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    White Riot : un documentaire musical qui retrace la lutte contre le racisme en Angleterre
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    "White Riot" revient sur un mouvement qui a émergé à la fin des années 70 en Grande-Bretagne, quand la musique a permis une prise de conscience politique contre le racisme par l'intermédiaire de groupes comme The Clash. Rencontre avec Michka Assayas

    The Jokers / Les Bookmakers
    • White Riot de Rubika Shah (à l'affiche le 5 août 2020)

    Royaume-Uni, fin des années 70, en pleine explosion punk : face à la montée de l’extrême- droite nationaliste et raciste, un groupe de militants choisit la musique comme arme. C’est l’aventure de Rock Against Racism qui, avec The Clash en première ligne, va réconcilier sur des rythmes punk, rock ou reggae les communautés d’un pays en crise. 

    Pour mettre en lumière ce documentaire et revenir sur cette époque, rencontre avec le journaliste, écrivain, critique de rock Michka Assayas, producteur de l'émission Very Good Trip sur France Inter.

    AlloCiné : Rock Against Racism semble être un mouvement assez méconnu en France. Est-ce également le cas aujourd’hui en Angleterre ? Parle-t-on encore beaucoup aujourd’hui de cette époque là-bas ?

    Michka Assayas, critique de rock : Cela a certainement laissé une trace en Angleterre. Mais il faut quand même se rappeler que c’était il y a 40 ans, donc il y a très longtemps. On peut rapprocher ça de Touche pas à mon pote d’une certaine façon. Il y avait un groupe qui s’appelait Carte de séjour avec Rachid Taha, dans la banlieue lyonnaise, et c’est assez comparable parce que Rachid Taha venait du punk et en même temps du raï. Le public s’est mélangé.

    Ce qui est intéressant, c’est qu’en France, on va mettre en avant la Marche des potes, le côté purement politique. En ce qui concerne la musique, on va dire que c’est une espèce d’accompagnement un peu folklorique de l’époque, mais ce n’est pas central. Alors qu’en Angleterre, ça marche dans l’autre sens. Les gens ne sont pas du tout politisés comme ils pouvaient l’être en France. Et même si la façon d’être politisé n’a rien à voir avec celle d’il y a 40 ans, le discours est plus important en France que la musique. Elle est toujours considérée comme quelque chose de sympathique pour prendre un verre, pour faire la fête, pour danser, mais ce n’est pas à la source de questions de société. Or comme ils ne sont pas politisés du tout en Angleterre, la musique sert de prise de conscience politique. C’est ce que l’on voit dans le film.

    En Angleterre, la musique sert de prise de conscience politique.

    Les questions sociales, politiques, même existentielles, sont abordées par la musique. La musique y est centrale, elle est constitutive. C’est pour ça qu’il y a toujours eu une sorte de malentendu entre la France et l’Angleterre. Quand vous prenez le punk en Angleterre, c’est un mouvement de libération sociale. Tout à coup, ce sont des gens qui ne se croyaient rien qui deviennent tout. Des gens qui se croyaient nuls et qui se disent « moi aussi j’existe et je vais faire des trucs ». C’est le punk qui les révèle à eux-mêmes. En France, les gens vont tous écrire des articles, aujourd’hui faire des blogs, écrire des livres, ou vont faire des films… C’est différent.

    Qu'avez-vous appris du documentaire que vous ne connaissiez peut être pas ? Où étiez-vous à cette époque ?

    J’étais à Londres en touriste dans ces années là, j’étais très jeune. J’ai vu des concerts comparables mais pas ces grands événements précisément. Mais je n’étais pas du tout conscient de ça. Comme me le disait Manuel Chiche, le distributeur de White Riot, c’était un non sujet. On ne l’abordait pas.

