En 2012, sa tribune sur le salaire des stars avait enflammé la toile. Le producteur et distributeur de Wild Bunch, Vincent Maraval, a de nouveau été sollicité par nos confrères du Monde afin de livrer son point de vue sur l'état du cinéma français à l'heure de la crise du coronavirus. Sans détour, il donne ses préconisations visant à une refonte intégrale du milieu du cinéma et et exhorte à davantage d’audace. En voici quelques morceaux choisis :
Vincent Maraval appelle à une véritable reprise en main de la politique culturelle
"Les moyens sont connus, il ne manque que la volonté politique pour les mettre en place : lutter contre le piratage, limiter l’exploitation sur plusieurs écrans d’un même film pour protéger la diversité, imposer des quotas en salle avec 50 % des séances consacrées aux films européens, imposer des quotas sur les plates-formes de streaming, limiter les obligations d’investissement des chaînes aux tournages et aux cachets payés en France, élargir le crédit d’impôt à d’autres modes de diffusion pour garder les tournages en France, constituer des pôles d’intérêt économique pour les indépendants, promouvoir des activités culturelles par l’achat de billets par l’Etat destinés aux plus jeunes – ce qui évitera que les aides finissent dans les poches des confiseurs plutôt que des créateurs –, interdire aux groupes diffuseurs d’exercer un métier de distributeur et de se nourrir de leurs propres catalogues, etc. Cela s’appelle une reprise en main de sa politique culturelle.
Je serais même prêt à aller plus loin en rendant les droits des catalogues achetés par les gros groupes diffuseurs, tels que M6, TF1, Canal+, aux ayants droit, en les faisant racheter par l’Etat dans le cadre de l’aide qu’il leur apporte. On nous demande de nous réinventer, allons-y !"
Vincent Maraval insiste à plusieurs reprises sur cette piste de "retirer aux diffuseurs le pouvoir de décider du sort des œuvres par la chronologie des médias".
Le producteur et distributeur livre son point de vue sur Netflix, dont il loue la réussite
"Netflix a réussi là où nous, distributeurs internationaux, avons échoué. Elle donne la parole aux créateurs, les pousse à faire les films qu’ils ne feraient plus pour le cinéma et elle les distribue dans les coins les plus reculés du monde."
Coronavirus : quelle date pour la réouverture des cinémas français ? Combien de temps va durer la fermeture des salles ?Vincent Maraval développe également sa vision de la salle de cinéma...
"Le risque, aujourd’hui, ce n’est pas que le consommateur choisisse de rester chez lui plutôt que de sortir – il n’en peut plus d’être chez lui –, c’est que le créateur ne se retrouve plus artistiquement dans la sortie en salle. Les créateurs sont désormais décomplexés, ils sont prêts à travailler pour les plates-formes parce qu’ils vivent mal d’être débarqués des salles après une semaine de vie du film. La sortie en salle est devenue une désillusion, une boule au ventre, où l’échec est la règle, et le succès l’exception. (...)
Il faut toujours se réjouir quand la cinéphilie progresse, mais il faut réagir. La salle doit réinvestir le cinéma, l’audace, l’innovation. (...) Notre problème, c’est que, en France, le mode de financement des films de cinéma repose sur la télévision, qui vise un public âgé. Les jeunes se sont donc réfugiés sur les plates-formes. La création doit se libérer du joug des diffuseurs. Les solutions existent ailleurs, il suffit de les copier et de faire preuve de volonté politique."
... et incite à une fermeture des salles "jusqu’à redéfinition d’une politique culturelle radicalement différente"
"Pour moi, aujourd’hui, les salles doivent rester fermées, avec l’aide de l’Etat, et ce jusqu’à redéfinition d’une politique culturelle radicalement différente qui repense son environnement, sous peine du coup de grâce. Rouvrir sans réflexion, sans cadre, sans nouvelle politique, ce serait achever la création indépendante au cinéma. Elle partira à jamais.
Pour ce qui est de Cannes ou de Venise, nous ne pouvons que se féliciter que ces festivals n’abandonnent pas la partie, ce qui serait une facilité. C’est faire preuve de responsabilité que de continuer à se demander comment aider sous quelque forme que ce soit les films que l’on a aimés. Ceux qui trouvent qu’il est urgent de ne pas faire, d’annuler, je ne les comprendrai jamais. Il faut respecter les consignes, mais trouver d’autres moyens, et je remercie le Festival de Cannes de s’acharner. L’obstination et le combat sont des qualités dont, hélas, la politique actuelle est démunie, et qui fait de la culture le grand absent du monde d’après…"
Découvrez cet entretien complet dans Le Monde daté du samedi 2 mai. Une version longue de l'entretien est disponible en ligne sur LeMonde.fr.