AlloCiné : Aviez-vous le complet champ libre pour explorer l’enfance de Martha Jane Cannary ? J’ai le sentiment qu’historiquement, on n’en connaît que des bribes ?
Rémi Chayé, réalisateur : On a en effet très peu d'éléments historiques vérifiés sur l'enfance de Calamity Jane. Alors qu'elle n'a que 10 ans, on sait que ses parents ont quitté le Missouri pour éviter un procès familial, une dispute autour de l'héritage du grand-père de Martha Jane. Et on a une trace journalistique de leur présence à Virginia City dans le Montana, deux ans plus tard. C'est dans cet intervale que nous avons situé notre histoire avec Fabrice de Costil et Sandra Tosello, les scénaristes. Dans certains temoignages, Calamity Jane parle de ce voyage marquant le long de la piste de l'Oregon, durant lequel elle a appris à monter à cheval et à tirer au fusil. Le reste, c'est nous qui l'inventons. Nous avons imaginé cette communauté assez stricte dans laquelle les hommes sont tous habillés de noir et les femmes de robes claires. Les rôles aussi sont très distincts et ils s'accrochent d'autant plus à leurs traditions que le paysage change en permanence autour d'eux. [Le personnage d']Abraham, comme chef du convoi, est le gardien de cet ordre traditionnel que Martha Jane vient bousculer.
On suit leur voyage vers Virginia City, et on sent à voir votre film que voyager à l’époque est vraiment une épreuve ! Vous êtes-vous basé sur des récits de ces trajets de pionniers ou êtes-vous partis des péripéties auxquelles vous vouliez confronter Calamity ?
Le voyage le long de la piste de l'Oregon était très dangereux. Accidents, malnutrition, maladie, les pionniers étaient mis à rude épreuve. Nous avons bien sûr lu de nombreux récits de l'époque, par exemple le très fameux The Oregon Trail de Francis Parkman. Nous nous sommes aussi appliqués à intégrer dans la mise en scène, les gestes du quotidien de ces pionniers : ramasser des bouses sèches de bison pour se chauffer, filtrer l'eau, faire et défaire les chargements tous les jours. Avec l'équipe, il nous semblait intéressant de laisser entrevoir des pans de cette vie si différente de la nôtre.
Les photos que l’on possède de Calamity Jane la montrent à la fois en tenue d’aventurière (en pantalon, vêtements pratiques) et en tenue coquette ou a minima, correspondant aux habitudes de l’époque pour une femme. Dans votre film, elle alterne aussi sa façon de s’habiller aux circonstances, et plus généralement, on sent qu’il y a eu un gros travail effectué sur les costumes du film.
Calamity Jane aimait beaucoup se faire prendre en photo et on peut la voir en uniforme de théâtre, en chasseuse ou en robe élégante. C'est, je pense, un des traits qui la caractérise le mieux, ce goût pour le déguisement et aussi pour la fête. C'est un aspect que nous avons transposé dans son enfance et avec lequel nous nous sommes beaucoup amusé. Notre sujet c'est "qu'est-ce que c'est qu'être un garçon ?", "qu'est-ce que c'est qu'être une fille ?" Et sur ce sujet, les habits, les codes comptent beaucoup. C'est aussi une époque où l'on pouvait se couper les cheveux, mettre des vétements d'homme et aller à la ville suivante pour vivre une nouvelle vie. Un certain nombre de femmes de l'époque l'a fait ne serait-ce que pour survivre. La spécificité de Calamity Jane est justement d'assumer être une femme tout en agissant comme les hommes de l'époque. Dans le film, Martha Jane garde un élément vestimentaire des personnages qu'elle rencontre. Elle construit ainsi ce personnage hors du commun qui résonne aujourd'hui encore.
Vous avez opté pour un trait simple et joué sur la multiplicité des couleurs comme c’était déjà le cas sur Tout en haut du monde, est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur vos choix et vos intentions graphiques sur ce film ?
Nous avons utilisé le même procédé de fabrication que pour TEHDM. Les personnages sont animés sans traits de contours. Ils sont dessinés en quelques taches de couleurs et s'intègrent ainsi dans les paysages qui sont peints de la même manière. Nous avons cherché à créer une expérience forte pour les spectateurs. Ils sont plongés dans des couleurs très saturées, très expressives. Patrice Suau qui a développé ce style très coloré s'est servi de son expérience de peintre sur le motif et de sa culture picturale en utilisant des techniques de peintres impressionnistes, des fauves ou des nabis pour rendre le gigantisme des paysages américains. Il a aussi restreint ses couleurs de base en n'utilisant que les couleurs des pigments disponibles pour la peinture à l'huile. L'univers coloré du film est donc très ancré dans celui des peintres du 19e siècle, des impressionnistes ou des paysagistes américains.
Le film a une ampleur visuelle et un réel intérêt à être découvert sur grand écran, comme beaucoup de westerns. Est-ce que vous aviez cette ambition d’un récit d’émancipation qui soit aussi un vrai western ?
L'une de vos collègues journalistes l'a résumé avec une formule "conquète de soi, conquète de l'Ouest" que je trouve très efficace. À la racine du projet, le western était plutôt un repoussoir plutôt qu'une envie. J'avais du western une image biaisée de vengeance, de glorification de la justice par soi-même dans des contextes très machistes. Il a fallu que j'en découvre d'autres aspects avant d'en revendiquer le genre. Avec toute l'équipe, nous l'avons pensé comme un film de cinéma et on espère que le public viendra dans les salles le découvrir.
Propos recueillis par mail le 13 octobre 2020.