    Peut être que la façon dont j’en ai pris conscience personnellement, ça a été la naissance de groupe comme The Specials, qui était des groupes multi-raciaux. Des gens qui venaient d’horizons extrêmement différents se réunissaient dans les mêmes lieux pour écouter les mêmes musiques. Et il y avait beaucoup de tensions car ils étaient très différents.

    Il y avait des bagarres, beaucoup d’agressivité, et pourtant les gens venaient tous écouter la même musique.

    C'est ce qu’il s’est passé quand il y a eu les Specials : je me souviens qu’il y avait des skinheads, des punks et c’était violent ! Il y avait des bagarres, beaucoup d’agressivité, et pourtant les gens venaient tous écouter la même musique. C’est ce qu’on voit dans Rock against Racism et qui est intéressant, c’est qu’ils essayent de fédérer des publics qui en temps normal se "taperaient sur la gueule". C’est ce qui hélas est aussi arrivé en Angleterre. Les Specials ont du régulièrement arrêter leurs concerts pour arrêter les bagarres.

    Le documentaire a tendance à un peu idéaliser ce mouvement et la réalisatrice semble oublier que ces publics avaient beau être rassemblés, ce n’est pas pour autant qu’ils s’aimaient. Ils ont existé mais ce n’était pas des concerts œcuméniques. On est au même concert mais on n’est pas du même monde et je vais te le faire comprendre.

    Il y a quelque chose d’assez étonnant qu’on entend dans le documentaire : plusieurs artistes encore populaires aujourd’hui, comme Eric Clapton et Rod Stewart ont eu des déclarations plutôt dérangeantes…

    Je ne sais pas si vous avez vu mais il y a un documentaire passionnant sur Clapton qui s’appelle Eric Clapton : Life in 12 Bars. C’est très émouvant, d’une lucidité incroyable et il n’élude rien. Ce qu’il faut savoir, c’est que Clapton était à l’époque un alcoolique au dernier stade. Il allait terriblement mal. Il avait lâché l’héroine pour l’alcool. C’est le chemin hélas classique… Il descendait deux bouteilles de vodka par jour et il disait n’importe quoi. Et quand on sait d’où vient Clapton… C’est quelqu’un qui voulait être un guitariste de blues noir.

    Je pense qu’il y avait une forme d’inconscient collectif à ce sujet.

    Il y avait ces hommes politiques en effet qui tenaient des propos qui aujourd’hui ne seraient même pas montrés à la télévision, et certains répétaient ces choses là. Je suis complètement effaré de voir que ces musiciens qui doivent tout à la musique noire ait pu dire des trucs pareils. Mais ça en dit long sur le degré de confusion qu’il pouvait y avoir. C’est quelque chose de vraiment inexplicable. Je pense qu’il y avait une forme d’inconscient collectif à ce sujet. C’est à dire que c’était des gens qui pouvaient capter de très bonnes comme de très mauvaises vibrations. Ils captaient quelque chose qui était dans l’air qui était finalement une forme de contradiction. 

    Un extrait de White Riot à propos d'Eric Clapton et David Bowie

    Ce documentaire trouve un certain écho avec l’actualité avec cette idée de convergence des luttes et ces mouvements anti-racistes. Cela fait plus de 40 ans que cela existe mais des films comme celui-ci ou Tout simplement noir, sorti en juillet, s’intéressent à la question du racisme…

    C’est un problème que l’on a mis sous le tapis. Finalement la musique a pu être une forme d’alibi. Qu’est-ce qu’on dit des Noirs aux Etats-Unis depuis très longtemps ? C’est qu’ils peuvent réussir dans le showbiz, être des chanteurs, des rappeurs, des sportifs... La plupart des entertainers noirs sont consensuels aux Etats-Unis. On a longtemps tenu ce discours.

