- Edmond d'Alexis Michalik est disponible sur myCANAL
L'histoire : Décembre 1897, Paris. Edmond Rostand n’a pas encore trente ans mais déjà deux enfants et beaucoup d’angoisses. Il n’a rien écrit depuis deux ans. En désespoir de cause, il propose au grand Constant Coquelin une pièce nouvelle, une comédie héroïque, en vers, pour les fêtes. Seul souci : elle n’est pas encore écrite. Faisant fi des caprices des actrices, des exigences de ses producteurs corses, de la jalousie de sa femme, des histoires de cœur de son meilleur ami et du manque d’enthousiasme de l’ensemble de son entourage, Edmond se met à écrire cette pièce à laquelle personne ne croit. Pour l’instant, il n’a que le titre : « Cyrano de Bergerac ».
AlloCiné : Revenons tout d'abord sur la genèse d’Edmond. Avant ce film, il y a eu une pièce qui a eu un grand succès. Mais aviez-vous en tête dès le départ que cette pièce pourrait faire un film ?
Alexis Michalik, réalisateur : Longtemps avant la pièce, c’était un film. En fait, cela fait 15 ans que j’ai cette histoire dans la tête et que je me dis que ce serait génial de la raconter. Pendant 10 ans, je l’ai un peu laissée mûrir. Je prenais des notes, etc. C’était toujours un film. Puis, il y a 5-6 ans, j’ai proposé ce projet à une boite de production, Légende. J’ai pitché le projet. Le producteur Alain Goldman m’a encouragé à développer le scénario pour sa société. J’ai écrit le scénario et nous avons commencé à essayer de chercher des financements et nous n’avons pas réussi. Au bout de 2-3 ans, je leur ai dit : « écoutez, ça marche bien pour moi au théâtre. Et si, je le faisais au théâtre ? » On m’a dit d’accord. Je l’ai monté avec 12 acteurs, sans tête d’affiche. Ca a tellement marché que les financements sont arrivés.
Pour les spectateurs qui auraient vu la pièce, ils vont peut être s’étonner de ne pas retrouver la distribution au cinéma. Pourquoi ce choix ?
Alexis Michalik : C’est quelque chose d’assez récurrent à vrai dire. Dès qu’il y a une pièce adaptée au cinéma, c’est très rare d’avoir la distribution théâtrale. Prenons par exemple, West Side Story : il ne s’agissait pas des acteurs de la création théâtrale. Au moment où l’on fait un film, on ne se pose pas la question de qui on embarque. On se pose la question de comment faire le meilleur film possible.
Par ailleurs, les acteurs étaient pris car ils étaient en tournée. C’était très difficile de les récupérer et cela aurait voulu dire qu’il fallait former une nouvelle troupe pour la tournée. Enfin, pour ce film que j’avais en tête depuis bien plus longtemps que la pièce, je ne pensais pas à ces acteurs : quand j’ai créé la pièce, j’ai essayé de trouver les meilleurs acteurs possibles. Quand j’ai commencé à faire le film, je me suis demandé : quels sont les meilleurs acteurs possibles pour faire ce film ?
Ces acteurs arrivaient avec un regard frais, avec quelque chose de nouveau, avec une envie, avec du sang neuf. J’avais besoin de ça pour réinventer cette histoire.
Ce qui est beau, c’est que ce casting fait un pont avec votre carrière au théâtre, notamment avec la présence de Benjamin Bellecour…
Alexis Michalik : Il y a plein de gens dans le casting qui font une référence au théâtre. C’est à dire qu’il y a beaucoup de petits rôles qui sont des gens de notre troupe d’autres pièces. Il y a des acteurs du Cercle des illusionnistes, d’Intra-muros, qui sont venus faire un petit rôle ou de plus grands rôles comme Alice de Lencquesaing par exemple. Benjamin Bellecour, qui est mon complice, mon associé et mon producteur au théâtre, vient jouer Courteline. On s’est tous rencontrés sur la série Kaboul Kitchen. Simon Abkarian vient également de Kaboul Kitchen, de même que Marc Citti qui joue le réceptionniste.
J’aime évidemment mettre mes amis, les gens que je connais, mais pour les rôles principaux, j’avais envie d’avoir du sang neuf, de considérer des acteurs de cinéma, comme Olivier Gourmet ou Mathilde Seigner ou Dominique Pinon. C’était un mix pour faire une troupe de gens qui viennent d’horizons divers et variés, mais qui se retrouvent ensemble à former une équipe.
D’où vous vient cette passion pour Edmond Rostand et Cyrano, si on peut parler effectivement de passion ?
