Ce devait être l'un des événements majeurs de l'année 2020, un des films les plus attendus. La pandémie et la situation sanitaire en ont décidé autrement : le Dune de Denis Villeneuve a vu sa date de sortie repoussée par Warner à septembre 2021. Pour faire contre mauvaise fortune bon coeur, on pourra toujours se consoler en se jetant sur le Mook justement consacré à l'univers du Dune de Frank Herbert, disponible ce 19 novembre.
Fruit d'un colossal travail éditorial, ce Mook est à la base un projet développé par Lloyd Chéry. Journaliste pour le magazine Le Point depuis 2016, il écrit et intervient sur la pop culture. Spécialisé dans la Fantasy et la SF pour Le Point Pop, il a notamment écrit plusieurs articles dans le hors-série Les chef-d’œuvres de la science-fiction, et produit chaque semaine un podcast thématique, C'est plus que de la SF.
Rédacteur en chef de ce projet lancé en mai dernier avec les éditions Atalante et Leha, ce Mook Dune a récolté 120.000 € par financement participatif. Se concentrant à 70 % sur le premier roman de Frank Herbert, l’ouvrage est divisé en cinq parties. La première partie est sur l'auteur justement, avec notamment une grande biographie d’une quinzaine de pages, une interview de son fils Brian ainsi que tout ceux qui ont édité, illustré ou traduit Dune. La seconde partie analyse l’univers; la troisième fait le portrait de tous les personnages. La quatrième partie revient sur les adaptations (cinématographiques, vidéoludiques sans oublié BD et jeu de rôle). Enfin, la dernière partie rassemble des intellectuels pour réfléchir autour de Dune.
Au total, une cinquantaine de contributeurs et 8 illustrateurs (dont Fred Vignaux, le dessinateur de Thorgal; ou Wojtek Siudmak, qui a illustré les premières couvertures de Dune) ont rejoint cette aventure. Auteurs de SF (Pierre Bordage, Laurent Genefort Robin Hobb), scientifiques et universitaires (Roland Lehoucq), journalistes et vidéastes (Le Fossoyeur du Film) écrivent dedans. Il y a même quelques guest stars comme la famille Jodorowsky, le dessinateur Paul Pope, ou encore toute l’équipe créative de Westwood studios, qui fut derrière le développement d'un jeu devenu culte, Dune II : Battle For Arakkis, en 1992.
Un concentré de bonheur pour tout fan de SF et de l'oeuvre de Frank Herbert, qui se déploie sur par moins de 256 pages, et compte 200 illustrations. Mais il y a plus : la cerise sur le gâteau est la contribution de Denis Villeneuve sous forme d'une interview, qui évoque longuement son travail sur son film à venir, et son rapport à l'oeuvre originale.
On a pu récupérer en amont le Mook pour nous plonger dans cette interview passionnante de quatre pages, dont nous publions ici, en exclusivité, un extrait. L'ensemble étant à retrouver bien entendu dans l'ouvrage.
"Je n'ai pas accepté de faire Dune, c'est Dune qui s'est imposé à moi..."
Racontez-nous votre première lecture de Dune à l’âge de 12 ans. Ce livre a-t-il été important dans votre parcours artistique ?
Denis Villeneuve : J’ai découvert Dune au début de l’adolescence. J’ai été happé par la trajectoire de Paul Atréides, profondément ému par la mélancolie liée à sa condition. Son angoisse existentielle est très contagieuse pour un adolescent. Paul doit négocier entre un héritage génétique, une éducation et un contexte politique qui s’imposent à lui avec violence. Il doit aussi s’adapter à une nouvelle réalité radicalement différente pour survivre. La capacité d’adaptation de Paul est une des veines importantes du récit. Sa fascination pour les Fremen, ce désir profond d’embrasser une autre culture, de s’y fondre m’avaient alors aussi impressionné. Dune est pour moi une ode aux capacités de l’esprit humain, mais aussi une exploration de ses failles. L’idée des voix des générations précédentes qui s’expriment à travers notre bagage inconscient est puissante et m’inspire depuis. Il y a des traces de Dune dans à peu près tous mes films. Une partie de mon identité a directement été influencée par ce livre.
Quel est votre rapport au désert et que souhaitiez-vous faire d’Arrakis ?
Le désert est un amplificateur de l’âme. Son immensité inspire l’humilité et appelle l’introspection. Un périple dans le désert est un voyage intérieur. Le désert est un lieu récurent dans mes films où les personnages sont confrontés à leurs ombres, à leur inconscient. Pour rendre le film le plus introspectif et immersif possible, j’ai décidé d’embrasser la nature telle quelle, avec sa lumière, et de résister à la tentation d’un exotisme imaginaire, fabriqué. Arrakis se doit d’être dangereusement familière pour que l’esprit du spectateur se laisse prendre au piège hypnotique de Dune.
Comment avez-vous abordé l’un des thèmes principaux qu’est l’écologie ?
Le roman est né des observations d’une expérience écologique. L’idée de la capacité d’adaptation des
espèces est au coeur du récit. La précision toute scientifique avec laquelle Frank Herbert décrit les écosystèmes d’Arrakis et les stratégies de survie développées par les Fremen pour y vivre m’avaient vraiment impressionné. Ce qui est singulier ici est que l’écologie n’est pas seulement une discipline scientifique, mais aussi la source d’inspiration d’une spiritualité. Herbert a imaginé un peuple qui a une relation sacrée très sophistiquée avec son environnement. C’est donc par un rapport sacré au monde naturel que j’aborde l’écologie dans le film. J’y vois une porte d’espoir pour notre futur. Je crois sincèrement que nous devons retrouver une part de sacré dans notre rapport à la nature. Herbert était d’ailleurs influencé par Jung.
Comment analysez-vous la saturation de l’imaginaire de space opera par les franchises Star Wars ou Star Trek ?
Le succès du premier Star Wars repose sur un design absolument impressionnant et un sens aigu de la vitesse. Mais malheureusement il n’y a pas eu vraiment d’innovation depuis le deuxième film de la série. Star Wars s’est vite cristallisé autour d’un vocabulaire visuel précis et de dogmes dramatiques crispés. Cela dit, Rian Johnson et Gareth Edwards ont réussi à amener un peu de vent frais. Le fait que l’aura de Star Wars existe encore, malgré une longue suite de films décevants, témoigne de la force d’impact des deux premiers films. Mais ça demeure effectivement une influence incontournable pour tout cinéaste qui flirte avec le space opera. Il faut négocier avec cet éléphant. Star Trek n’a jamais vraiment réussi sa transposition au grand écran et demeure une oeuvre qui s’articule sur des codes télévisuels.
Remerciements à Lloyd Chéry pour nous avoir autorisé à publier cet extrait de son interview.