    Mais en effet la musique peut être l’arbre qui cache la forêt. Ce n’est pas parce que vous écoutez de la musique noire que vous vous rendez compte de ce qu’ils vivent. Ce qui distingue cette époque de la notre, c’est que chacun n’était pas assigné à une identité prédéterminée. Chacun doit être fier de son identité et on ne doit pas la lui dénier. Dès qu’une identité est opprimée, elle a le devoir de montrer qu’elle existe et qu’elle doit être reconnue. Ce n’était pas comme ça que ça se posait à l’époque.

    Les jeunes se trouvaient leur identité en adoptant un certain style de musique.

    A l’époque, on ne savait pas quelle identité on avait. Vous n’aviez pas la possibilité de vous affirmer, en tout cas sur le plan social. Donc la musique était un peu le palliatif. Vous étiez ska, hard rock, funk, new wave... Les jeunes se trouvaient leur identité en adoptant un certain style de musique. C’était une façon de se créer une identité, une niche, pour montrer ce que l’on était ou pas, et chacun était dans des cases, se vivait dans des cases.

    Les gens les plus ouverts dans la musique tentaient de détruire ces cloisons entre les identités que les gens se créaient. D’où cet œcuménisme des Clash, qui progressivement est passé du punk à une forme de musique mondiale. Il y avait dans ce qu’ils faisaient à la fois du ska, de la country, du blues, du rap… C’était cette idée de faire de la musique de fusion pour que justement il n’y ait plus ces identités qui étaient perçues comme des limitations et des condamnations.

    Aujourd’hui, c’est très paradoxal car on a l’impression que c’est le contraire, que les gens veulent absolument des identités auxquelles ils se tiennent et dans lesquelles on les enferme. Ils s’enferment pour justement exister. Il y avait donc comme un double mouvement d’enfermement et de délivrance. C’est quelque chose qui a toujours existé aux Etats-Unis, il y a toujours eu cette tendance au séparatisme. Quand vous prenez Malcolm X, etc. il y avait aussi l’idéal rasta, le retour en Afrique… C’était le séparatisme et le rejet total du pouvoir blanc. Martin Luther King, c’était l’idée de la cohabitation, etc. On a toujours eu ces deux lignes qui se sont affrontées, rejointes, séparées, etc.

    Ce film photographie un moment où l’on essaye de nouer les fils.

    On vit un moment où l’on est peut être à nouveau vers l’idée de la séparation. Alors que longtemps, grâce à la musique, et grâce à une certaine utopie musicale, on a cru qu’on allait se rapprocher. Mais on sent que ce sont deux fils qu’on n’arrive jamais à nouer, qui se font et se défont. C’est une éternelle histoire qui n’est jamais résolue. Ce film photographie un moment où l’on essaye de nouer les fils. Et on voit que c’est compliqué car le public n’en veut pas toujours, et que la musique créé une illusion, une utopie. 

    Les Clash sont un peu la tête d’affiche de ce film. Il y a eu un certain nombre de films et de documentaires sur ce groupe. En auriez-vous un à conseiller en particulier ?

    Oui, Rude Boy (réalisé par Jack Hazan et David Mingay). C’est absolument passionnant. C’est un film qui a été fait quand le groupe existait encore, en 1979. C’est quelqu’un qui s’était laissé mettre en scène dans une sorte de documentaire. C’est moitié documentaire, moitié reconstitution. C’est un peu particulier. L’histoire d’un type qui traine, qui ne sait pas trop ce qu’il va faire de sa vie, qui travaille dans un sex-shop, et il est fasciné par The Clash et considère qu’ils sont comme ses potes. Il les suit pour essayer de comprendre un peu le sens de la vie… Il leur pose tout le temps des questions. Il veut tout le temps se rendre utile. C’est une sorte de parasite du groupe et on suit sa vie. Et c’est génial, parce qu’on comprend tout ce qu’il se passe, les coulisses… Cela montre l’énergie de cette période.

    White Riot
    White Riot
    Sortie : 5 août 2020 | 1h 20min
    De Rubika Shah
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    Propos recueillis à Paris le 17 juillet 2020

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