DE QUOI ÇA PARLE ?
Lorsque la manifestation en marge de la convention démocrate de 1968 tourne à l'affrontement, ses organisateurs sont accusés de conspiration et d'incitation à la révolte.
Disponible sur Netflix depuis le 16 octobre.
ÇA RESSEMBLE A QUOI ?
AARON SORKIN RÉALISATEUR : DEUXIÈME !
Depuis quelques années, Aaron Sorkin n'est plus seulement un scénariste génial doublé d'un créateur et showrunner très prisé : c'est aussi un réalisateur dont les projets sont attendus de pied ferme. Sorti dans nos salles début 2018, son baptême du feu de cinéaste n'avait toutefois pas entièrement convaincu. Inspiré de l'histoire complètement dingue de Molly Bloom, devenue la reine d'un gigantesque empire de jeu clandestin à Hollywood, Le Grand jeu montrait en effet qu'il avait des progrès à faire en matière de mise en scène, car cette dernière n'était pas aussi aiguisée que sa plume. Racheté par Netflix, qui l'a mis en ligne ce vendredi 16 octobre, Les Sept de Chicago ne met pas longtemps à nous faire comprendre que ce défaut est corrigé, avec une séquence introductive particulièrement redoutable d'efficacité.
The Social Network, Le Stratège, Steve Jobs, Le Grand jeu et maintenant Les Sept de Chicago : Aaron Sorkin aime les histoires vraies et son passage derrière la caméra n'y a rien changé. Le réalisateur et scénariste nous emmène cette fois-ci en 1968 le temps d'un procès : celui des organisateurs d'une manifestation qui a eu lieu en marge d'une convention démocrate et a viré à l'affrontement. Soient sept accusés (auxquels s'ajoute un membre des Black Panthers, Bobby Seale, incarcéré pour le meurtre d'un policier qu'il aurait supposément commis) qui vont, pendant cent-cinquante-et-un jours, affronter un juge retors et déjà convaincu de leur culpabilité, alors que les faits nous sont dévoilés par étapes pour mettre en lumière les ambiguïtés de chacun et couper court à tout risque de manichéisme.
Bien que méconnu de ce côté de l'Atlantique, le procès en question revêt une portée hautement symbolique. Alors que la Guerre du Viêtnam battait encore son plein et a lancé toute cette affaire, cette dernière oppose littéralement les États-Unis au mouvement contestataire des années 60, dont les accusés représentent les différents groupes, des hippies aux Students for a Democratic Society, en passant par le Comité national de mobilisation pour mettre fin à la guerre du Viêtnam ou les Black Panthers. Et ça n'est bien sûr pas un hasard si le long métrage sort peu de temps avant l'élection présidentielle américaine. Il s'agissait même d'une volonté d'Aaron Sorkin qui se comprend très rapidement car son propos résonne fortement avec l'actualité, tandis que les scènes de foule (qui mêlent images d'archives et re-création) rappellent les récentes manifestations en faveur de Black Lives Matter, suite à la mort de George Floyd, tué par les policiers qui l'avaient interpellé.
Les Sept de Chicago fait donc partie de ces films qui regardent le passé pour évoquer le présent. C'est peut-être ce qui a permis à ce projet qui traîne depuis 2007 d'accélérer ces derniers années, et il n'est d'ailleurs pas interdit de voir du Donald Trump dans le personnage du juge Hoffman (Frank Langella) dont la santé mentale est remise en cause au détour d'une réplique. Le long métrage ne paraît pas opportuniste pour autant et nous montre notamment que les inégalités qui gangrénaient la société il y a plus d'un demi-siècle sont encore d'actualité. A la fois classique dans son approche du film de procès, et moderne grâce à l'écriture d'Aaron Sorkin, le résultat s'appuie aussi sur un casting solide où se croisent Joseph Gordon-Levitt, Eddie Redmayne, Sacha Baron Cohen, Yahya Abdul-Mateen II (Watchmen), Michael Keaton, Mark Rylance ou encore Jeremy Strong, récemment primé aux Emmy Awards pour son rôle dans Succession. Des visages connus mais pas trop non plus, qui évitent de donner à l'ensemble un côté "all star" qui pourrait nuire à son propos.
Mais ces comédiens pourraient faire parler d'eux dans quelques mois, pendant la course aux Oscars, où Les Sept de Chicago a tout pour figurer parmi les favoris. Surtout que, cette fois-ci, le réalisateur et scénariste fait forte impression sur la forme comme sur le fond, avec un récit passionnant qui nous en apprend plus un fait méconnu de l'Histoire américaine du XXè siècle.