La sortie en salle cette semaine du film Tout simplement noir, décapante comédie à l'humour corrosif qui est aussi le portrait d'une France en pleine introspection identitaire, est aussi là pour nous rappeler que la fiction n'a heureusement pas attendu 2020 pour plonger les (télé)spectateurs au coeur de cette réflexion identitaire et ses racines parfois très douloureuses, que ce soit sous la forme d'un biopic historique, d'une comédie, ou encore d'une poignante immersion dans le passé colonialiste de la France. Voici quelques exemples.
Toussaint Louverture (2012)
Si les historiens ont pu (parfois vivement d'ailleurs) critiquer certaines contre-vérités historiques, ce à quoi les scénaristes répondaient qu'une œuvre de fiction n'est pas un documentaire et défendaient le principe de leur liberté d'adaptation, il faut néanmoins saluer comme il se doit la fiction Toussaint Louverture, diffusée sur France 2 en deux parties en 2012. Réalisée par Philippe Niang et portée avec conviction par un Jimmy Jean-Louis habité dans le rôle-titre, elle évoque le destin magnifique et tragique de Toussaint Louverture, ancien esclave affranchi de Saint-Domingue, à l'origine de la création du premier état dirigé par des Noirs : Haïti. Porté par la Révolution française aux plus hautes strates du pouvoir, général de division opposé au Premier consul Bonaparte, Toussaint Louverture est l'une des grandes figures des mouvements anticolonialistes, abolitionnistes, et d'émancipation des Noirs. Une fiction importante disions-nous un peu plus haut : c'est la première fois en effet qu'un film est réalisé sur cette figure très importante de l'Histoire. Un projet de longue haleine d'ailleurs, comme le rappelait justement la comédienne Aïssa Maïga, également à l'affiche, lorsque nous l'avions rencontré à cette occasion.
Rue Cases-Nègres (1983)
1930. Au milieu de l’immense plantation martiniquaise, la rue Cases-Nègres : deux rangées de cases de bois désertées par les adultes partis travailler la canne à sucre. Jusqu’au coucher du soleil, la rue appartient aux enfants et surtout à José, 11 ans, orphelin élevé par sa grand-mère, M’an Tine, qui n’a qu’un rêve : faire étudier José. Mais pour ce faire, il faut quitter la rue Cases-Nègres…
Avant d'être un film, Rue Cases-Nègres est une oeuvre célèbre de la littérature antillaise, écrite par Joseph Zobel. Brillamment adaptée par la cinéaste martiniquaise Euzhan Palcy, qui sera d'ailleurs la première femme noire à réaliser un film à Hollywood en 1989 avec le solide Une saison blanche et sèche, le film a également bénéficié de la plume du regretté François Truffaut. Porteur d'une charge émotive à fendre les pierres en deux, plongeant le spectateur dans tout un pan de la culture créole finalement très rarement vue au cinéma, Rue Cases-Nègres doit aussi beaucoup à l'alchimie entre ses deux interprètes. Le formidable et tout jeune Garry Cadenat sous les traits de José, et Darling Légitimus, sous les traits de la grand-mère, qui n'est autre que la grand-mère du comédien Pascal Légitimus. Couvert de prix à travers le monde, le film obtiendra à la Mostra de Venise le Lion d'Argent pour la meilleure première oeuvre et Darling Legitimus, le Lion d'or et la Coupe Volpi pour la meilleure interprétation féminine, pour son interprétation du rôle de "M'an Tine". En 1984, la réalisatrice martiniquaise obtiendra aussi le César de la meilleure première oeuvre. Si vous n'avez jamais vu cet extraordinaire film, vous savez ce qu'il vous reste à faire...
Vénus noire (2010)
L'histoire authentique et tragique de Saartjie Baartman, femme khoïsan originaire d'Afrique du Sud, réduite en esclavage et exhibée en Europe au début du XIXe siècle pour son large postérieur, où elle était connue sous le surnom de «Vénus hottentote». Son histoire, souvent prise pour exemple, est révélatrice de la manière dont les Européens considéraient à l'époque ceux qu'ils désignaient comme appartenant à des "races inférieures".
