979) - Pour les besoins de son neuvième film, Woody Allen passe au noir et blanc. Pour lui, il s’agit plus de poésie. Il évoque alors la possibilité de transmettre les émotions de ses personnages à travers les dégradés infinis de gris. Le résultat a beau compter parmi les chefs-d’œuvre du cinéma, Woody Allen a détesté son travail sur ce film. Il réiterera toutefois l'expérience du noir et blanc à plusieurs reprises, notamment pour Stardust Memories, Ombres et brouillard et Celebrity, en 1998. Les personnages de cette comédie de mœurs souhaitant accéder à la célébrité font référence à de multiples reprises à des grands classiques du cinéma : Naissance d'une nation, Duel au soleil, Un Tramway nommé désir...
DAVID LYNCH
Elephant Man (1980) - Le premier long métrage réalisé par David Lynch, Eraserhead, était déjà en noir et blanc. Mais dans le cas de cet opus, on le doit à Mel Brooks, producteur exécutif du film, qui avait choisi David Lynch comme réalisateur. Il avait alors défendu cette idée auprès de la Paramount jusqu’à ce que le studio cède. Garant de la liberté du metteur en scène, il a toujours soutenu son poulain dans ses choix, jusqu’au montage en s’opposant à certaines coupes. Son abnégation pour le film a été jusqu’à lui faire retirer son nom du générique, trop lié selon lui à la comédie. On peut également penser que l’utilisation du noir et blanc a facilité la crédibilité du maquillage extrêmement impressionnant sur le visage de John Hurt.
MARTIN SCORSESE
Raging Bull (1980) - Martin Scorsese explique dans les bonus DVD qu’avant le tournage, il avait fait des essais en Super 8 de Robert De Niro sur un ring. Lorsqu’il les a projetés, quelque chose le gênait. C’est son mentor Michael Powell qui a mis le doigt sur cette gêne : le rouge des gants de boxe qui emplissait l’écran. C’est pourquoi Martin Scorsese décida de filmer en noir et blanc à l’exception des films amateurs de Jack La Motta tournés, eux en couleur, pour deux raisons : les faire ressortir du reste du film, et accentuer l’effet de réel, les caméras Super 8 amateur étant très populaires à cette époque. Enfin, pour arriver à la teinte parfaite du sang sur la pellicule noir et blanc, celui-ci fut remplacé par... du chocolat !
MARJANE SATRAPI
Persepolis (2007) - Depuis Persepolis, on sait que dessin animé n’est pas synonyme de couleurs criardes et d’histoires enfantines. Pour Marjane Satrapi, le noir et blanc est une histoire d’universalité... et de bon goût : "Avec les images réelles, ça devient tout de suite l'histoire de gens qui vivent loin, dans un pays étranger, qui ne sont pas comme nous. C'est au mieux une histoire exotique, et au pire une histoire de 'tiers-mondiste' ! Si les albums ont aussi bien marché partout, c'est que l'abstraction du dessin - qui plus est, du dessin en noir et blanc - a permis à chacun de s'identifier totalement. Que ce soit en Chine, en Israël, au Chili, en Corée... Cette histoire est universelle. Il ne faut pas oublier non plus qu'il y a aussi dans Persepolis des moments oniriques, et qu'on n'allait pas faire tout à coup un film de science-fiction ! Le dessin nous permet de garder une cohérence, une unité. Le noir et blanc – j'ai toujours peur du côté vulgaire que peut avoir la couleur – participe à cela également."
MICHAEL HANEKE
Le Ruban blanc (2009) - N’oublions pas que la Palme d’or 2009 était en noir et blanc. Le sujet du film, qui relate une série d’accidents étranges qui secouent un petit village d’Allemagne en 1913, explique certainement ce choix. Il a pourtant été tourné entièrement en couleurs avant d'être retravaillé en noir et blanc en post-production, afin de maîtriser au mieux les lumières (Michael Haneke souhaitait un film extrêmement sombre, quasiment éclairé à la bougie) et les teintes de gris. Christian Berger, le chef opérateur, dit s’être inspiré du travail de Sven Nykvist sur les films d’Ingmar Bergman.
NOAH BAUMBACH
Frances Ha (2013) - Il y a du Woody Allen époque Manhattan dans Frances Ha. Un peu de Nouvelle Vague avec la musique des 400 coups également. Que le long métrage réalisé par Noah Baumbach soit en noir et blanc n'est donc pas plus surprenant que cela, au vu de ses inspirations majeures. Entièrement porté par sa muse Greta Gerwig, qui a co-signé le scénario à ses côtés, le long métrage y gagne un côté décalé et hors du temps, ainsi qu'une sensation de liberté, qui participent à son charme au même titre que la bande-originale dans laquelle on entend notamment le "Modern Love" de David Bowie.
GEORGE CLOONEY
Good Night, and Good Luck (2006) - La décision de tourner Good Night, and Good Luck en noir et blanc s'explique par le fait que de vraies images du sénateur McCarthy ont été incorporées au film. De même que Joe Wershba, interprété par Robert Downey Jr., a été effacé et remplacé par une incrustation de l'acteur dans les images d'actualité. Afin d'être cohérent avec les images de l'époque et de coller au plus près aux années 50, l'équipe du film a décidé de ne pas utiliser la couleur. Un an plus tard, George Clooney renouera avec l'absence de couleurs, mais seulement en tant que comédien, dans The Good German de Steven Soderbergh.
BONG JOON-HO
Parasite (2019) - Cet exemple est un peu particulier. Car Parasite est d'abord sorti en couleurs, auréolé d'une Palme d'Or reçue quelques jours auparavant, en juin 2019. Quelques mois plus tard, après avoir fait main-basse sur l'Oscar du Meilleur Film, il ressort dans une version ré-étalonnée en noir et blanc : "Je trouve fascinant de voir comment l’expérience de visionnage sera modifiée pour le public qui découvrira le film dans cette version", explique Bong Joon-Ho. "Je suis persuadé que chacun aura une opinion différente sur cette nouvelle version. La première fois que je l’ai vue, le film ressemblait presque à une fable, et j’avais l’étrange sensation de regarder une histoire d’une autre époque. La seconde fois, le film m’a paru beaucoup plus réaliste, tranchant comme une lame." Un procédé qui rappelle également la version "Black & Chrome" de Mad Max Fury Road par George Miller.