Alexis Michalik : Je n’ai pas de passion particulière pour Edmond Rostand. J’ai un amour pour la pièce Cyrano, comme pléthore de gens ont. C’est en m’intéressant à Cyrano que j’ai découvert qu’Edmond Rostand l’avait écrit à seulement 29 ans. Je me suis dit que c’était fou. Et j’ai ensuite découvert que personne ne croyait à cette pièce, jusqu’à ce que soit un triomphe phénoménal. J’ai alors réalisé que personne n’avait encore jamais raconté cette histoire alors que je la trouve incroyable. C’est pour ça que j’ai commencé à vouloir raconter cette histoire.
Ensuite, je me suis évidemment intéressé à Edmond Rostand et à sa vie, de sa naissance à sa mort. Par la force des choses, je suis devenu un peu spécialisé en Edmond Rostand. Je ne vais pas dire qu’il y a une identification, mais évidemment je parle d’un créateur, d’un auteur de théâtre, d’un metteur en scène, de quelqu’un qui a 29 ans, donc assez tôt, a connu un succès très fort. J’ai connu à 29 ans le succès avec Le porteur d’histoire, qui a été un premier spectacle et il se joue encore aujourd’hui.
Donc évidemment que quand je raconte Edmond, il y a beaucoup d’Edmond qui vient de moi, même si c’est quelque chose qui n’est pas voulu du tout. Quand j’ai imaginé ce personnage et j’ai voulu le rendre un peu gentiment désuet – je lui fais boire de la verveine en me disant qu’il ne boit pas d’alcool - , je ne bois pas d’alcool, je ne bois que du thé. Mais ça je n’ai pas fait le lien quand j’ai commencé à composer Edmond, c’est seulement en voyant le spectacle que j’ai pensé aux similitudes entre ce personnage de fiction tel que je l’ai imaginé et moi. Au final, on finit toujours par parler de soi.
Edmond est un peu une déclaration d’amour au théâtre, aux auteurs…
Thomas Solivérès, acteur : A l’art, à la langue française… C’est vrai qu’on est dans une époque où c’est un peu perdu tout ça. On est dans un truc très jetable. On ne se fait plus des déclarations d’amour. Le romantisme se perd, ça va vite. Dans ce film, ça va vite, mais mine de rien, il y a un langage, un lyrisme, et de temps en temps, ça fait du bien. Et c’était ce qu’Edmond Rostand voulait également transmettre car c’est un poète, il adorait la langue française. C’était aussi ça, un hymne à la France.
Mathilde Seigner, comédienne : Le film est la génèse de la création de Cyrano de Bergerac. A mon avis, il y a peu de gens qui savent que c’était considéré comme un four et que tout le monde disait que ça allait être un four. Or, c’est un des plus gros succès du théâtre. Je pense que les spectateurs apprendront ça et que Cyrano était un jeune génial, mais très peu sûr de lui.
C’est aussi un film sur la troupe, sur le milieu du théâtre, avec Sarah Bernhard, les actrices de l’époque, sur le XIXème siècle… C’est intéressant de participer à un film comme celui-là, c’est une vraie proposition aujourd’hui parce qu’il y a très peu de films d’époque. Je trouve que c’est culturellement intéressant. Comme la pièce a été un succès monstreux, je pense qu’il y aura une curiosité du public pour l’adaptation au cinéma.
On est dans l’époque, mais en meme temps, il y a un souffle, quelque chose de moderne, et c’est vrai qu’on a envie de revenir à un truc où on déclare sa flamme comme ça après avoir vu ce film…
Thomas Solivérès : C’était un pari de la part d’Alexis de réussir à trouver de la modernité, de ne pas faire un film poussiéreux. (...) C’est une comédie populaire intelligente. Il y a tout. Comme Cyrano de Bergerac, c’est la même chose. Il y a tous les thèmes, c’est drôle, c’est burlesque. Il y a de l’humour, de l’amour, de l’héroïsme. Ce n’est pas absolument parce que c’est du théâtre que c’est censé être chiant.
Olivier Gourmet, acteur : On oublie la langue, on l’admire !
Alexis Michalik : J’ai l’obsession du rythme. J’ai besoin que les choses avancent et je ne voulais surtout pas donner du théâtre une image poussiéreuse, ennuyeuse, statique. Ca ce n’est pas le théâtre que j’aime. Que ce soit dans mes pièces ou dans mes films, j’ai besoin qu’il y ait du mouvement, du rythme… Je ne supporte pas qu’il y ait de l’ennui, qu’on associe le théâtre à l’ennui. Et pour ça, je voulais donner cette espèce de tourbillon, que ces acteurs soient dans une espèce de vie, de bouillonnement qui fasse qu’on en sorte en ayant des étoiles plein les yeux.
J’ai essayé de faire un film de cinéma, avec des beaux costumes, des beaux décors et une façon de filmer qui ne soit pas posée. De rendre toute la fluidité et toute la mobilité que j’ai pu voir dans les pièces merveilleuses de mon enfance, de Brook à Mnouchkine en passant par Sivadier et tant d’autres.
La bande-annonce d'Edmond :
Propos recueillis au Festival du Film francophone d'Angoulême 2018