"Je n'ai jamais vu de tête humaine plus semblable à celle des singes" déclare l'anatomiste Georges Cuvier en 1817, alors qu'il se trouve face au moulage du corps de Saartjie Baartman, dans l'enceinte de l'Académie Royale de Médecine. Un parterre de distingués collègues applaudit la démonstration, 34 ans avant que ne culminent les théories racialistes avec le tristement célèbre Essai sur l'inégalité des races humaines d'Arthur de Gobineau... Présenté en compétition à la Mostra de venise, Vénus noire d'Abdellatif Kechiche fut l'un des éléctrochoc du festival. Toujours sur le fil, sans voyeurisme, le cinéaste parvient à montrer "humainement" une vérité insoutenable. Par ce qu'elle révèle de l'inhumanité barbare qui peut animer un être humain face à la différence, l'histoire de Saartjie est proprement universelle. Son interprète, la formidable actrice d'origine cubaine Yahima Torres, exposait ainsi son point de vue sur la résonance contemporaine à prêter à cette histoire : "Elle est un symbole, forcément. (...) Le film transmet l’idée simple et universelle que l’on a tout à apprendre des autres. Et apprendre, ça signifie respecter ce qui nous est étranger : un physique, une culture, un langage. C’est cela être humain." Une oeuvre puissante, et sans concession.
Case départ (2011)
Demi-frères, Joël et Régis n’ont en commun que leur père qu’ils connaissent à peine. Réclamés au chevet de leur père mourant aux Antilles, ils reçoivent pour tout héritage l’acte d’affranchissement qui a rendu la liberté à leurs ancêtres esclaves, document qui se transmet de génération en génération. Faisant peu de cas de la richesse symbolique de ce document, ils le déchirent. Décidée à les punir pour le geste qu’ils viennent de faire, une mystérieuse vieille tante qui les observait depuis leur arrivée aux Antilles décide de leur faire remonter le temps, en pleine période esclavagiste ! Parachutés en 1780, ils seront vendus au marché comme esclaves. Les deux frères vont alors devoir s’unir, non seulement pour s’évader de la plantation mais aussi pour trouver le moyen de rentrer chez eux, au XXIe siècle…
Peut-on rire d'un sujet aussi grave que l'esclavage ? Assurément, à la seule condition que le script et les dialogues réussissent un très difficile exercice d'équilibriste sur un sujet ultra casse-gueule. C'est le pari -réussi donc- fait par le tandem Thomas Ngijol et Fabrice Eboué pour Case départ, qui a quand même pris des pincettes vu le sujet. D'où l'idée d'un retour en arrière qui fait office de miroir au présent. Fabrice Eboué revenait ainsi sur ce choix : "Le sujet est tellement sensible aujourd’hui que si nous l’avions traité autrement que par le biais de ce retour dans le passé, nous n’aurions pas réussi à aboutir le propos. C’est en remontant dans le passé et en montrant le chemin accompli depuis trois cents ans que ce film prend toute sa portée. Il faut arrêter de se laisser manipuler par les extrêmes qui n’attendent que la haine d’un côté ou de l’autre parce qu’ils ne vivent que de ça. L’histoire dessine une trajectoire sur laquelle nous sommes déjà bien avancés mais qu’il faut poursuivre. Le film parle vraiment de notre époque, mais il en parle d’autant mieux que c’est abordé par comparaison directe avec le passé."
Chocolat (2016)
Du cirque au théâtre, de l'anonymat à la gloire, l'incroyable destin du clown Chocolat, premier artiste noir de la scène française. Le duo inédit qu'il forme avec Footit, va rencontrer un immense succès populaire dans le Paris de la Belle époque avant que la célébrité, l'argent facile, le jeu et les discriminations n'usent leur amitié et la carrière de Chocolat.
Evitant les chausses-trappes du film en costumes à la mise en scène ampoulée, Roschdy Zem livre avec Chocolat une oeuvre sincère et émouvante, adaptée du livre de Gérard Noiriel, Chocolat clown nègre. Un film qui n'est toutefois pas un biopic, mais l'histoire d'un couple de scène, celui du clown Foottit et Chocolat, dans la France de la Belle Epoque; personnage conforme à l'iconographie coloniale et aux préjugés racistes de cette époque, qui devient progressivement le stéréotype du noir souffre-douleur niais, puéril et bon enfant. Même si l'artiste a cependant tenté de combattre ce stéréotype en diversifiant ses compétences. Couronné par deux César dont celui du Meilleur acteur dans un second rôle pour James Thiérrée, qui donne la réplique à un impeccable Omar Sy dans le rôle-titre, Chocolat est une oeuvre sensible et nécessaire, à défaut d'être un chef-d'oeuvre.